mercredi 14 janvier 1998

Psychopathia sexualis, Krafft-Ebing, III (D), Névroses cérébrales (1A) Masochisme (A) Mauvais traitements et humiliations


Psychopathia Sexualis
avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
Richard von Krafft-Ebing
Trad: Emile Laurent et Sigismond Csapo
Ed. Georges Carré, Paris, 1896

Source : Project Gutenberg
This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org



III
NEVROSES CEREBRALES


I.--AFFECTION SEXUELLE POUR DES PERSONNES DE L'AUTRE SEXE AVEC MANIFESTATION PERVERSE DE L'INSTINCT.

MASOCHISME OU EMPLOI DE LA CRUAUTÉ ET DE LA VIOLENCE SUR SOI-MÊME POUR PROVOQUER LA VOLUPTÉ.

A.—RECHERCHE DES MAUVAIS TRAITEMENTS ET DES HUMILIATIONS DANS UN BUT DE SATISFACTION SEXUELLE

L'autobiographie d'un masochiste qui va suivre, nous fournit une description détaillée d'un cas typique de cette étrange perversion.

    Observation 44.—Je suis issu d'une famille névropathique dans laquelle, en dehors de toutes sortes de bizarreries de caractère et de conduite, il y a aussi diverses anomalies au point de vue sexuel.

    De tout temps, mon imagination fut très vive, et, de bonne heure, elle fut portée vers les choses sexuelles. En même temps, j'étais, autant que je puis me rappeler, adonné à l'onanisme, longtemps avant ma puberté, c'est-à-dire avant d'avoir des éjaculations. À cette époque déjà, mes pensées, dans des rêveries durant des heures entières, s'occupaient des rapports avec le sexe féminin. Mais les rapports dans lesquels je me mettais idéalement avec l'autre sexe étaient d'un genre bien étrange. Je m'imaginais que j'étais en prison et livré au pouvoir absolu d'une femme, et que cette femme profitait de son pouvoir pour m'infliger des peines et des tortures de toutes sortes. À ce propos, les coups et les flagellations jouaient un grand rôle dans mon imagination, ainsi que d'autres actes et d'autres situations qui, toutes, marquaient une condition de servitude et de soumission. Je me voyais toujours à genoux devant mon idéal, ensuite foulé aux pieds, chargé de fers et jeté en prison. On m'imposait de graves souffrances comme preuve de mon obéissance et pour l'amusement de ma maîtresse. Plus j'étais humilié et maltraité dans mon imagination, plus j'éprouvais de délices en me livrant à ces rêves. En même temps, il se produisit en moi un grand amour pour les velours et les fourrures que j'essayais toujours de toucher et de caresser et qui me causaient aussi des émotions de nature sexuelle.

    Je me rappelle bien d'avoir, étant enfant encore, reçu plusieurs corrections de mains de femmes. Je n'en ressentais alors que de la honte et de la douleur, et jamais je n'ai eu l'idée de rattacher les réalités de ce genre à mes rêves. L'intention de me corriger et de me punir m'émouvait douloureusement, tandis que, dans les rêves de mon imagination, je voyais toujours ma «maîtresse» se réjouir de mes souffrances et de mes humiliations, ce qui m'enchantait. Je n'ai pas non plus à rattacher à mes fantaisies les ordres ou la direction des femmes qui me surveillaient pendant mon enfance. De bonne heure, j'ai pu, par la lectures d'ouvrages, apprendre la vérité sur les rapports normaux des deux sexes; mais cette révélation me laissa absolument froid. La représentation des plaisirs sexuels resta attachée aux images avec lesquelles elle se trouvait unie dès la première heure. J'avais aussi, il est vrai, le désir de toucher des femmes, de les serrer dans mes bras et de les embrasser; mais les plus grandes délices, je ne les attendais que de leurs mauvais traitements et des situations dans lesquelles elles me faisaient sentir leur pouvoir. Bientôt je reconnus que je n'étais pas comme les autres hommes; je préférais être seul afin de pouvoir me livrer à mes rêvasseries. Les filles ou femmes réelles m'intéressaient peu dans ma première jeunesse, car je ne voyais guère la possibilité qu'elles puissent jamais agir comme je le désirais. Dans les sentiers solitaires, au milieu des bois, je me flagellais avec les branches tombées des arbres et laissais alors libre cours à mon imagination. Les images de femmes hautaines me causaient de réelles délices, surtout quand ces femmes étaient des reines et portaient des fourrures. Je cherchais de tous côtés les lectures en rapport avec mes idées de prédilection. Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, qui me tombèrent alors sous la main, furent pour moi une grande révélation. J'y ai trouvé la description d'un état qui, dans ses points principaux, ressemblait au mien. Je fus encore plus frappé de retrouver des idées en harmonie avec les miennes, lorsque j'eus appris à connaître les ouvrages de Sacher-Masoch. Je dévorais ces livres avec avidité, bien que les scènes sanguinaires dépassaient souvent mon imagination et me faisaient alors horreur. Toutefois, le désir de réaliser ces scènes ne m'est pas venu, même à l'époque de la puberté. En présence d'une femme, je n'éprouvais aucune émotion sensuelle, tout au plus la vue d'un pied féminin me donnait passagèrement le désir d'en être foulé.

