mardi 29 avril 2008

Oestrus humain : la femme en chaleur

Les oestres sont des mouches dont les larves parasitent les chevaux, les taureaux, les moutons ou les humains à l’occasion. L’oestrus, dérivé du terme grec puis latin servant à les nommer, a pris un sens différent en biologie : il désigne la période féconde du cycle ovulatoire durant laquelle la femelle éprouve une excitation sexuelle et se montre réceptive à l’accouplement. On parle aussi des chaleurs.

Jusqu'à présent, on pensait que l’oestrus ne concerne pas la femelle humaine. Contrairement à de nombreux espèces où l’oestrus se manifeste avec la plus grande évidence, par des changements physiologiques et comportementaux, la femme semble cacher son ovulation et ne manifeste pas, sauf exception, de débordements érotiques visant à un accouplement rapide avec le premier mâle de passage. Et pourtant, Steven W. Gangestad et Randy Thornhill (Université d’Albuquerque) suggèrent dans leur récent papier de synthèse que cette croyance est erronée : il existe bel et bien un oestrus chez la femelle humaine dans sa période péri-ovulatoire.

Pour le montrer, les deux auteurs rassemblent les conclusions de 20 travaux menés entre 1991 et 2008 sur les modifications des préférences sexuelles des femmes au cours de leur cycle. Toutes ces recherches ont été menées sur des sujets ne prenant aucun contraceptif. Et toutes montrent un certain nombre de variations significatives : par exemple, les femmes sont plus sensibles aux effluves d’androstérone et de testostérone, aux traits masculins associés avec un haut niveau de ces hormones, au comportement dominant, aux voix, aux visages et aux corps jugés les plus masculins par leur groupe d’appartenance, à une taille élevée, à des traits faciaux ou corporels symétriques, à des odeurs corporelles et à leurs corrélations avec la proximité ou la distance génétique du système majeur d’histocompatibilité… A ces variations inconscientes de préférence en faveur des mâles supposés avoir de bonnes qualités génétiques de reproducteurs s’ajoutent diverses variations cognitives et comportementales : les femmes ont par exemple en moyenne plus de fantasmes (en pensée) en phase péri-ovulatoire et leurs fantasmes sont alors plus souvent orientés vers un autre homme que leur partenaire officiel. Chez ce dernier, on a d’ailleurs observé symétriquement une plus grande jalousie lors de la période féconde de leur partenaire, un plus grand empressement à les accompagner ou à prendre soin d’elles, une plus grande possessivité. Soit une co-évolution antagoniste assez classique.

Il faut donc s’y faire : même si leur visage, leur poitrine, leurs fesses ou leur vulve ne rougissent pas comme chez certaines de leurs cousines primates, les femmes (ou une certaine proportion d’entre elles) n’en connaissent pas moins des chaleurs. Un homme averti en vaut deux, n’est-ce pas ?

Référence :
Gangestad S.W., R. Thornhill (2008), Human oestrus, Proc. Roy. Soc. B., 275, 991-1000, doi : 10.1098/rspb.2007.1425

Illustration : Julia Roberts et Richard Gere dans le film Pretty Woman (1990) (DR). Toute interprétation sauvage d’un rapport de cause à effet entre la robe rouge d’une belle femme et la précieux cadeau d’un homme riche ne recevrait pas notre caution, bien sûr.

samedi 26 avril 2008

La grande santé de Pat Califia

Pat Califia désigne deux personnes : Patricia, née aux Etats-Unis dans un milieu mormon, devenue lesbienne à 13 ans et sadique à 17 ans ; Patrick, ayant entamé sa transition (changement de sexe) en 1999. Cet essai, paru dans la collection l’Attrape-Corps des éditions La Musardine, rassemble douze articles rédigés entre 1979 et 1999 par celle qui devait s’imposer comme une figure du féminisme ainsi que du mouvement lesbien, gay, bi et transgenre. Mais une figure atypique : l’orientation SM de Pat Califia lui valut immédiatement des rejets de la part de la communauté lesbienne (le SM n’étant pas assez exclusif, trop mâle, pratiqué à l’occasion avec des hommes gays ou hétéros) aussi bien que du mouvement féministe (le SM étant assimilé à la réification fétichiste et à la domination masculine, à la misogynie et à la violence). Opposition paradoxale qui valut à l’auteur ce constat amer et précoce : les mouvements d’émancipation des femmes ou des minorités, dirigés contre un ordre hétérosexuel, monogame et patriarcal dominant, tendent à créer en interne des contraintes normatives et des régulations comportementales parfois aussi étouffantes.

