jeudi 30 octobre 2008

Génétique du transexualisme (2)

En juillet dernier, nous nous faisions l’écho des travaux de Clemens Temfer et ses collègues ayant mis en évidence une prédisposition génétique au transsexualisme FtM (femelle vers mâle). Des chercheurs australiens dirigés par Vincent Harley viennent d’identifier une mutation génétique favorable au transsexualisme MtF (mâle vers femelle). Ils ont pour cela étudié une cohorte de 112 transsexuels – la plus importante rassemblée à ce jour – avec 258 cas de contrôle. Trois régions de susceptibilité ont été analysées : la répétition CAG du gène AR (récepteur androgène), la répétition CA du gène Erß (récepteur bêta estrogène) et la répétition TTTA du gène CYP9 (aromatase). Le gène AR du récepteur androgène, qui permet à la testostérone de se lier aux cellules, a montré une association significative, contrairement aux deux autres. Cela confirme le résultat d’un précédent travail, mené sur une population plus petite (Henningsson et al. 2005). Le travail de l’équipe australienne est publié dans Biological Psychiatry.

mercredi 29 octobre 2008

Le rouge est mis

Dans un travail publié l’an dernier, Andrew J. Elliot (Université de Rochester) et ses collègues avaient montré que la couleur rouge représente un signal aversif dans un contexte de performance : des individus placés en situation de test réussissent un peu moins bien si le contexte montre des signaux rouge plutôt que neutres (achromatiques : noir, blanc, gris), bleus ou verts (Elliot et al. 2007). Une nouvelle étude d’Elliot, co-réalisée avec Daniela Nesta, est aujourd’hui consacrée à l’association du rouge et de l’attirance masculine pour les femmes.

Cinq expérimentations indépendantes ont été réalisées, où les hommes hétérosexuels (parfois des femmes) devaient juger l’attractivité physique et la désirabilité sexuelle de femmes présentées en photographie. Les femmes avaient été choisies comme modérément attractives selon un précédent classement. Leur pose était identique (torse et face visibles, vêtements neutres, sourire), la photographie en noir et blanc. Le fond de la photo variait selon les expérimentations (blanc, gris, bleu, vert et rouge), ainsi que la durée d’exposition (5 secondes ou durée libre, changement de diapo par les volontaires). Il en ressort que les femmes présentées sur un fond rouge ont été jugées plus attractives physiquement et plus désirables sexuellement que sur tout autre fond. La durée de l’exposition ne change pas le jugement. L’effet rouge est sensible pour les hommes seulement (les femmes testées ne jugent pas les autres femmes plus attractives). Les autres traits de caractère évalués (amabilité, gentillesse, intelligence) ne montrent pas de variations en fonction de la couleur du contexte. Enfin, les hommes ne sont pas conscients du rôle de la couleur dans leurs jugements.

L’association de la couleur rouge avec l’amour et le sexe est solidement documentée dans l’histoire culturelle. Les anthropologues ont montré que les pigments ocre sont utilisés comme décorations corporelles dans les rituels anciens de chasseurs-cueilleurs, pour signaler l’entrée des jeunes filles dans leur âge fertile. Rouges à lèvres et fonds de teint de nos sociétés modernes sont le lointain écho de ces parures physiques. Mythologie, folklore, littérature et art associent souvent le rouge à l’amour, la passion, la luxure ou la fertilité. Et le cœur symbolisant l’amour est bien sûr d’un rouge vif. Mais ces associations culturelles ne donnent qu’une partie de l’histoire, car le signal rouge est aussi bien lié à la sexualité chez les animaux, notamment les singes et primates non humains (grands singes ou primates hominoïdés). Un grand nombre de femelles montrent une coloration rouge sur la face, la poitrine, le périnée ou la vulve lorsqu’elles sont en phase ovulatoire. Cette pigmentation est due au déséquilibre entre œstrogène et progestérone, entraînant une vascularisation accentuée en phase fertile.

Référence :
Elliot A.J., D. Niesta (2008), Romantic red: Red enhances men's attraction to women, Journal of Personality and Social Psychology, 95, 5, 1150-1164.