    Cette indifférence ne concernait cependant que le domaine purement sensuel. Dans les premières années de ma puberté, je fus souvent pris d'une affection enthousiaste pour des jeunes filles de ma connaissance, affection qui se manifestait avec toutes les extravagances particulières à ces émotions juvéniles. Mais jamais l'idée ne m'est venue de relier le monde de mes idées sensuelles avec ces purs idéals. Je n'avais même pas à repousser une pareille association d'idées, elle ne se présentait jamais. C'est d'autant plus curieux que mes imaginations voluptueuses me paraissaient étranges et irréalisables, mais nullement vilaines ni répréhensibles. Ces rêves aussi étaient pour moi une sorte de poésie; il me restait deux mondes séparés l'un de l'autre: dans l'un, c'était mon cœur ou plutôt ma fantaisie qui s'excitait esthétiquement; dans l'autre, ma force d'imagination s'enflammait par la sensualité. Pendant que mes sentiments «transcendantaux» avaient pour objet une jeune fille bien connue, je me voyais dans d'autres moments aux pieds d'une femme mûre, qui me traitait comme je viens de le décrire plus haut. Mais je n'attribuais jamais ce rôle de tyran à une femme connue. Dans les rêves de mon sommeil, ces deux formes de représentations érotiques apparaissaient tour à tour, mais jamais elles ne se confondaient. Seules les images de la sphère sensuelle ont provoqué des pollutions.

    À l'âge de dix-neuf ans, je me laissai conduire par des amis chez des prostituées, bien que, dans mon for intérieur, il me répugnât de les suivre; je le fis par curiosité. Mais je n'éprouvai, chez les prostituées, que de la répugnance et de l'horreur, et je me sauvai aussitôt que je pus sans avoir ressenti la moindre excitation ou émotion sensuelles. Plus tard, je répétai l'essai de ma propre initiative pour voir si je n'étais pas impuissant, car mon premier échec m'affligeait beaucoup. Le résultat fut toujours le même: je n'eus pas la moindre émotion ni érection. Tout d'abord il m'était impossible de considérer une femme en os et en chair comme objet de la satisfaction sensuelle. Ensuite, je ne pouvais renoncer à des états et à des situations qui, in sexualibus, étaient pour moi la chose essentielle, et sur lesquelles je n'aurais, pour rien au monde, dit un mot à qui que ce soit. L'immissio penis à laquelle je devais procéder me paraissait un acte sale et insensé. En second lieu, ce fut une répugnance contre des femmes qui appartenaient à tous et la crainte d'être infecté par elles. Livré à la solitude, ma vie sexuelle continuait comme autrefois. Toutes les fois que les anciennes images de mes imaginations surgissaient, j'avais des érections vigoureuses et presque chaque jour des éjaculations. Je commençais à souffrir de toutes sortes de malaises nerveux, et je me considérais comme impuissant, malgré les vigoureuses érections et les violents désirs qui se manifestaient quand j'étais seul. Malgré cela, je continuais, par intervalles, mes essais avec des prostituées. Avec le temps, je me débarrassai de ma timidité et j'arrivai à vaincre en partie la répugnance que m'inspirait tout contact avec une femme vile et commune.

    Mes imaginations ne me suffisaient plus. J'allais maintenant plus souvent chez les prostituées et je me faisais masturber quand je n'avais pu accomplir le coït. Je crus d'abord que j'y trouverais un plaisir plus réel qu'à mes rêveries; au contraire, j'y trouvai un plaisir moins grand. Quand la femme se déshabillait, j'examinais avec attention les pièces de ses vêtements. Le velours et la soie jouaient le premier rôle; mais tout autre objet d'habillement m'attirait aussi, et surtout les contours du corps féminin, tels qu'ils étaient dessinés par le corset et les jupons. Je n'avais, pour le corps nu de la femme, guère d'autre intérêt qu'un intérêt esthétique. Mais, de tout temps, je m'attachai surtout aux bottines à hauts talons et j'y associais toujours l'idée d'être foulé par ces talons ou de baiser le pied en guise d'hommage, etc., etc.

    Enfin, je surmontai mes dernières répugnances, et un jour, pour réaliser mes rêves, je me laissai flageller et fouler aux pieds par une prostituée. Ce fut pour moi une grande déception. Cela était, pour mes sentiments, brutal, répugnant et ridicule à la fois. Les coups ne me causèrent que de la douleur, et les autres détails de cette situation, de la répugnance et de la honte. Malgré cela, j'obtins, par des moyens mécaniques, une éjaculation, en même temps qu'à l'aide de mon imagination je transformais la situation réelle en celle que je rêvais. La situation rêvée différait de celle que j'avais créée, surtout par le fait que je m'imaginais une femme qui devait m'infliger des mauvais traitements avec un plaisir égal à celui avec lequel je les recevais d'elle. Toutes mes imaginations sexuelles étaient échafaudées sur l'existence d'un pareil sentiment chez la femme, femme tyrannique et cruelle, à laquelle je devais me soumettre. L'acte qui devait montrer cet état d'esclavage ne m'était que d'une importance secondaire. Ce n'est qu'après ce premier essai, d'une réalisation impossible, que je reconnus nettement quelle était la véritable tendance de mes désirs. En effet, dans mes rêves voluptueux, j'avais souvent fait abstraction de toute représentation de mauvais traitements, et je me bornais à me représenter une femme aimant à donner des ordres, au geste impérieux, à la parole faite pour le commandement, à qui je baisais le pied, ou des choses analogues. Ce n'est qu'alors que je me rendis clairement compte de ce qui m'attirait en réalité. Je reconnus que la flagellation n'était qu'un moyen d'exprimer fortement la situation désirée, mais, qu'en elle-même, la flagellation était sans valeur, me causant plutôt un sentiment désagréable et même douloureux ou répugnant.

