L’homosexualité pose un problème intéressant pour la théorie de l’évolution. Par définition, seuls les traits avantageux d’un individu sont transmis à la génération suivante (s’ils ont une base génétique). Or, l’homosexualité ne peut pas être avantageuse de ce point de vue puisqu’elle n’aboutit justement pas à la reproduction. Donc, si l’homosexualité a une base génétique, elle aurait dû s’éteindre depuis longtemps face à la concurrence des gènes hétérosexuels par nature plus prolixes. Or ce n’est pas le cas, et de nombreux travaux convergent depuis trente ans pour observer qu’il existe une héritabilité de l’orientation sexuelle.
Comment résoudre ce paradoxe ? Plusieurs pistes ont été proposées. Edward Wilson, le père de la sociobiologie, avait suggéré que les homosexuels pourraient plus altruistes envers leurs parents hétérosexuels : à défaut de transmettre directement leurs propres gènes, ils aideraient ainsi indirectement à le faire en augmentant les chances de survie des apparentés (qui, par définition, possèdent en partie les gènes concernés). Mais des études ultérieures n’ont pas montré que les homosexuels sont en moyenne plus sujets à l’altruisme familial que les autres.
Une autre piste concerne la pléiotropie. Sous ce nom barbare se cache une définition assez simple : un même gène peut avoir plusieurs effets, et les effets positifs peuvent contrebalancer les effets négatifs. Exemple classique : le même gène qui provoque la drépanocytose (une maladie de l’hémoglobine) procure un certain degré de protection contre la malaria, selon qu’il est à l’état homozygote (un seul exemplaire, effet bénéfique) ou hétérozygote (deux exemplaires, effet délétère). Ce gène persiste donc dans les populations où sévit la malaria puisqu’il possède un avantage lorsqu’on possède un exemplaire unique venu de l’un de ses parents. Mutatis mutandis, il pourrait en être de même pour les gènes (sans doute nombreux) impliqués dans l’orientation sexuelle.
Sur le papier, cette hypothèse est intéressante. Mais que se passe-t-il dans la réalité ? La première preuve empirique du phénomène a été apportée en 2004, par une équipe italienne dirigée par Andrea Camperio-Ciani (Université de Padoue). Les chercheurs ont demandé à 98 homosexuels et 100 hétérosexuels mâles de remplir un questionnaire assez précis sur leur famille : frères et sœurs, cousins et cousines, oncles et tantes, grands-parents. Au total, ils ont obtenu des informations sur plus de 4600 personnes issues des lignées maternelles ou paternelles des sujets concernés. Résultat : les apparentés des lignées maternelles sont plus fécondes chez les homos que chez les hétéros, différence qui ne se retrouve pas pour la lignée paternelle. Exemple : les mères d’homosexuels ont en moyenne 2,69 enfants contre 2,32 ; les tantes maternelles 1,98 contre 1,51 ; les grands-mères maternelles 3,55 contre 3,39. Cet avantage systématique ne se retrouve pas dans les équivalents paternels, distribués de manière aléatoire. Conclusion des chercheurs : certains gènes qui prédisposent à l’homosexualité chez les hommes et qui sont transmis par lignées maternelles seulement confèrent une fertilité plus importante aux femmes.
La même équipe vient de publier dans le Journal of Sexual Medicine un nouveau travail appuyant son hypothèse. 239 individus mâles ont cette fois été étudiés, dont 88 exclusivement hétérosexuels, 86 bisexuels et 65 exclusivement homosexuels. Le point nouveau est l’introduction de la bisexualité, qui est rarement analysée dans la littérature scientifique. Comme dans le travail de 2004, les chercheurs ont observé que la fertilité des apparentées issus des lignées maternelles est plus importante chez les homosexuels et les bisexuels que chez les hétérosexuels. Les bi et les gays se situent au même niveau. La différence entre ces deux populations tient à ce que les gays ont plus souvent des frères aînés – un autre trait déjà connu, le nombre de frères aînés étant l’un des premiers prédicteurs de l’homosexualité mâle, sans doute pour des raisons d’épigénétique (empreinte maternelle lors de la grossesse).
Ce qui se dessine depuis ces travaux, c’est l’existence d’un ou plusieurs gènes liés au chromosome X qui entraîneraient une sur-attractivité pour les hommes, aussi bien chez les femmes (d’où la fertilité supérieure des apparentées de lignées femelles) que ches les hommes (d’où la bisexualité ou l’homosexualité). Le neurobiologiste Simon LeVay a qualifié ce trait d’hyper-hérétosexualité. La bisexualité en serait un produit dérivé. Et l’homosexualité serait elle-même une variante de la bisexualité, l’exclusivité de l’attrait pour les hommes étant due à d'autres gènes, à des causes environnementales et/ou à des facteurs épigénétiques.
Références :
Camperio-Ciani A. et al. (2008), Genetic factors increase fecundity in female maternal relatives of bisexual men as in homosexuals, J. Sex. Med., oline pub., doi : 10.1111/j.1743-6109.2008.00944.x
Camperio-Ciani A. et al. (2004), Evidence for maternally inherited factors favouring male homosexuality and promoting female fecundity, Proc. Biol. Sci., 271, 1554, 2217-21
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