Illustrations : Andy Warhol, Marilyn, 1967. Jeff Koons, Jeff eating Ilona, 1991. (DR)

(Merci à Daniela Nesta de m’avoir communiqué son papier).

lundi 27 octobre 2008

Sexe et leadership

Si l’espèce humaine est plus égalitaire que certaines cousines primates, elle n’échappe pas au phénomène de dominance que l’on observe dans tous les domaines de la vie sociale. Le leadership peut être analysé par ses fonctions : maintenir l’unité du groupe et gérer ses conflits internes lorsqu’il faut partager des ressources ; coordonner ce groupe lorsqu’il est en situation de menace, généralement l’attaque d’un autre groupe. Ou par ses bénéfices : un avantage dans la compétition sexuelle et une fertilité finale plus abondante. Cette fonction dominante est généralement associée aux mâles, notamment en raison de l’importance des conflits violents dans l’évolution humaine et de diverses prédispositions masculines à l’agression ou la défense contre l’agression. Cependant, on peut faire l’hypothèse que les sexes ne présentent pas tout à fait le même profil d’intérêt selon la nature de la compétition, intragroupe ou intergroupe. Le dimorphisme sexuel suggère en effet que les femmes ont plutôt intérêt à créer et maintenir des réseaux sociaux stables pour se protéger et protéger leurs enfants, donc à maintenir la paix au sein de groupe. Les hommes peuvent envisager la formation de coalitions et les situations de conflits intergroupes comme des opportunités reproductives.

Mark Van Vugt, qui dirige le laboratoire de psychologie sociale évolutionnaire à l’Université de Kent, s’intéresse notamment à ces questions de leadership dans une perspective darwinienne. Un précédent travail de son laboratoire avait montré que, placés dans une situation conditionnelle (élire le président d’un pays imaginaire dans un certain contexte), les individus des sociétés occidentales ne font pas le même choix selon que le pays est menacé de dissensions internes ou de guerre avec un voisin : dans le premier cas, les 45 volontaires de l’expérience (dont 27 femmes) ont préféré un leader féminin (75,6 %) ; dans le second cas, un leader masculin (91,1 %). Ce résultat préliminaire a ici été reproduit avec 50 volontaires (dont 26 femmes, âge moyen 21 ans) dans un jeu du bien commun, consistant à choisir entre un investissement personnel et un investissement public. Le jeu a été mené dans quatre conditions : soit il s’agissait de classer les individus les plus coopératifs au sein des groupes (orientation intragroupe) ; soit il s’agissait de classer les groupes selon qu’ils parvenaient à coopérer mieux que d’autres dans le cadre d’une coupe inter-universitaire (orientation intergroupe) ; soit une situation mixte avec évaluation de la coopération interne et de la compétition externe ; soit enfin une situation neutre. Une fois expliqué le déroulement du jeu, les sujets devaient élire un leader pour coordonner les investissements : femme ou homme. Ce leader était en fait imaginaire, quoique présenté comme réel (courte biographie), mais les joueurs considéraient qu’il serait amené à analyser leurs stratégies par la suite. Résultats : les femmes ont été préférées comme leaders dans les conditions intragroupe (93,3 %) et mixte (75 %), les hommes dans la condition intergroupe (78,6 %), et aucune préférence n’a émergé dans la condition neutre de contrôle. Dans le déroulement du jeu, les investissements vers le bien public ont été supérieurs dans les groupes dirigés par les femmes là où l’on mettait l’accent sur la coopération interne ; et l’inverse s’est vérifié dans la compétition externe, où les groupes dirigés par les hommes se sont montrés plus performants.

Référence :
Van Vugt, M., B.R. Spisak, (2008). Sex differences in leadership emergence in conflicts within and between groups, Psychological Science, 19, 9, 854-858, doi : 10.1111/j.1467-9280.2008.02168.x

mardi 21 octobre 2008

Longues jambes au pays de la longue marche

Avoir de longues jambes est un trait féminin que l’on dit apprécié par les hommes – vous vous en souvenez sans doute, la plupart des romans de gare comportent une phrase du genre « elle avait des jambes interminables ». Richard Fielding et ses collègues ont analysé une cohorte de 9998 Chinois. En ajustant par l’âge, le statut socio-économique et l’éducation, il s’avère que les femmes ayant de longues jambes (plus grande différence relative entre mesures de taille assise et de taille debout) ont aussi plus d’enfants que la moyenne. Mais cela ne se vérifie pas chez les hommes. Cette différence est plus marquée dans les classes pauvres. Une précédente étude parue dans le même journal (Evolution and Human Behavior) en mars dernier avait observé cette préférence chez un échantillon des sujets occidentaux (voir recension sur ce site).