    Malgré cette déception, je ne renonçai point à essayer de transporter dans la réalité mes représentations érotiques, maintenant que le premier pas dans ce sens avait été fait. Je comptais que mon imagination une fois habituée à la nouvelle réalité, je trouverais les éléments nécessaires pour obtenir des effets plus forts. Je cherchais les femmes qui s'appropriaient le mieux à mon dessein et je les instruisais soigneusement de la comédie compliquée que je voulais leur faire jouer. J'appris en même temps que la voie m'avait été préparée par des prédécesseurs qui avaient les mêmes sentiments que moi. La puissance de ces comédies, pour agir sur mes imaginations et sur ma sensibilité, restait bien problématique. Ces scènes m'ont servi pour me montrer, d'une manière plus vive, quelques détails secondaires de la situation que je désirais; mais, ce qu'elles donnaient de ce côté, elles l'enlevaient en même temps à la chose principale que mon imagination seule, sans le secours d'une duperie grossière et de commande, pouvait me procurer en rêve, d'une manière beaucoup plus facile. Les sensations physiques produites par les mauvais traitements, variaient. Plus l'illusion réussissait, plus je ressentais la douleur comme un plaisir. Ou, pour être plus exact, je considérais alors en mon esprit les mauvais traitements comme des actes symboliques. Il en sortit l'illusion de la situation tant désirée, illusion qui, tout d'abord, s'accompagna d'une sensation de plaisir psychique. Ainsi la perception du caractère douloureux des mauvais traitements a été quelquefois supprimée. Le processus était analogue, mais de beaucoup plus simple, parce qu'il restait sur le terrain psychique, quand je me soumettais à de mauvais traitements moraux, à des humiliations. Ceux-ci aussi s'accentuaient avec la sensation de plaisir, à la condition que je réussisse à me tromper moi-même. Mais cette duperie réussissait rarement bien et jamais complètement. Il restait toujours dans ma conscience un élément troublant. Voilà pourquoi je revenais, entre temps, à la masturbation solitaire. D'ailleurs, avec les autres procédés également, la scène se terminait habituellement par une éjaculation provoquée par l'onanisme, éjaculation qui, parfois, avait lieu sans que j'eusse besoin de recourir à des moyens mécaniques.

    Je continuai ce manège pendant des années entières. Ma puissance sexuelle s'affaiblissait de plus en plus, mais non mes désirs et encore moins l'empire que mes étranges idées sexuelles avaient sur moi. Tel est, encore aujourd'hui, l'état de ma vita sexualis. Le coït, que je n'ai jamais pu accomplir, me paraît toujours, dans mon idée, comme un de ces actes étranges et malpropres que je connais par la description des aberrations sexuelles. Mes propres idées sexuelles me paraissent naturelles et n'offensent en rien mon goût, d'ailleurs très délicat. Leur réalisation, il est vrai, ne me donne guère de satisfaction complète, pour les raisons que je viens d'exposer plus haut. Je n'ai jamais obtenu, pas même approximativement, une réalisation directe et véritable de mes imaginations sexuelles. Toutes les fois que je suis entré en relations plus intimes avec une femme, j'ai senti que la volonté de la femme était soumise à la mienne, et jamais je n'ai éprouvé le contraire. Je n'ai jamais rencontré une femme qui, dans les rapports sexuels, aurait manifesté le désir de régner. Les femmes qui veulent régner dans le ménage et, comme on dit, porter la culotte, sont choses tout à fait différentes de mes représentations érotiques. En dehors de la perversion de ma vita sexualis, il y a encore bien des symptômes d'anomalie dans la totalité de mon individualité: ma disposition névropathique se manifeste par de nombreux symptômes sur le terrain physique et psychique. Je crois, en outre, pouvoir constater des anomalies héréditaires de caractère dans le sens d'un rapprochement vers le type féminin. Du moins je considère comme telle mon immense faiblesse de volonté et mon manque surprenant de courage vis-à-vis des hommes et des animaux, ce qui contraste avec mon sang-froid habituel. Mon extérieur physique est tout à fait viril.

L'auteur de cette autobiographie m'a encore donné les renseignements suivants:

    Une de mes préoccupations constantes était de savoir si les idées étranges qui me dominent au point de vue sexuel, se rencontrent aussi chez d'autres hommes, et, depuis les premiers renseignements que j'ai obtenus par hasard, j'ai fait de nombreuses recherches dans ce sens. Il est vrai que les observations sur cette question sont difficiles à faire et ne sont pas toujours sûres, étant donné qu'il s'agit là d'un processus intime de la sphère des représentations. J'admets l'existence du masochisme là où je trouve des actes pervers dans les rapports sexuels, actes que je ne peux pas m'expliquer autrement que par cette idée dominante. Je crois que cette anomalie est très répandue.

    Toute une série de prostituées de Berlin, de Paris, de Vienne et d'ailleurs m'ont donné des renseignements sur ce sujet, et j'ai appris de cette manière combien sont nombreux mes compagnons de douleur. J'eus toujours la précaution de ne pas leur raconter des histoires moi-même ni de leur demander si telle ou telle chose leur était arrivée, mais je les laissais raconter au hasard d'après leur expérience personnelle.

