dimanche 11 janvier 1998

Psychopathia sexualis, Krafft-Ebing, III (D), Névroses cérébrales (1A) Sadisme (G) Animaux


Psychopathia Sexualis
avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
Richard von Krafft-Ebing
Trad: Emile Laurent et Sigismond Csapo
Ed. Georges Carré, Paris, 1896

Source : Project Gutenberg
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III
NEVROSES CEREBRALES


I.--AFFECTION SEXUELLE POUR DES PERSONNES DE L'AUTRE SEXE AVEC MANIFESTATION PERVERSE DE L'INSTINCT.

A.--RAPPORTS ENTRE LA CRUAUTÉ ACTIVE, LA VIOLENCE ET LA VOLUPTÉ.--SADISME[27]

G.--ACTES SADIQUES SUR DES ANIMAUX
Dans bien des cas, des hommes sadiques et pervers qui reculent devant un crime commis sur des hommes, ou qui, en général, ne tiennent qu'à voir souffrir un être vivant quelconque, ont recours à la torture des animaux ou au spectacle d'un animal mourant pour exciter ou augmenter leur volupté.
Le cas rapporté par Hofman dans son Cours de médecine légale est très caractéristique.
D'après les dépositions de plusieurs prostituées devant le tribunal de Vienne, il y avait, dans la capitale autrichienne, un homme qui, avant de faire l'acte sexuel, avait l'habitude de s'exciter en torturant et en tuant des poulets, des pigeons et d'autres oiseaux. Cette habitude lui avait valu, de la part des prostituées, le sobriquet du «Monsieur aux poules» (Hendlherr).
Une observation de Lombroso est très précieuse pour expliquer ces faits. Il a observé deux hommes qui, toutes les fois qu'ils tuaient des poulets ou des pigeons, avaient une éjaculation.
Dans son Uomo delinquente, p. 201, le même auteur raconte qu'un célèbre poète était toujours très excité sexuellement toutes les fois qu'il voyait dépecer un veau qu'on venait de tuer ou qu'il apercevait de la viande saignante.
D'après Mantegazza, des Chinois dégénérés auraient l'habitude de se livrer à un sport horrible qui consisterait à sodomiser des canards et à leur couper le cou avec un sabre tempore ejaculationis(!).
Mantegazza (Fisiologia del piacere, 5e éd., p. 394-395) rapporte qu'un homme qui avait vu couper le cou à un coq, avait depuis ce moment la passion de fouiller dans les entrailles chaudes et sanglantes d'un coq tué, parce que, ce faisant, il éprouvait une sensation de volupté.
Dans ce cas et dans les cas analogues, la vita sexualis est ab origine, telle que la vue du sang et du meurtre provoque des sentiments voluptueux.
Il en est de même dans le cas suivant.


OBSERVATION 40.--C. L..., quarante-deux ans, ingénieur, marié, père de deux enfants. Est issu de famille névropathique: le père est emporté, potator; la mère, hystérique, a souffert d'accès éclamptiques.
Le malade se souvient qu'étant enfant il aimait beaucoup à voir tuer des animaux domestiques et surtout des cochons. À cet aspect, il avait des sensations de volupté bien prononcées et de l'éjaculation. Plus tard, il visitait les abattoirs pour se réjouir au spectacle du sang versé et des animaux se débattant dans l'agonie. Toutes les fois que l'occasion se présentait, il tuait lui-même un animal, ce qui lui causait toujours un sentiment qui suppléait au plaisir sexuel.
Ce n'est que lorsqu'il eut atteint l'âge adulte qu'il reconnut le caractère anormal de son état. Le malade n'avait pas d'aversion proprement dite pour les femmes, mais avoir des rapports plus intimes avec elles lui paraissait une horreur. Sur le conseil d'un médecin, il épousa, à l'âge de vingt-cinq ans, une femme qui lui était sympathique; il espérait, de cette manière, pouvoir se débarrasser de son anomalie. Bien qu'il eût beaucoup d'affection pour sa femme, il ne put accomplir que très rarement le coït avec elle, et encore lui fallait-il, pour cela, beaucoup d'efforts et la tension de son imagination. Malgré cet état de choses, il engendra deux enfants. En 1866, il prit part à la guerre austro-prussienne. Les lettres adressées du champ de bataille à sa femme étaient conçues en termes exaltés et enthousiastes. Depuis la bataille de Koeniggraetz, il a disparu.
Dans le cas que nous venons de citer, la faculté du coït normal a été fortement diminuée par la prédominance des idées perverses. Dans le cas suivant, on pourra constater une suppression complète de cette faculté.


OBSERVATION 41.--(Dr Pascal. Igiene dell Amore.) Un individu se présentait chez des prostituées, leur faisait acheter des poules vivantes et des lapins, et exigeait qu'on torturât ces animaux en sa présence. Il tenait à ce qu'on leur arrachât les yeux et les entrailles. Quand il tombait sur une puella qui se laissait décider à ces actes et qui se signalait par une cruauté extraordinaire, il était enchanté, payait et s'en allait, sans lui demander autre chose, sans même la toucher.
Il ressort des deux derniers chapitres que les souffrances de tout être sensible peuvent devenir, pour des natures disposées au sadisme, la source d'une jouissance sexuelle perverse. Il y a donc un sadisme qui a pour objet des êtres quelconques.
Mais il serait erroné et exagéré de vouloir expliquer tous les cas de cruauté étrange et extraordinaire par la perversion sadique, et, comme cela se fait quelquefois, de donner le sadisme comme mobile à toutes les atrocités historiques, ou à certains phénomènes de la psychologie des masses contemporaines.
La cruauté naît de sources différentes, et elle est naturelle chez l'homme primitif.
La pitié est un phénomène secondaire, c'est un sentiment acquis assez tard. L'instinct de combativité et de destruction qui, dans l'état préhistorique, était une arme si précieuse, continue toujours à produire son effet, prenant une nouvelle incarnation dans notre société civilisée contre le criminel, pendant que son objectif primitif, «l'ennemi», existe toujours.
Qu'on ne se contente pas de la mort simple, mais qu'on exige aussi la torture du vaincu, cela s'explique en partie par le sentiment de puissance qui veut être satisfait par ce moyen et, d'autre part, par l'immensité de l'instinct de revanche. De cette façon, on peut expliquer toutes les atrocités des monstres historiques sans avoir recours au sadisme, qui a pu parfois entrer en jeu, mais qui, étant une perversion relativement rare, ne doit pas être toujours considéré comme mobile unique.
Il faut, en outre, tenir compte d'un élément psychique qui explique le grand attrait que les exécutions publiques ont encore de nos jours sur les masses: c'est le désir d'avoir des sensations fortes et inaccoutumées, un spectacle rare. Devant ce désir, la pitié est condamnée au silence, surtout chez les natures brutales et blasées.
Il y a évidemment beaucoup d'individus pour qui, malgré ou peut-être grâce à leur vive pitié, tout ce qui se rattache à la mort et aux souffrances exerce une force d'attraction mystérieuse. Ces individus cèdent à un instinct obscur et, malgré leur répugnance intérieure, cherchent à s'occuper de ces spectacles ou, faute de mieux, des images et des circonstances qui les retracent. Cela n'est pas non plus du sadisme, tant qu'aucun élément sexuel n'entre en scène, bien que des fils mystérieux, nés dans le domaine de l'inconscience, puissent relier ces phénomènes à un fonds de sadisme ignoré.

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