Illustration : Patrick Demarchelier, Azzedine Alaïa et Yasmeen, 1991 (exposition en cours du photographe au Petit Palais, Paris, du 24 septembre 2008 au 4 janvier 2009).

lundi 20 octobre 2008

Les tribulations du Tribolium, un insecte plutôt gay

L’homosexualité mâle-mâle est assez fréquente chez le ver de farine Tribolium castaneum, un organisme-modèle souvent utilisé en laboratoire. Sarah Levis et son équipe, de l’Université Tufts (États-Unis), ont profité des mœurs de ce coléoptère gay pour tester diverses hypothèses sur l’émergence et la persistance de l’homosexualité dans l’évolution. Il en ressort que les accouplements des mâles ne sont ni associés à l’établissement d’une dominance sociale, ni liés à une « mise en bouche » permettant ensuite des pratiques copulatoires plus efficaces avec les femelles. Ils ne sont pas non plus dus à un priapisme congénital les faisant sauter sur tout ce qui bouge, puisque les vers Tribolium sont capables de discerner une femelle vierge d’une femelle ayant déjà copulé, ce qui laisse supposer que même dans un coin obscur, ils distinguent les mâles des femelles. Un très léger avantage a été mis en avant : en déposant son sperme sur un mâle, le ver a une petite chance de fertiliser indirectement une future femelle. Cela arrive dans 7 % des cas environ, mais n’aboutit qu’à 0,5 % des naissances viables. Pas de quoi donner un net avantage à la copulation homosexuelle. Il est possible, mais non testé dans l’article, que les mâles utilisent les liaisons homosexuelles pour se débarrasser des spermatophores anciens, et arriver avec des gamètes tout frais devant la femelle. Enfin, et c’est l’hypothèse la plus souvent retenue, l’homosexualité peut être un produit dérivé non adaptatif de certains traits génétiques qui, eux, améliorent la reproduction des porteurs (par exemple chez l’autre sexe, ou selon certaines conditions épigénétiques d’expression). Comme elle est répandue chez les animaux, et non «contre-nature» selon les idées reçues de nos grands-parents, il faut supposer que la vie lui a trouvé des avantages.

Altruisme : le choix des femmes ?

Nous avions évoqué  les principales hypothèses explicatives de l’évolution de l’altruisme chez l’espèce humaine : sélection de parentèle de W. Hamilton, anticipation de réciprocité de R. Trivers, sélection de groupe de D.S. Wilson et E. Sober. Mais il existe un quatrième facteur explicatif connaissant un regain d’intérêt : la sélection sexuelle. L’hypothèse en a été faite la première fois par le chercheur Amotz Zahavi, dans le cadre de sa « théorie du handicap » : un animal parvenant à supporter un ornement coûteux (par exemple un plumage abondant et vif) est supposé avoir de « meilleurs gènes » (pour la survie) qu’un autre, car il parvient à déjouer prédateurs et concurrents malgré son « handicap ». En général, ce sont les mâles qui exhibent ces caractères secondaires luxuriants et les femelles qui les sélectionnent. L’altruisme, notamment l’altruisme envers les non-apparentés, serait une forme de handicap : celui qui est capable de sacrifier temps et énergie pour les autres serait un bon parti. Dans le cas de l’espèce humaine, l’altruisme est rendu nécessaire par le dimorphisme sexuel et l’investissement parental : la grossesse est coûteuse et invalidante pour la femme, l’enfant connaît un développement lent appelant soin, nourriture et protection sur une longue durée. L’intérêt de la femme (sa probabilité relative de survie ainsi que celle de ses enfants) est de trouver un partenaire sexuel s’engageant durablement. Mais ce n’est pas forcément l’intérêt de l’homme, qui peut choisir une stratégie de dissémination de ses gènes (multiplier des partenaires sexuels, sans s’occuper ensuite des enfants). L’altruisme pourrait être un marqueur d’investissement parental : le fait de montrer une certaine constance dans l’engagement et l’attention en faveur des autres est corrélé avec une plus forte probabilité d’un tel engagement et d’une telle attention au sein du couple. La cognition et le langage ont pu de surcroît renforcer le « commérage sexuel » au sein des groupes humains dans l’évolution, la plus ou moins bonne réputation des mâles formant un filtre de sélection pour les femelles.