    La flagellation simple est si répandue que presque chaque prostituée est outillée pour cela. Les cas manifestes de masochisme sont aussi très fréquents. Les hommes atteints de cette perversion se soumettent aux tortures les plus raffinées. Avec des prostituées auxquelles on a fait la leçon, ils exécutent toujours la même comédie: l'homme se prosterne humblement; il y a ensuite coups de pied, ordres impérieux, injures et menaces apprises par cœur, ensuite flagellation, coups sur les diverses parties du corps et toutes sortes de tortures, piqûres d'épingles jusqu'à faire saigner, etc. La scène se termine parfois par le coït, souvent par une éjaculation sans coït. Quelques prostituées m'ont montré, à deux reprises différentes, des chaînes en fer avec menottes que leurs clients se faisaient fabriquer pour être enchaînés, puis les pois secs sur lesquels ils se mettaient à genoux, les coussins hérissés d'aiguilles sur lesquels ils devaient s'asseoir sur un ordre de la femme, et bien d'autres objets analogues. Parfois l'homme pervers exige que la femme lui ligote le pénis pour lui causer des douleurs, qu'elle lui pique la verge avec des épingles, qu'elle lui donne des coups de canif ou qu'elle le frappe avec un bout de bois. D'autres se font légèrement égratigner avec la pointe d'un couteau ou d'un poignard, mais il faut qu'en même temps la femme les menace de mort.

    Dans toutes ces scènes, la symbolique de la soumission est la principale chose. La femme est habituellement appelée la «maîtresse» (Herrin), l'homme l'«esclave».

    Dans toutes ces comédies exécutées avec des prostituées, scènes qui doivent paraître à l'homme normal comme une folie malpropre, le masochiste n'a qu'un maigre équivalent. J'ignore si les rêves masochistes peuvent se réaliser dans une liaison amoureuse.

    Si par hasard un pareil fait se produit, il doit être bien rare, car un goût conforme chez la femme (sadisme féminin, comme le dépeint Sacher-Masoch) doit se rencontrer bien rarement. La manifestation d'une anomalie sexuelle chez la femme se bute à de plus grands obstacles, entre autres la pudeur, etc., que la manifestation d'une perversion chez l'homme. Moi-même je n'ai jamais remarqué la moindre avance faite par une femme dans ce sens, et je n'ai pu faire aucun essai d'une réalisation effective de mes imaginations. Une fois un homme m'a avoué confidentiellement sa perversion masochiste, et il a prétendu en même temps qu'il avait trouvé son idéal.

Les deux faits suivants sont analogues à celui de l'observation 44.

    Observation 45.—M. Z..., vingt-neuf ans, élève de l'école polytechnique, est venu me consulter parce qu'il se croyait atteint de tabes. Le père était nerveux et est mort tabétique. La sœur de son père était folle. Plusieurs parents sont nerveux à un haut degré et gens bien étranges.

    En l'examinant de plus près, j'ai constaté que le malade est un sexuel, spinal et cérébral, asthénique. Il ne présente aucun symptôme anamnestique ni présent de tabes dorsalis. La question qui s'imposait était de savoir s'il avait abusé de ses organes génitaux. Il répond que, dès sa première jeunesse, il s'est livré à la masturbation. Au cours de l'examen, on a relevé les intéressantes anomalies psychopathiques suivantes.

    À l'âge de cinq ans, la vita sexualis s'éveilla chez le malade sous forme d'un penchant voluptueux à se flageller et en même temps d'un désir de se faire flageller par d'autres. Pour cela il ne songeait pas à des individus concrets et sexuellement différenciés. Faute de mieux, il se livrait à la masturbation, et avec les années il parvint à avoir des éjaculations.

    Longtemps auparavant, il avait commencé à se satisfaire par la masturbation en évoquant en même temps des images de scènes de flagellation.

    Devenu adulte, il vint deux fois au lupanar pour s'y faire fouetter par des mérétrices. À cet effet, il choisissait la plus belle fille; mais il fut déçu, il n'arriva pas à l'érection et encore moins à l'éjaculation.

    Il reconnut alors que la flagellation était chose secondaire, et que l'essentiel c'était l'idée d'être soumis à la volonté de la femme. La première fois il n'arriva pas à provoquer cet état, mais il réussit à un second essai. Il obtint un succès complet, parce qu'il avait présente l'idée de la sujétion.

    Avec le temps, il arriva en excitant son imagination à évoquer des représentations masochistes, à pratiquer le coït, même sans flagellation, mais il n'en éprouva que peu de satisfaction, de sorte qu'il préféra avoir des rapports sexuels à la façon des masochistes. Grâce à ses désirs congénitaux de flagellation, il ne trouvait de plaisir aux scènes masochistes que lorsqu'il était flagellé ad podicem ou que du moins son imagination lui composait une scène semblable. Dans les moments de grande excitabilité, il lui suffisait même de raconter de pareilles scènes à une belle fille. Ce récit provoquait de l'orgasme, et il arrivait la plupart du temps à l'éjaculation.

    Il s'ajouta de bonne heure à cet état une représentation fétichiste vivement impressionnante. Il s'aperçut qu'il n'était attiré et satisfait que par des femmes qui portaient des jupons courts et des bottes montantes (costume hongrois). Il ignore comment cette idée fétichiste lui est venue. Même chez les garçons, la jambe chaussée d'une botte montante le charme, mais c'est un charme purement esthétique et sans aucune note sensuelle; il n'a d'ailleurs jamais remarqué en lui des sentiments homosexuels. Le malade attribue son fétichisme au fait qu'il a une prédilection pour les mollets. Mais il n'est excité que par un mollet de femme chaussé d'une botte élégante. Les mollets nus et en général les nudités féminines n'exercent pas sur lui la moindre impression sexuelle.

