mardi 6 janvier 1998

Psychopathia sexualis, Krafft-Ebing, III (D), Névroses cérébrales (1A) Sadisme (B) Nécrophiles


Psychopathia Sexualis
avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
Richard von Krafft-Ebing
Trad: Emile Laurent et Sigismond Csapo
Ed. Georges Carré, Paris, 1896

Source : Project Gutenberg
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III
NEVROSES CEREBRALES


I.--AFFECTION SEXUELLE POUR DES PERSONNES DE L'AUTRE SEXE AVEC MANIFESTATION PERVERSE DE L'INSTINCT.

A.--RAPPORTS ENTRE LA CRUAUTÉ ACTIVE, LA VIOLENCE ET LA VOLUPTÉ.--SADISME[27]

B.--NÉCROPHILES
Au groupe horrible des assassins par volupté les nécrophiles font naturellement suite, car, chez ces derniers, comme chez les premiers, une représentation qui en soi évoque l'horreur et fait frémir l'homme sain ou non dégénéré, est accompagnée de sensations de plaisir, et devient ainsi une impulsion aux actes de nécrophilie.
Les cas de viol de cadavres décrits dans la littérature par les poètes et les romanciers, font l'impression de phénomènes pathologiques; seulement ils ne sont ni exactement observés ni exactement décrits, si l'on veut toutefois excepter le cas du célèbre sergent Bertrand. (Voir plus loin.)
Dans certains cas, il ne se produit peut-être pas d'autre phénomène qu'un désir effréné qui ne considère pas la mort de l'objet aimé comme un empêchement à la satisfaction sensuelle.
Tel est peut-être le septième des cas rapportés par Moreau.
Un homme de vingt-trois ans a fait une tentative de viol sur Madame X..., âgée de cinquante-trois ans, a tué cette femme qui se défendait, puis en a abusé sexuellement et, l'acte commis, l'a jetée à l'eau. Mais il a repêché le cadavre pour le souiller de nouveau. L'assassin a été guillotiné. On a trouvé à l'autopsie les méninges frontales épaissies et adhérentes à l'écorce cérébrale.
D'autres auteurs français ont cité des exemples de nécrophilie. Deux fois, il était question de moines qui étaient de garde auprès d'une morte; dans un troisième cas, il est question d'un idiot atteint de manie périodique. Après avoir commis un viol, il fut interné dans un asile d'aliénés; là, il pénétra dans la salle mortuaire pour violer des cadavres de femmes.
Dans d'autres cas, le cadavre est manifestement préféré à la femme vivante. Si l'auteur ne commet pas d'autres actes de cruauté--dépècement, etc.--sur le corps du cadavre, il est alors probable que c'est l'inertie du cadavre qui en fait le charme. Il se peut qu'un cadavre qui présente la forme humaine avec une absence totale de volonté, soit, par ce fait même, capable de satisfaire le besoin morbide de subjuguer d'une manière absolue et sans aucune possibilité de résistance l'objet désiré.
Brière de Boismont (Gazette médicale, 1859, 2 juillet) raconte l'histoire d'un nécrophile qui, après avoir corrompu les gardiens, s'est introduit dans la chambre mortuaire où gisait le cadavre d'une fille de seize ans, enfant d'une famille très distinguée. Pendant la nuit, on entendit dans la chambre mortuaire un bruit comme si un meuble eût été renversé. La mère de la jeune fille décédée pénétra dans la chambre et aperçut un homme en chemise qui venait de sauter du lit de la morte. On le prit d'abord pour un voleur, mais bientôt on s'aperçut de quoi il s'agissait. On apprit que le nécrophile, fils d'une grande famille, avait déjà souvent violé des cadavres de jeunes femmes. Il a été condamné aux travaux forcés à perpétuité.
L'histoire suivante, racontée par Taxil (La Prostitution contemporaine, p. 171), est aussi d'un grand intérêt pour l'étude de la nécrophilie.
Un prélat venait de temps en temps dans une maison publique à Paris et commandait qu'une prostituée, vêtue de blanc comme un cadavre, l'attendît couchée sur une civière.
À l'heure fixée, il arrivait revêtu de ses ornements, entrait dans la chambre transformée en chapelle ardente, faisait comme s'il disait une messe, se jetait alors sur la fille qui pendant tout ce temps devait jouer le rôle d'un cadavre[39].
[Note 39: Simon (Crimes et Délits, p. 209) cite une observation de Lacassagne auquel un homme très convenable a avoué qu'il n'éprouvait de forte excitation sexuelle que lorsqu'il assistait à un enterrement.]
Les cas où l'auteur maltraite et dépèce le cadavre, sont plus faciles à expliquer. Ils font un pendant immédiat aux assassins par volupté, étant donné que la volupté chez ces individus est liée à la cruauté ou du moins au penchant à se livrer à des voies de fait sur la femme. Peut-être un reste de scrupule moral fait-il reculer l'individu devant l'idée de commettre des actes cruels sur la personne d'une femme vivante, peut-être l'imagination omet-elle l'assassinat par volupté et ne s'en tient-elle qu'au résultat de l'assassinat: le cadavre. Il est probable que l'idée de l'absence de volonté du cadavre joue ici un rôle.