Plusieurs travaux ont documenté cette préférence pour l’altruisme dans la sélection du partenaire. Par exemple, on a montré que chez les chasseurs-cueilleurs, les meilleurs chasseurs du groupe partagent leur nourriture (c’est-à-dire que leurs familles ne sont pas avantagées) en même temps qu’ils ont le meilleur succès reproductif. L’altruisme ne peut en être pas la cause directe (puisqu’il y a partage, coûteux pour les apparentés), ce qui laisse entendre que cet altruisme fait l’objet d’une sélection indépendante des ressources. Les études interculturelles de David Buss ont montré que des traits psychologiques comme la gentillesse et le caractère compréhensif font partie des caractéristiques les plus appréciées dans le choix du partenaire à long terme (avant la richesse ou la beauté), dans 37 cultures contemporaines pourtant très différentes du point de vue technologique, économique, démographique ou religieux. D’autres recherches ont observé que parmi 76 traits possibles chez un reproducteur, la considération, l’honnêteté, la gentillesse, l’affection, la bienveillance figurent parmi les plus appréciés, les femmes étant plus portées que les hommes à les placer au sommet de leur hiérarchie de valeurs.

Des chercheurs en biologie et psychologie de l’Université de Nottingham (Royaume-Uni) viennent d’apporter une nouvelle pièce à ce dossier. Ils ont tout d’abord conçu une échelle qualitative de « préférence du partenaire pour des traits altruistes » (MPAT scale), validée par une démarche qualitative et quantitative auprès de 380 étudiants occidentaux. La conception de cette échelle incluait l’analyse de situation altruiste vers des non-apparentés (plonger dans une rivière pour sauver un inconnu, consacrer un peu de son temps libre à aider des voisins dans le besoin, être volontaire bénévole dans un hôpital, etc.). Sur 50 items, 16 se sont révélés efficaces pour cerner le degré d’altruisme et forger une analyse en composantes principales. De ce premier travail, il résulte que les femmes obtiennent un score supérieur à celui des hommes pour l’échelle MPAT, ce qui est conforme aux prédictions de la sélection sexuelle de l’altruisme. Cette échelle a ensuite été testée chez 340 couples d’âge divers (57,9 ans en moyenne). La même différence a été observée entre les sexes. Par ailleurs, plus le MPAT de la femme était élevé, plus l’altruisme du partenaire mesuré par autoquestionnaire standardisé l’était aussi (corrélation positive de 0,41). Une troisième étude a été consacrée au choix de personnes plus jeunes (398, âge moyen 19,4 ans) selon l’échelle MPAT. La même différence entre les sexes en ressort. Dans ces deux dernières analyses, les variations du niveau d’altruisme auto-rapporté des individus n’étaient pas significativement associées aux variations des préférences pour l’altruisme chez le partenaire (cela signifie que la préférence pour un partenaire altruiste n’est pas un simple dérivé de son propre altruisme).

Référence :
Philips, T. et al. (2008), Do humans prefer altruistic mates? Testing a link between sexual selection and altruism towards non-relatives, British Journal of Psychology, 99, 555-572, doi : 10.1348/000712608X298467

Illustration : photographie de Sabine Pigalle (exposition en cours, «Phobie», à la Galerie Bailly).