    L'oreille humaine constitue pour le malade une représentation fétichiste accessoire et d'importance secondaire. Il éprouve une sensation à caresser les oreilles des belles personnes, c'est-à-dire d'individus qui ont l'oreille bien faite. Avec les hommes cette caresse ne lui procure qu'un plaisir faible, mais il est très vif avec les femmes.

    Il a aussi un faible pour les chats. Il les trouve simplement beaux; tous leurs mouvements lui sont agréables. L'aspect d'un chat peut même l'arracher à la plus profonde dépression morale. Le chat est pour lui sacré; il voit dans cet animal, pour ainsi dire, un être divin. Il ne peut nullement se rendre compte de la raison de cette idiosyncrasie étrange.

    Ces temps derniers, il a plus souvent des idées sadiques dans le sens de la flagellation des garçons. Dans l'évocation de ces images de flagellation, les hommes aussi bien que les femmes jouent un rôle, mais généralement ces dernières, et alors son plaisir est de beaucoup plus grand.

    Le malade trouve qu'à côté de l'état de masochisme qu'il connaît et qu'il ressent, il y a encore chez lui un autre état qu'il désigne par le mot de «pagisme».

    Tandis que ses jouissances et ses actes masochistes sont tout à fait empreints d'un caractère et d'une note de sensualité brutale, son «pagisme» consiste dans l'idée d'être le page d'une belle fille. Il se représente cette fille comme tout à fait chaste, «mais piquante» et vis-à-vis de laquelle il occuperait la position d'un esclave, mais avec des rapports chastes et un dévouement purement «platonique». Cette idée délirante de servir de page à une «belle créature» se manifeste avec un plaisir délicieux, mais qui n'a rien de sexuel. Il en éprouve une satisfaction morale exquise, contrairement au masochisme de note sensuelle, et voilà pourquoi il croit que son «pagisme» est une chose à part.

    Au premier aspect, l'extérieur physique du malade n'offre rien d'étrange; mais son bassin est excessivement large avec des hanches étalées; il est anormalement oblique et a le caractère féminin très prononcé. Il rappelle aussi qu'il a souvent des démangeaisons et des excitations voluptueuses dans l'anus (zone érogène) et qu'il peut se procurer de la satisfaction ope digiti.

    Le malade doute de son avenir. Il ne pourra être guéri, dit-il, que s'il peut prendre un véritable intérêt à la femme, mais sa volonté ainsi que son imagination sont trop faibles pour cela.

Ce que le malade de cette observation désigne sous le nom de «pagisme» n'a rien qui diffère du caractère du masochisme, ainsi que cela résulte de la comparaison des deux cas suivants de masochisme symbolique et d'autres cas encore. Cette conclusion est encore corroborée par le fait que, dans ce genre de perversion, le coït est quelquefois dédaigné comme un acte inadéquat et que, dans de pareils cas, il se produit souvent une exaltation fantastique de l'idéal pervers.

    Observation 46.—X..., homme de lettres, vingt-huit ans, taré, hyperesthésique dès son enfance, a rêvé à l'âge de six ans, plusieurs fois, qu'une femme le battait ad nates. Il se réveillait après ce rêve en proie à la plus vive émotion voluptueuse; il fut amené à la masturbation. À l'âge de huit ans, il demanda un jour à la cuisinière de le battre. À partir de l'âge de dix ans, neurasthénie. Jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, il eut des rêves de flagellations, et quelquefois il évoquait à l'état de veille ces images et se masturbait en même temps.

    Il y a trois ans, cédant à une obsession, il s'est fait battre par une puella. Le malade fut alors déçu, car ni l'érection ni l'éjaculation ne se produisirent. Nouvel essai dans ce sens à l'âge de vingt-sept ans pour forcer, par ce moyen, l'érection et l'éjaculation. Il ne réussit qu'en ayant recours à l'artifice suivant. Pendant qu'il essayait le coït, la puella lui devait raconter comment elle battait les autres impuissants et le menacer d'en faire autant avec lui. En outre, il était obligé de s'imaginer qu'il se trouvait ligoté et tout à fait à la merci de la femme, et que, sans aucun moyen de défense, il recevait d'elle des coups des plus douloureux. À l'occasion, il était obligé, pour être puissant, de se faire ligoter pour de bon. C'est ainsi que le coït lui réussissait. Les pollutions n'étaient accompagnées de sensations de volupté que lorsqu'il rêvait (cas très rare) être maltraité ou voir comment une puella en fouettait d'autres. Il n'eut jamais une vraie sensation de volupté dans le coït. Chez la femme, il n'y a que les mains qui l'intéressent. Il préfère avant tout des femmes vigoureuses, à la poigne solide. Toutefois, son besoin de flagellation n'est qu'idéal, car, ayant l'épiderme très sensible, quelques coups lui suffisent dans les plus mauvais cas. Des coups donnés par des hommes lui seraient désagréables. Il voudrait se marier. L'impossibilité de demander la flagellation à une femme honnête et la crainte d'être impuissant sans ce procédé créent son embarras et lui font éprouver le désir de se guérir.

Dans les trois cas cités jusqu'ici, la flagellation passive servait aux individus atteints de la perversion masochiste comme une forme de la servitude envers la femme, situation tant désirée par eux. Le même moyen est employé par un grand nombre de masochistes.

Or la flagellation passive, comme on sait, peut, par l'irritation mécanique des nerfs du séant, produire des érections réflexes48.

    Note 48: (retour)

    Comparez plus haut, le chapitre d'introduction.

Les débauchés affaiblis ont recours à ces effets de la flagellation pour stimuler leur puissance génitale amoindrie; et cette perversité—et non perversion—est très fréquente.