Mais il en aurait fallu bien plus pour faire taire Pat Califia. Au fil de ces textes subversifs, elle décrit les pratiques qu’elle a choisies et les réflexions que ces pratiques nourrissent sur le mouvement LGBT et le féminisme. L’essai peut donc se lire comme une confession, une observation ou une réflexion, dont l’objet ne varie guère : le rapport que l’individu entretient avec ses choix sexuels, la réception de ces choix dans les minorités et dans la société en général. Il faut préciser que Pat Califia est douée d’un style remarquable, une rythmique percutante alliant sans la moindre difficulté dans un même texte des considérations tout à fait personnelles et pragmatiques à des propos bien plus généraux et théoriques. Les pages les plus saisissantes de l’ouvrage concernent certainement la description vécue de la pratique SM, vue du point de vue sadique (top ou dominant par opposition à bottom ou soumis) — mais un point de vue non exclusif, car Pat Califia est avant tout fascinée par la fluidité des rôles et des genres, par la capacité des individus à repenser leur corps et ses situations depuis les principes de désir et de plaisir, en parfaite indifférence à la morale et au quand dira-t-on. A tous ceux qui considèrent les pratiques minoritaires comme l’expression nécessaire d’un mal-être existentiel ou d’un dérèglement psychique, Pat Califia apporte la plus simple des réponses : un témoignage débordant de vitalité, de joie, d’intelligence, un gai savoir et une grande santé dont le simple contact rend la libération sexuelle un peu moins utopique.

Référence :
Califia P. (2008), Sexe et utopie, Paris, La Musardine, 196 p.

Illustration : collage de Philippe Tissier, galerie Blockhaus.

jeudi 10 avril 2008

De la construction du genre chez le singe rhésus

Chaque année, au moment de Noël, la section féministe de l’association Mix-Cité fait des descentes dans les grands magasins pour mettre en garde les parents sur la nature sexuée des jouets. Voyez-vous, acheter des poupées pour sa fille et des soldats pour son fils les inscrit à tout jamais dans un genre socialement déterminé.

En décembre prochain, Mix-Cité devra aussi manifester dans les zoos.

Une équipe dirigée par le psychologue Kim Wallen (Centre Yerkes de recherche sur le primate, Atlanta) vient en effet de tester les préférences des jeunes singes rhésus, âgés de 1 à 4 ans, accompagnés d’adultes plus âgés. Dans une cage, les chercheurs ont disposé deux types de jouets, certains en acier (type voitures ou wagonnets), d’autres en peluche (type poupées). Ils ont ensuite filmé les comportements des singes, puis décomposé le temps passé avec chaque type de jouet. Résultat : les mâles ont montré une préférence pour les jouets en acier, les femelles ont joué indifféremment avec les deux catégories.

Une étude ne fait pas le printemps direz-vous (ni même le Noël féministe), et vous aurez raison. Mais le travail des primatologues de Yerkes n’est pas isolé. En 2002, Gerianne M. Alexander et Melissa Hinesa avaient abouti au même résultat chez le singe vervet (cercopithèque) : le temps passé par les mâles avec des ballons et des voitures était plus important que celui des femelles ; et inversement pour les poupées et les pots (voir aussi Alexander 2003).

La suite à venir : babouins, chimpanzés, bonobos et gorilles auront-ils besoin de Mix-Cité pour les aider à déconstruire l’assignation des rôles sociosexuels ?

Références :
Alexander G.M., M Hinesa (2002), Sex differences in response to children's toys in nonhuman primates (Cercopithecus aethiops sabaeus), Evolution and Human Behavior, 23, 6, 467-479.
Alexander, G.M. (2003), An evolutionary perspective of sex-typed toy preferences: pink, blue, and the brain, Archives of Sexual Behavior, 32, 7-17.
Hassett J.M. et al. (2008), Sex differences in rhesus monkey toy preferences parallel those of children, Hormones and Behavior, online pub., doi:10.1016/j.yhbeh.2008.03.008

Illustration : extrait de vidéo New Scientist. On peut la consulter ici.

dimanche 6 avril 2008

Ordi, mon ordi : suis-je la plus belle ?