A lire aussi : sur la place de la sélection sexuelle dans l’évolution de la cognition humaine, L’intelligence sexuelle.

lundi 13 octobre 2008

Vision, sexe et spéciation

Yeux noirs et cheveux bruns comme critères de sélection d’un partenaire? Dans le règne animal aussi, les stimuli visuels jouent un rôle important. Chez de nombreuses espèces, les couleurs nuptiales du mâle décident de son succès ou de son échec auprès des femelles. Une étude menée avec des poissons multicolores révèle que ces choix ne sont pas dictés par une quelconque notion de beauté physique, mais par la sensibilité spectrale des yeux des femelles résultant elle-même d’une adaptation à leur environnement. Les femelles qui distinguent mieux le bleu porteront leur choix sur un mâle bleu chatoyant. Celles qui sont plus sensibles au rouge préfèreront un partenaire sexuel rouge vif. Ces préférences peuvent être si fortes qu’elles conduisent à l’apparition de nouvelles espèces – à condition bien sûr que la diversité d’habitats de leur milieu n’ait pas été compromise par des activités anthropiques néfastes. Alpha Galileo. > Suite

Ejaculation précoce : une base génétique

L’éjaculation est définie comme précoce lorsque le temps de latence intravaginale avant l’expulsion du sperme est de moins d'une minute. Une équipe de chercheurs néerlandais a étudié 89 sujets souffrant d’éjaculation précoce (face à 92 sujets sains de contrôle), et particulièrement leur polymorphisme génétique 5-HTTLPR (impliqué dans le transport et la réception de la sérotonine dans le cerveau). La moyenne géométrique des éjaculats étaient de 21 secondes chez les patients trop rapides. Le génotype LL s’est révélé être associé à cette précocité en comparaison des génotypes LS et SS. Bien qu’il n’y ait pas consensus international sur la définition et la mesure du trouble, on estime que l’éjaculation précoce concerne entre 20 et 30% des individus (Basile Fasolo 2005, Montorsi 2005, Porst 2007). Le cas est intéressant comme sujet de réflexion évolutionnaire. On pourrait se dire que les éjaculateurs précoces ont un avantage sur les compétiteurs, puisque déposant leur semence en quatrième vitesse, ils minimisent la probabilité d’être dérangés pendant l’acte. En même temps, il a été suggéré que la pénétration a aussi pour fonction de « nettoyer » le vagin de la présence d’un sperme concurrent, ce qui expliquerait la taille importante du pénis humain en comparaison des autres primates (Gallup et Burch 2005). Dans cette hypothèse, l’éjaculateur précoce se trouve désavantagé.

La voix de l'ovule

Depuis quelques années, les chercheurs sont en quête des marqueurs discrets de sélection sexuelle chez les humains. Gregory A. Bryant et Martie G. Haselton viennent d’étudier les variations de la voix chez les femmes selon qu’elles sont en phase folliculaire (fertilité haute) ou lutéale (fertilité basse). L’ovulation a été contrôlée par test hormonal. Les 69 volontaires devaient lire une phrase, et les variations de voix ont été analysées (fréquence fondamentale, dispersion de formant, gigue, vitesse d’élocution, etc.). Il en ressort que les femmes montrent une augmentation de la fréquence fondamentale (pitch) dans la période de fertilité maximale (fenêtre de deux jours avant l’ovulation). L’étude est publiée dans les Biology Letters.

dimanche 12 octobre 2008

Dites-le avec des fleurs

Soit des roses qui poussent sur une haie, d’autres qui sont posées en bouquet devant la porte d’une maison. Vous n’inférez probablement pas les mêmes significations de ces fleurs pourtant identiques. Dans Brain and Language, Kristian Tylén et ses collègues se sont demandé quelles régions cérébrales font cette différence dans le sens attribué aux événements. Réponse : ce sont les aires du langage (voie ventrale et pars triangularis du cortex frontal inférieur) qui s’activent pour interpréter de telles scènes en photographies. Ce qui pourrait suggérer que nos symboliques sociales sont, en partie, des dérivées de nos sémantiques linguistiques. Mais ce n'est pas évident, quand on y réfléchit : des espèces animales sans langage pratiquent l'offrande de biens en vue de la copulation. Il se peut que le sens du geste (offrir des roses) préexiste au langage, et que l'activation des aires cérébrales du langage soit dérivée de ce sens initial.