Il convient donc d'examiner quels rapports il y a entre la flagellation passive des masochistes et celle des débauchés qui, bien que physiquement affaiblis, ne sont pas psychiquement pervers.

Il ressort déjà des renseignements fournis par des individus atteints de masochisme, que cette perversion est bien autre chose et quelque chose de plus grand que la simple flagellation.

Pour le masochiste, c'est la soumission à la femme qui constitue le point le plus important; le mauvais traitement n'est qu'une manière d'exprimer cette condition et, il faut ajouter, la manière la plus expressive. L'action a pour lui une valeur symbolique; c'est un moyen pour arriver à la satisfaction de son état d'âme et de ses désirs particuliers.

Par contre, l'homme affaibli qui n'est pas masochiste, ne cherche qu'une excitation de son centre spinal, à l'aide d'un moyen mécanique.

Ce sont les aveux de ces individus, et souvent aussi les circonstances accessoires de l'acte, qui nous permettent, dans un cas isolé, de dire s'il y a masochisme réel ou simple flagellantisme (réflexe). Il importe, pour juger cette question, de tenir compte des faits suivants:

1º Chez le masochiste, le penchant à la flagellation passive existe presque toujours ab origine. Il se montre comme désir, avant même qu'une expérience sur l'effet réflexe du procédé ait été faite; souvent ce désir ne se manifeste d'abord que dans des rêves ainsi qu'on le verra plus loin dans l'observation 48.

2º Chez le masochiste, la flagellation passive n'est ordinairement qu'une des nombreuses et diverses formes des mauvais traitements dont l'image naît dans son imagination et qui souvent se réalise. Dans les cas où les mauvais traitements ainsi que les marques d'humiliation purement symboliques sont employés en dehors de la flagellation, il ne peut pas être question d'un effet d'excitation physique et réflexe. Dans ces cas donc, il faut toujours conclure à une anomalie congénitale, à la perversion.

3º Il y a encore une particularité bien importante à considérer, c'est que si on donne au masochiste la flagellation tant désirée, elle ne produit pas toujours un effet aphrodisiaque. Souvent elle est suivie d'une déception plus ou moins vive, ce qui arrive toutes les fois que le but du masochiste qui veut se créer par l'illusion la situation tant désirée d'être à la merci de la femme, n'est pas atteint et que la femme qu'il a chargée d'exécuter cette comédie apparaît comme l'instrument docile de sa propre volonté. À ce sujet comparez les trois cas précédents et l'observation 50, plus loin.

Entre le masochisme et le simple réflexe des flagellants, il y a un rapport analogue à celui qui existe entre l'inversion sexuelle et la pédérastie acquise.

Cette manière de voir n'est nullement infirmée par le fait que chez le masochiste la flagellation peut aussi amener un effet réflexe et qu'une punition corporelle reçue dans la jeunesse peut éveiller pour la première fois la volupté et faire en même temps sortir de son état latent la vita sexualis du masochiste.

Il faut qu'alors le fait soit caractérisé par les circonstances énumérées plus haut pour pouvoir être considéré comme masochisme.

Quand on ne possède pas de détails sur l'origine des cas, les circonstances accessoires, comme celles que nous avons citées, peuvent tout de même en faire reconnaître clairement le caractère masochiste. C'est ce qui arrive dans les deux cas suivants.

    Observation 47.—Un malade du docteur Tarnowsky a fait louer, par une personne de confiance, un appartement, pour les périodes de ses accès, et il a fait instruire le personnel (trois prostituées) de tout ce qu'on doit lui faire.

    Il venait de temps en temps; alors on le déshabillait, on le masturbait, on le flagellait, ainsi qu'il l'avait ordonné. Il faisait semblant d'opposer une résistance, demandait grâce; alors on lui donnait à manger, comme c'était dans les instructions, on le laissait dormir, mais on le retenait malgré ses protestations, et on le battait s'il se montrait récalcitrant.

    Ce manège durait quelques jours. L'accès passé, on le relâchait, et il rentrait chez sa femme et ses enfants qui ne se doutaient pas le moins du monde de sa maladie. L'accès revenait une ou deux fois par an. (Tarnowsky, op. cit.)

    Observation 48.—X..., trente-quatre ans, très chargé, souffre d'inversion sexuelle. Pour plusieurs raisons, il n'a pas trouvé l'occasion de se satisfaire avec un homme, malgré ses grands besoins sexuels. Par hasard, il rêva, une nuit, qu'une femme le fouettait. Il eut une pollution.

    Ce rêve l'amena à se laisser fouetter par des mérétrices, pour remplacer chez lui l'amour homosexuel. Conducit sibi non nunquam meretricem, ipse vestimenta sua omnia deponit, dum puellæ ultimum tegumentum deponere non licet, puellam pedibus ipse percutere, flagellare, verberare jubet. Qua re summa libidine affectus pedem feminæ lambit quod solum eum libidinosum facere potest: tum ejaculationem assequitur. Aussitôt l'éjaculation produite, il est pris du plus grand dégoût d'une situation moralement si avilissante, il se dérobe ensuite le plus rapidement possible.

Il y a aussi des cas où la seule flagellation passive constitue tout ce que rêve l'imagination des masochistes, sans autres idées d'humiliation, et sans que l'individu se rende nettement compte de la véritable nature de cette marque de soumission.