2018. Catherine se connecte sur son réseau social FaceLook et voit une nouvelle application : Suis-je la plus belle? Elle l'installe. Son ordinateur portable prend un cliché de son visage, l'analyse et lui donne instantanément son classement : 27 341e en catégorie "global", 19 765e en catégorie "caucasienne". Catherine est d'abord un peu mortifiée. Puis elle se dit qu'il y a 300 millions de membres sur FaceLook et que son score est quand même très honorable.

Ce scénario de science-fiction pourrait devenir bientôt réalité. L'équipe d'Amit Kagian (Ecole de science informatique de l'Université de Tel Aviv) a en effet mis au point un logiciel de reconnaissance faciale capable de reproduire assez fidèlement les jugements humains en matière d'attractivité physique. Dans la première phase de l'expérience, 30 hommes et femmes devaient juger et classer 100 photographies de visages féminins. Dans un second temps, les informaticiens ont décomposé les éléments d'attracivité des visages les mieux ou les moins biens notés, comme par exemple la symétrie des traits (un fort prédicteur dans toutes les cultures), la qualité du grain de peau, etc. Ayant ainsi passé une phase d'apprentissage, leur logiciel s'est montré capable de prédire par la suite les classements esthétiques des humains sur de nouvelles photos.

Référence :
Kagian A. et al. (2008), A machine learning predictor of facial attractiveness revealing human-like psychophysical biases, Vision Research, 48, 2, 235-243.

mardi 1 avril 2008

Jouir avec entraves

Les adeptes des jeux sexuels de domination et soumission, dits aussi BDSM (bondage, discipline, sado-masochisme), sont-ils des individus déséquilibrés, ayant souffert de sévices dans leur jeunesse, incapables de savoir où est leur bien ? C’est probablement ce que pensent certaines associations féministes « antisexe » de type Chiennes de garde. C’est certainement ce que pense la Cour européenne des droits de l’homme, qui a condamné les pratiques SM entre adultes consentants (affaire Laskey, Jaggard et Brown vs Royaume-Uni, 1997). Et après tout, c’est peut-être votre avis.

Rien de tel toutefois que d’observer les faits plutôt que ses préjugés pour se forger une opinion. Et si possible de manière quantitative, au lieu de glaner deux ou trois anecdotes à la véracité douteuse et à la représentativité nulle. En bon adepte des grands nombres, Juliet Ritchers et ses collègues australiens ont interrogé 19.307 individus âgés de 16 à 59 ans sur leur comportement sexuel, sur leurs difficultés éventuelles en ce domaine, sur divers facteurs démographiques et psychosociaux. Il en ressort que 1,8 % des personnes sexuellement actives ont été impliquées dans une activité SM au cours de l’année précédant l’entretien (2,2 % des hommes, 1,3 % des femmes).

Portrait-robot de l’adepte des coups et blessures volontaires : par rapport à la moyenne de sa population, il est plus souvent gay, lesbienne ou bisexuel-le, il a plus souvent fait l’expérience du sexe oral ou anal, il a plus souvent utilisé des sex toys ou consommé du matériel classé X (internet ou télévision), il a eu plus d’un partenaire dans l’année écoulée. Côté biographique et psychologique : les SM n’ont pas plus connu de contraintes sexuelles que la moyenne de la population, ils ne sont pas plus malheureux ou anxieux que les autres – pour les hommes, c’est même le contraire, ils ont des scores moindres aux questionnaires de détresse psychologique.

Conclusion des scientifiques : « Notre étude soutient l’idée que le BDSM est simplement un intérêt sexuel ou une sous-culture attirante pour une minorité, et que pour la plupart des participants, elle n’est pas le symptôme psychopathologique d’un abus passé ou d’une difficulté avec le sexe ‘normal’ ». Pas de chance pour les bonnes âmes, il faudra donc faire le bien des SM malgré eux. Mais c’est peut-être une forme raffinée de supplice, qui sait ?

Référence :
Ritchers J. et al. (2008), Demographic and psychosocial features of participants in bondage and discipline, "sadomasochism" or dominance and submission (BDSM): Data from a national survey, J. Sex Med., online prepub., doi:10.1111/j.1743-6109.2008.00795.x

Illustration : Jennifer en détresse, Gilles Berquet, 2003 (galerie Clair Obscur).