jeudi 9 octobre 2008

Du meurtre du père à l'alliance contre le mâle alpha

Dans Totem et tabou, Freud imagine une horde primitive où le père tout-puissant monopolise les femmes. Ses fils rebelles le tuent et totémisent son image, pour conjurer cet acte fondateur parricide. La biologie évolutionnaire a moins d’imagination littéraire ou d’inspiration symbolique, mais elle se pose parfois des questions assez semblables. Comment ont émergé les sociétés de chasseurs-cueilleurs, égalitaires, depuis des hordes primates hiérarchiques, dominées par un mâle alpha violent et polygame ? Trois chercheurs développent dans PloS ONE un modèle stochastique de formation des alliances au cours de l’hominisation. Avec un nombre limité de paramètres, les auteurs montrent qu’un système d’alliances peut très bien apparaître dans le cadre d’une compétition intense des individus pour le succès social et reproductif : dès lors que des associations dyadiques commencent à se former par affinité entre quelques individus, la meilleure stratégie pour les autres est d’en rejoindre une. Et lorsque ces alliances deviennent elles-mêmes héritables (transmission culturelle), on voit émerger dans le modèle la stratégie d’une alliance unique rassemblant tous les membres d’un groupe.

samedi 4 octobre 2008

Intelligence et choix féminin du partenaire

Nous commentions récemment une recherche montrant que les riches semblent posséder un léger avantage dans la compétition reproductive, quoique cet avantage soit moins évident dans une société moderne capitaliste que dans une société traditionnelle, contrairement aux idées reçues. Qu’en est-il donc des hommes intelligents ? Mark D. Prokosch et ses collègues, du Département de psychologie de l’Université de Californie, se sont penchés sur cette question. Dans un premier temps, 15 jeunes hommes (âge moyen 19,2 ans) ont passé un test de QI verbal (WAIS-III, sous-section vocabulaire). Ils ont ensuite été filmés dans diverses conditions : en train de lire à voix haute des titres de presse, en train de répondre à une question ouverte faisant appel à une certaine créativité (« que pourrait signifier la découverte de vie sur Mars pour la vie sur Terre ?), en train de se présenter sous le meilleur jour possible (« Donner trois raisons pour lesquelles vous seriez un bon candidat pour une rencontre ? »), en train de jouer au frisbee.

209 jeunes filles, d’âge moyen de 19,4 ans, ont dû ensuite remplir un questionnaire (incluant leur période d’ovulation au moment du test) et donner leurs préférences concernant les garçons visionnés. Ces préférences concernaient les deux dimensions habituellement analysées en psychologie évolutionnaire : rencontre à court terme (aimeriez-vous passer une nuit avec ce garçon), union à long terme (pourriez-vous prendre ce garçon comme mari et père de vos enfants). Les jeunes filles devaient aussi donner leur avis sur l’intelligence des garçons (sans connaître leur résultat au test, bien sûr, juste daprès les séquences), ainsi que sur diverses qualités : attractivité physique, créativité, sécurité financière, impression de sécurité (dans l’hypothèse d’être avec le garçon).

L’intelligence subjectivement évaluée a prédit 13,0 % de la variance dans le choix d’un homme à long terme, contre 30,7 % pour le physique, 18,2 % pour la sécurité et 14,3 % pour la richesse. Dans le cas d’une liaison à cour terme, l’intelligence expliquait 2,8 % de la variance, contre 59,2 % pour le physique, 2,9 % pour la sécurité et 10,1 % pour la richesse. Il est à noter que cette évaluation subjective a été positivement corrélée à l’intelligence réelle (mesurée) des hommes, ce qui signifie que les vidéos comportementales donnent de bons indices sur celle-ci. L’intelligence réelle des garçons a expliqué quant à elle 3,4 % du choix comme partenaire à long terme, et 3,2 % comme partenaire à court terme. La créativité, de son côté, a obtenu de scores élevés : 26,9 % de la variance pour une liaison à long terme ; 18,1 % pour une liaison à court terme ; mais la variable semblait cependant plus facilement confondue avec l’attractivité physique que l’intelligence). Il est à noter que la période ovulatoire est restée sans effet significatif sur l’expression de ces préférences, contrairement à d’autres traits où l’on observe des variations selon que la femme est fertile ou non.

