samedi 17 janvier 1998

Psychopathia sexualis, Krafft-Ebing, III (D), Névroses cérébrales (1A) Masochisme (D) Chez la femme


Psychopathia Sexualis
avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
Richard von Krafft-Ebing
Trad: Emile Laurent et Sigismond Csapo
Ed. Georges Carré, Paris, 1896

Source : Project Gutenberg
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III
NEVROSES CEREBRALES


I.--AFFECTION SEXUELLE POUR DES PERSONNES DE L'AUTRE SEXE AVEC MANIFESTATION PERVERSE DE L'INSTINCT.

MASOCHISME OU EMPLOI DE LA CRUAUTÉ ET DE LA VIOLENCE SUR SOI-MÊME POUR PROVOQUER LA VOLUPTÉ.

D.—LE MASOCHISME CHEZ LA FEMME

Chez la femme, la soumission volontaire à l'autre sexe est un phénomène physiologique. Par suite de son rôle passif dans l'acte de la procréation, par suite des mœurs des sociétés de tous les temps, chez la femme l'idée des rapports sexuels se rattache en général à l'idée de soumission. C'est pour ainsi dire le diapason qui règle la tonalité des sentiments féminins.

Celui qui connaît l'histoire de la civilisation sait dans quelle condition de soumission absolue la femme fut tenue de tout temps jusqu'à l'époque d'une civilisation relativement plus élevée58.

    Note 58:
    Les livres de droit du commencement du moyen âge donnaient à l'homme le droit de tuer sa femme; ceux des périodes suivantes lui accordaient encore le droit de la châtier. On en a fait un ample usage, même dans les classes élevées (Comparez Schultze, Das hæfische Leben sur Zeit des Minnesangs, Bd I. p. 163 f.). À côté on trouve le paradoxal hommage rendu aux femmes du moyen âge.

Un observateur attentif de la vie sociale reconnaîtra facilement, aujourd'hui même, comment les coutumes de nombreuses générations jointes au rôle passif que la nature a attribué à la femme, ont développé dans le sexe féminin la tendance instinctive à se soumettre à la volonté de l'homme. Il remarquera aussi que les femmes trouvent inepte une accentuation trop forte de la galanterie usuelle, tandis qu'une nuance d'attitude impérieuse est accueillie avec un blâme hautement manifesté, mais souvent avec un plaisir secret59.

    Note 59:
    Comparez les paroles de Lady Milford dans Kabale und Liebe de Schiller: «Nous autres femmes, nous ne pouvons choisir qu'entre la domination et la servitude; mais le plus grand bonheur du pouvoir n'est qu'un misérable pis-aller, si ce plus grand bonheur d'être esclaves d'un homme que nous aimons nous est refusé.» (Acte II, scène 1.)

Sous le vernis des mœurs de salon, l'instinct de la servitude de la femme est partout reconnaissable.

Ainsi il est tout indiqué de considérer le masochisme comme une excroissance pathologique des éléments psychiques, surtout chez la femme, comme une accentuation morbide de certains traits de son caractère sexuel psychique; il faut donc chercher son origine primitive dans le sexe féminin.

On peut admettre comme bien établi que le penchant à se soumettre à l'homme—(qu'on peut toutefois considérer comme une utile institution acquise et comme un phénomène qui s'est développé conformément à certains faits sociaux)—existe chez la femme, jusqu'à un certain point, comme un phénomène normal.

Que, dans ces circonstances, on n'arrive pas souvent à «la poésie» de l'hommage symbolique, cela tient en partie à ce que l'homme n'a pas la vanité du faible qui veut faire ostentation de son pouvoir (comme les dames du moyen âge en présence de leur cavalier servant), mais qu'il préfère en tirer un profit réel. Le barbare fait labourer ses champs par sa femme; le philistin de notre civilisation spécule sur la dot. La femme supporte volontiers ces deux états.

Il est probable qu'il y a chez les femmes des cas assez fréquents d'une accentuation pathologique de cet instinct dans le sens du masochisme, mais la manifestation en est réprimée par les conventions sociales. D'ailleurs, beaucoup de jeunes femmes aiment avant tout être à genoux devant leurs époux ou leurs amants. Chez tous les peuples slaves, dit-on, les femmes de basse classe s'estiment malheureuses quand elles ne sont pas battues par leurs maris.

Un correspondant hongrois m'assure que les paysannes du comitat de Somogy ne croient pas à l'amour de leur mari tant qu'elles n'ont pas reçu de lui une première gifle comme marque d'amour.

Il est difficile au médecin observateur d'apporter des documents humains sur le masochisme de la femme. Des résistances internes et externes, pudeur et convenances, opposent des obstacles presque insurmontables aux manifestations extérieures des penchants sexuels pervers de la femme.

De là vient qu'on n'a pu jusqu'ici constater scientifiquement qu'un seul cas de masochisme chez la femme; encore ce cas est entouré de circonstances accessoires qui le rendent obscur.

    Observation 72.—Mlle V. X..., trente-cinq ans, née d'une famille très chargée, se trouve depuis quelques années dans la phase initiale d'une paranoia persecutoria. Cette maladie a eu pour cause une neurasthenia cerebrospinalis dont le point de départ doit être cherché dans une surexcitation sexuelle. Depuis l'âge de vingt-quatre ans, la malade était adonnée à l'onanisme. À la suite d'un espoir matrimonial déçu et d'une violente excitation sensuelle, elle en est venue à la masturbation et à l'onanisme psychique. Il n'y eut jamais chez elle d'affection pour des personnes de son propre sexe. Voici les dépositions de la malade: «À l'âge de six à huit ans, l'envie m'a prise d'être fouettée. Comme je n'ai jamais été battue et que je n'ai jamais assisté à la flagellation d'autrui, je ne peux pas m'expliquer comment ce désir étrange a pu se produire chez moi. Je ne peux que m'imaginer qu'il est congénital. J'éprouvais un véritable sentiment de délice à ces idées de flagellation et, dans mon imagination, je me représentais combien ce serait bon d'être fouettée par une amie. Jamais la fantaisie ne m'est venue de me laisser fouetter par un homme. Je jouissais à l'idée seule et n'ai jamais essayé de mettre à exécution mes fantaisies. À partir de l'âge de dix ans, j'ai perdu ces idées. Ce n'est qu'à l'âge de trente-quatre ans, lorsque j'eus lu les Confessions de Rousseau, que je compris ce que signifiait cette envie d'être flagellée, et qu'il s'agissait chez moi des mêmes idées morbides que chez Rousseau. Jamais, depuis l'âge de dix ans, je n'ai eu de pareilles tendances.»

Ce cas doit évidemment, par son caractère primitif ainsi que par l'évocation de Rousseau, être classé comme cas de masochisme. Que ce soit une amie qui, dans l'imagination, exerce le rôle de flagellant, cela s'explique simplement par le fait qu'ici les sentiments masochistes entrent dans la conscience d'une enfant avant que la vita sexualis soit développée et que le penchant pour l'homme se manifeste. L'inversion sexuelle est absente dans ce cas d'une façon absolue.

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