OBSERVATION 23.--Le sergent Bertrand est un homme d'une constitution délicate, d'un caractère étrange; il était, dès son enfance, toujours taciturne et aimait la solitude.
Les conditions de santé de sa famille ne sont pas suffisamment connues, mais on a pu établir que, dans son ascendance, il y avait des cas d'aliénation mentale. Il prétend avoir été affecté d'une étrange manie de destruction dès son enfance. Il brisait tout ce qui lui tombait entre les mains.
Dès son enfance, il en vint à la masturbation sans y avoir été entraîné. À l'âge de neuf ans, il commença à éprouver de l'affection pour les personnes de l'autre sexe. À l'âge de treize ans, le puissant désir de satisfaire ses sens avec des femmes se réveilla en lui; il se masturbait sans cesse. En se livrant à cet acte, il se représentait toujours une chambre remplie de femmes. Il se figurait alors, dans son imagination, qu'il accomplissait avec elles l'acte sexuel et qu'il les maltraitait ensuite. Bientôt il se les représentait comme des cadavres, et, dans son imagination, il se voyait souillant ces cadavres. Parfois, quand il se trouvait dans cet état, l'idée lui vint d'avoir affaire aussi à des cadavres d'hommes, mais cette idée le remplissait toujours de dégoût.
Ensuite il éprouva le vif désir de se mettre en contact avec de véritables cadavres.
Faute de cadavres humains, il se procurait des cadavres d'animaux, auxquels il ouvrait le ventre, arrachait les entrailles, pendant qu'il se masturbait. Il prétend avoir éprouvé alors un plaisir indicible. En 1846, les cadavres ne lui suffisaient plus. Il tua deux chiens, avec lesquels il fit la même chose. Vers la fin de 1846, il lui vint, pour la première fois, l'envie de se servir de cadavres humains. D'abord, il résista. En 1847, comme il venait d'apercevoir par hasard, au cimetière, la tombe d'un mort qu'on venait d'enterrer, cette envie le prit si violemment, en lui causant des maux de tête et des battements de coeur, que, bien qu'il y eût du monde tout près et danger d'être découvert, il se mit à déterrer le cadavre. N'ayant sous la main aucun instrument pour le dépecer, il prit la bêche d'un fossoyeur et se mit à frapper avec rage sur le cadavre. En 1847 et 1848 se manifestait pendant quinze jours, avec de violents maux de tête, l'envie de brutaliser des cadavres. Au milieu des plus grands dangers et des plus grandes difficultés, il satisfit environ quinze fois ce penchant. Il déterrait les cadavres avec ses ongles, et, telle était son excitation, qu'il ne sentait même pas les blessures qu'il se faisait aux mains. Une fois en possession du cadavre, il l'éventrait avec son sabre ou son couteau, arrachait les entrailles pendant qu'il se masturbait. Le sexe des morts, prétend-il, lui était absolument égal; mais on a constaté que ce vampire moderne avait déterré plus de cadavres de femmes que de cadavres d'hommes. Pendant ces actes, il se trouvait dans une excitation sexuelle indescriptible. Après avoir dépecé les cadavres, il les enterrait de nouveau.
Au mois de juillet 1848, il tomba, par hasard, sur le cadavre d'une fille de seize ans.
C'est alors que, pour la première fois, s'éveilla en lui l'envie de pratiquer le coït sur le cadavre. «Je le couvrais de baisers et le pressais comme un enragé contre mon coeur. Toute la jouissance qu'on peut éprouver avec une femme vivante n'est rien en comparaison du plaisir que j'éprouvai. Après en avoir joui environ quinze minutes, je dépeçai, comme d'habitude, le cadavre et en arrachai les entrailles. Ensuite je l'enterrai de nouveau.»
C'est à partir de cet attentat, prétend B..., qu'il a senti l'envie de jouir sexuellement des cadavres avant de les dépecer, ce qu'il a fait avec trois cadavres de femmes. Mais le vrai mobile qui le faisait déterrer les cadavres était resté le même: le dépècement, et le plaisir qu'il éprouvait à cet acte était plus grand que celui que lui procurait le coït pratiqué sur le cadavre.
Ce dernier acte n'était qu'un épisode de l'acte principal et n'a jamais pu complètement satisfaire son rut. Voilà pourquoi, après l'acte sexuel, il mutilait les cadavres.
Les médecins légistes admirent le cas de monomanie. Le conseil de guerre condamna B... à un an de prison.
(Michéa, Union méd., 1849.--Lunier, Annales méd.-psychol., 1849, p. 153.--Tardieu, Attentats aux moeurs, 1878, p. 114.--Legrand, La Folie devant les Tribunaux, p. 524.)

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