Quelles conclusions doit-on tirer pour cet échantillon ? Tout d’abord, l’intelligence verbale peut être déduite de l’observation comportementale comme indice phénotypique, et elle n’est pas neutre dans le choix d’un partenaire à court comme à long termes : à autres qualités égales, l’intelligence est susceptible de faire la différence. Elle reste cependant loin derrière l’attractivité physique, comme premier facteur de choix. Ensuite, la créativité semble une dimension à part entière des préférences féminines, là encore pour des unions à court comme à long termes, ne se confondant que partiellement avec l’intelligence perçue ou mesurée. Il est possible que certaines qualités appréciées, comme le sens de l’humour, soient des indices de cette créativité.

Référence :
Prokosch M.D. et al. (2008), Intelligence and mate choice: intelligent men are always appealing, Evol Hum Behav, online pub., doi:10.1016/j.evolhumbehav.2008.07.004

(Merci à Mark Prokosch de m’avoir transmis son papier).


A lire aussi sur ce site : L'intelligence sexuelle.

mercredi 1 octobre 2008

La survie des plus riches

Quels sont justement les critères de fertilité au sein des sociétés humaines, c’est-à-dire la sélection phénotypique avantageant certains traits ? Les facteurs sont nombreux. Parmi eux, anthropologues et biologistes ont noté de longue date que la richesse, elle-même associée au statut social, est corrélée positivement au succès reproductif dans les sociétés anciennes ou les sociétés actuelles restées traditionnelles (pré-industrielles). Pour les sociétés contemporaines développées, les données sont cependant plus confuses. Des travaux n’ont trouvé aucune association particulière entre le statut socio-économique et la fertilité, suggérant un « paradoxe moderne » du point de vue darwinien. Mais ces travaux ont été contestés pour plusieurs raisons méthodologiques : études longitudinales trop courtes n’embrassant pas toute la période reproductive, confusion des facteurs éducation et revenus dans l’analyse. Deux travaux récents ont repris l’analyse en évitant ces biais (Hopcroft 2006 sur la société américaine, Fieder et Huber 2007 sur la population suédoise). Ils ont montré l’un et l’autre que l’éducation et le revenu agissent en sens contraire : un haut niveau d’éducation abaisse la probabilité de fertilité finale forte, alors qu’un haut niveau de revenus l’augmente, du moins chez les hommes. Car chez les femmes, c’est l’inverse : plus les revenus sont élevés, plus le nombre d’enfants est faible.
Daniel Nettle et Thomas V. Pollet ajoutent une nouvelle pièce au dossier, par une étude portant sur la société anglaise. Les chercheurs ont utilisé les données de la National Child Development Study (NCDS), suivant le parcours de vie de 17.416 sujets nés entre le 3 et le 9 mars 1958 (plus précisément la cohorte NCDS7 analysée en 2004, à l’âge de 46 ans, avec 11.939 sujets encore suivis à cette date). A la date de l’analyse, les femmes avaient en moyenne 1,83 enfant, les hommes 1,66. Les hommes les plus éduqués ont un peu moins d’enfants que les hommes les moins éduqués (-0,09), le différentiel étant plus marqué pour les femmes (-0,22). Concernant le lien entre la fertilité et les revenus, l’analyse statistique (régression en fonction ln) montre une relation significative et positive chez les hommes, significative et négative chez les femmes (figure ci-contre). D’où vient la fertilité plus importante des hommes riches ? Trois hypothèses ont été testées : la facilité à se marier, la facilité à avoir des enfants au sein du couple, la facilité à se marier plusieurs fois (mariage sériel et multiples foyers). La première et la troisième n’ont montré aucune association significative avec les revenus : la principale différence entre les hommes riches et les hommes pauvres réside en fait dans la plus grande probabilité pour les seconds de n’avoir aucun enfant. Sur ce point, éducations et revenus jouent en sens inverse, et pour les deux sexes (les hommes comme les femmes les plus éduqués ont une plus forte probabilité de n’avoir pas d’enfant du tout).

Nettle et Pollet ont ensuite comparé les données de son étude avec celles de Hopcroft, Fieder et Huber (trois sociétés contemporaines développées), huit sociétés agraires ou pastoralistes européennes et africaines, trois sociétés de chasseurs-cueilleurs. Le gradient de sélection linéaire sur l’axe de corrélation fertilité-richesse pour les mâles est de 0,13 dans les sociétés contemporaines, 0,24 dans les sociétés agraires européennes monogames, 0,30 dans les sociétés chasseurs-cueilleurs, 0,63 dans les sociétés africaines polygames (agraires ou pastoralistes). On constate donc que la corrélation est positive dans toutes les sociétés étudiées, mais qu’elle varie selon l’environnement économique, le mode d’acquisition des ressources et les systèmes de mariage.