Ces cas sont très difficiles à distinguer de ceux du flagellantisme simple et réflexe. Ce qui permet alors de faire le diagnostic différentiel, c'est la constatation de l'origine primitive du désir avant toute expérience de l'effet réflexe (voir plus haut), et aussi ce fait que dans les cas de masochisme vrai, il s'agit ordinairement d'individus déjà pervers dès la première jeunesse et chez qui la réalisation du désir souvent n'est pas mise à exécution ou produit une déception (voir plus haut), puis que tout se passe dans le domaine de l'imagination.

À ce propos, nous citerons un autre cas de masochisme typique dans lequel toute la sphère des représentations particulières à cette perversion paraît complètement atteinte. Ce cas pour lequel nous avons une autobiographie détaillée de l'état psychique du malade, ne diffère de l'observation 44 que parce que l'individu atteint a tout à fait renoncé à réaliser sas fantaisies perverses et que, à côté de la perversion existante de la vita sexualis, les plaisirs normaux ont encore assez d'effet pour rendre possibles les rapports sexuels dans les conditions ordinaires.

    Observation 49.—J'ai trente-cinq ans; mon état physique et intellectuel est normal. Dans ma parenté la plus étendue—en ligne directe et collatérale—je ne connais aucun cas de trouble psychique. Mon père qui, à ma naissance, était âgé d'environ trente ans, avait, autant que je sais, une prédilection pour les femmes de haute taille et d'une beauté plantureuse.

    Déjà, dans ma première enfance, je me plaisais aux représentations d'idées qui avaient pour sujet le pouvoir absolu d'un homme sur l'autre. L'idée de l'esclavage avait pour moi quelque chose de très excitant; l'émotion était également forte en me voyant dans le rôle du maître comme dans celui du serviteur. J'étais excité outre mesure à la pensée qu'un homme pouvait en posséder un autre, le vendre, le battre; et à la lecture de La Case de l'oncle Tom (ouvrage que je lus à l'époque où j'entrais en puberté), j'avais des érections. Ce qui était surtout excitant pour moi, c'était l'idée d'un homme attelé à une voiture où un autre homme, armé d'un fouet, était assis et le dirigeait, le faisant marcher à coups de fouet.

    Jusqu'à l'âge de vingt ans, ces représentations étaient objectives et sans sexe, c'est-à-dire que l'homme attelé dans mon imagination était une tierce personne (pas moi-même), et la personne qui commandait n'était pas nécessairement du sexe féminin.

    Aussi ces idées étaient-elles sans influence sur mon instinct sexuel, ainsi que sur la manifestation de cet instinct. Bien que ces scènes créées dans mon imagination m'aient causé des érections, je ne me suis jamais de ma vie masturbé; à partir de l'âge de dix-neuf ans, j'ai fait le coït sans le concours des représentations imaginaires susindiquées et sans y penser. Toutefois, j'avais une grande prédilection pour les femmes mûres, plantureuses et de haute taille, bien que je ne dédaignasse pas non plus les plus jeunes.

    À partir de l'âge de vingt et un ans, les représentations commencèrent à s'«objectiver»; il s'y ajoutait une chose «essentielle», c'est que la «maîtresse» devait être une personne grande, forte, et d'au moins quarante ans. À partir de ce moment, je fus toujours soumis à mes idées; ma maîtresse était une femme brutale qui m'exploitait à tous les points de vue, même au point de vue sexuel, qui m'attelait devant sa voiture et faisait ainsi ses promenades, une femme que je devais suivre comme un chien et aux pieds de laquelle je devais me coucher nu pour être battu et fouetté.

    Voilà quelle était la base fixe des représentations de mon imagination autour desquelles se groupaient toutes les autres images.

    J'éprouvais, à me livrer à ces idées, un grand plaisir qui me causait des érections, mais jamais d'éjaculation. À la suite de la grande excitation sexuelle que me donnaient ces images, je cherchais une femme, de préférence une femme d'un extérieur correspondant à mon idéal, et je faisais le coït avec elle sans aucun autre procédé et sans être, pendant l'acte, dominé par les images en question. J'avais en outre des penchants pour d'autres femmes et je faisais avec elles le coït sans y être amené par l'impression de l'image évoquée.

    Bien que j'aie mené, d'après ce qu'on a pu voir jusqu'ici, une vie pas trop anormale au point de vue sexuel, ces images se présentaient périodiquement et avec régularité à mon esprit, et c'étaient presque toujours les mêmes scènes que mon imagination évoquait. À mesure que mon instinct sexuel augmentait, les intervalles entre l'apparition des images devenaient de plus en plus longs. Actuellement ces représentations se montrent tous les quinze jours ou toutes les trois semaines. Si je faisais le coït la veille, j'en empêcherais peut-être le retour. Je n'ai jamais essayé de donner un corps à ces représentations très précises et très caractéristiques, c'est-à-dire de les relier avec le monde extérieur; je me suis contenté de me délecter des jeux de mon imagination, car j'étais profondément convaincu que jamais je ne pourrais obtenir une réalisation de mon «idéal», pas même une réalisation approximative. L'idée d'arranger une comédie avec des filles publiques payées, me paraissait ridicule et inutile, car une personne que je payerais ne pourrait jamais, dans mon idée, occuper la place d'«une souveraine» cruelle. Je doute qu'il y ait des femmes à tendances sadiques, telles que les héroïnes des romans de Sacher-Masoch. Quand même il y en aurait, et que j'aurais le bonheur d'en trouver une, mes rapports avec elle, dans la vie réelle, m'auraient toujours paru comme une comédie. Eh bien! me disais-je, si je tombais sous l'esclavage d'une Messaline, je crois que, à la suite des privations qu'elle m'imposerait, j'en aurais bientôt assez de cette vie tant désirée et que, dans les intervalles de lucidité, je ferais tous mes efforts pour pouvoir reprendre ma liberté.