«Cette étude pointe diverses questions du point de vue évolutif, concluent les auteurs. Avant tout, elle montre que les sociétés modernes sont quantitativement, et non qualitativement différentes des sociétés pré-industrielles. C’est-à-dire que les gradients sélectifs sur les ressources, au moins pour les hommes, sont atténués, mais ne sont pas abolis ou inversés. (…) Ces données suggèrent aussi une continuité appréciable entre les sociétés modernes et les sociétés de chasseurs-cueilleurs, où la sélection se fait sur l’aptitude des mâles à chasser, et même d’autres espèces, où le rang du mâle est généralement corrélé de manière positive au succès reproductif. (…) Bien sûr, la sélection phénotypique ne produit des changements évolutifs que si le trait a quelque base héritable. Nous manquons d’information pour savoir s’il y a des variations génétiques affectant la propension à accumuler des ressources à travers les cultures, mais de premières estimations fondées sur les études de jumeaux et d’adoption suggèrent une héritabilité modeste au sein des populations industrielles. Cela pose la possibilité intéressante d’une sélection génétique aussi bien que phénotypique en cours, liée à la richesse des mâles chez les humains».

Ajoutons pour finir qu’aux échelles de temps correctes pour l’évolution – plusieurs centaines à milliers de générations –, ces données fort intéressantes ne seront probablement plus pertinentes pour l’espèce humaine, ou pour une partie d’entre elle. Il est assez difficile d’imaginer qu’Homo sapiens ayant déchiffré les lois de l’évolution et séquencé son génome se contentera dans les décennies, siècles et millénaires à venir de se reproduire exactement à l’identique, en respectant scrupuleusement ce que le jeu aléatoire de la sélection avait produit pour ses ancêtres.

Référence et illustration :
Nettle D. T.V. Pollet (2008), Natural selection on male wealth in Humans, American Naturalist, online pub, doi : 10.1086/591690

(Merci à Daniel Nettle de m’avoir fait parvenir son travail).

Sexes, longévité et fertilité

Les sexes ne présentent pas tout à fait les mêmes caractéristiques de longévité, notamment chez les mammifères. On observe une surmortalité masculine à la plupart des âges, qui est notamment rapportée aux effets directs (affaiblissement du système immunitaire) et indirects (agressivité, compétition mâle-mâle) de la testostérone, hormone produite en bien plus grande quantité par les mâles que par les femelles. Alexei A. Maklakov a comparé les longévités masculines et féminines dans 205 pays et territoires où les données statistiques sont disponibles. Il a corrélé cette longévité à divers facteurs : latitude, densité de la population, fertilité finale, revenu national brut pondéré en parité de pouvoir d’achat (RNB-PPA). Il en résulte des différences intéressantes entre les sexes. Ainsi, si l’espérance de vie totale est associée aux conditions économiques favorables, ce sont les hommes qui en profitent le mieux (leur différence de mortalité avec les femmes décroît plus vite). Un facteur de premier plan est la fertilité : 33 % des différences de longévité par sexe entre pays sont associés au nombre d’enfants par femme. Ces résultats sont convergents avec les études sur les sociétés pré-industrielles et les sociétés de chasseurs-cueilleurs, montrant des longévités identiques entre hommes et femmes dues à une surmortalité féminine en couche. Les gains rapides en espérance de vie des femmes dans les sociétés développées et le différentiel creusé avec les hommes tiennent notamment à ce que les premières investissent de moins en moins dans la reproduction (baisse tendancielle de la fertilité finale). A contrario, cela rappelle que le coût direct de la reproduction est inégalement réparti entre mâles et femelles.

Référence :
Maklakov A.A. (2008), Sex difference in life span affected by female birth rate in modern humans, J. Evol. Hum. Behav., online pub., doi:10.1016/j.evolhumbehav.2008.08.002

(Merci à Alexei Maklakov de m’avoir envoyé son papier).