    Pourtant j'ai trouvé un moyen d'obtenir une réalisation approximative. Après avoir, par l'évocation de ces scènes imaginaires fortement excité mon instinct sexuel, je vais trouver une prostituée; arrivé chez elle, je me représente vivement dans mon imagination une de ces scènes d'esclavage où je m'attribue le rôle principal. Au bout d'une demi-heure pendant laquelle mon imagination me dépeint ces situations et que l'érection augmente de plus en plus, je fais le coït avec une volupté plus vive et avec une forte éjaculation. Quand l'éjaculation a eu lieu, le charme est rompu. Honteux, je m'éloigne le plus vite possible et j'évite de me remémorer ce qui s'est passé. Ensuite, quinze jours se passent sans que je sois hanté par mes idées. Quand le coït m'a satisfait, il arrive même que, pendant la période calme qui précède l'accès, je ne puis pas comprendre comment on peut avoir des goûts masochistes. Mais un autre accès arrive sûrement tôt ou tard. Je dois cependant faire remarquer que je fais aussi le coït sans y être préparé par de pareilles représentations; je le fais aussi avec des femmes qui me connaissent bien et en présence desquelles je renie entièrement les fantaisies dont il est question. Mais, dans ces derniers cas, je ne suis pas toujours puissant, tandis que, sous le coup des idées masochistes, ma puissance sexuelle est absolue. Je ne crois pas inutile de faire encore remarquer que, pour mes autres pensées et mes autres sentiments, j'ai des dispositions esthétiques, et que je méprise au plus haut degré les mauvais traitements infligés à un homme. Finalement je dois encore rappeler que la forme du dialogue a aussi son importance. Dans mes représentations, il est essentiel que la «Souveraine» me tutoie, tandis que moi je suis obligé de l'appeler «vous» et «madame». Le fait d'être tutoyé par une personne qui s'y prête et cela comme expression d'une puissance absolue, m'a causé des sensations voluptueuses dès ma première jeunesse et m'en cause encore aujourd'hui.

    J'ai eu le bonheur de trouver une femme qui me convient à tous les points de vue, même au point de vue de la vie sexuelle, bien qu'elle soit loin de ressembler à mon idéal masochiste.

    Elle est douce, mais plantureuse, qualité sans laquelle je ne peux pas m'imaginer aucun plaisir sexuel.

    Les premiers mois de mon mariage se passèrent d'une manière normale au point de vue sexuel; les accès masochistes ne venaient plus; j'avais perdu presque complètement le goût du masochisme. Mais le premier accouchement de ma femme arriva, et l'abstinence par conséquent me fut imposée. Alors les penchants masochistes se manifestèrent régulièrement toutes les fois que le libido se faisait sentir et, malgré mon amour profond et sincère pour ma femme, je fus alors fatalement amené à faire le coït extra-conjugal avec représentations masochistes.

    À ce propos, il y a un fait curieux à constater.

    Le coitus maritalis que j'ai repris plus tard n'était pas suffisant pour éloigner les idées masochistes, comme cela a lieu régulièrement avec le coït masochiste.

    Quant à l'essence du masochisme, je suis d'avis que les idées, par conséquent le côté intellectuel, constituent le phénomène principal, le phénomène lui-même. Si la réalisation des idées masochistes (par conséquent la flagellation passive, etc.) était le but désiré, alors comment expliquer ce fait contradictoire qu'une grande partie des masochistes n'essaient jamais de réaliser leurs idées, ou, s'ils le font, qu'ils en sortent complètement dégrisés ou au moins qu'ils n'y trouvent pas la satisfaction qu'ils espéraient.

    Enfin je ne voudrais pas laisser échapper l'occasion de confirmer, par mon expérience, que le nombre des masochistes, surtout dans les grandes villes, paraît être très considérable. La seule source pour de pareils renseignements, car il n'y a guère de communications inter viros, est dans les dépositions des prostituées et, comme elles s'accordent dans les points principaux, on peut considérer certains faits comme prouvés.

    Ainsi il est bien établi que chaque prostituée expérimentée est munie d'un instrument destinée à la flagellation (habituellement une baguette); mais il faut, à ce propos, rappeler qu'il y a des hommes qui se font flageller pour stimuler leurs désirs sexuels, et qui, contrairement aux masochistes, considèrent la flagellation comme un moyen.

    D'autre part, presque toutes les prostituées sont d'accord dans leurs assertions pour dire qu'il y a un certain nombre d'hommes qui aiment à jouer le rôle d'esclaves, c'est-à-dire à s'entendre appeler ainsi, à se laisser injurier, fouler aux pieds et même battre.

    Bref, le nombre des masochistes est plus grand qu'on ne le suppose.

    La lecture du chapitre de votre livre sur ce sujet m'a fait, ainsi que vous pouvez vous l'imaginer, une formidable impression. Je crus à une guérison, mais à une guérison par la logique d'après la maxime: tout comprendre, c'est tout guérir.

    Il est vrai qu'il ne faut entendre le mot guérison qu'avec une certaine restriction, et qu'il faut bien distinguer entre sentiments généraux et idées concrètes. Les premiers ne peuvent jamais se supprimer. Ils surgissent comme l'éclair; ils sont là et l'on ne sait comment ni d'où ils viennent. Mais on peut éviter la pratique du masochisme en s'abandonnant aux images concrètes et cohérentes ou du moins on peut l'endiguer en quelque sorte.

    À l'heure qu'il est, ma situation a changé. Je me dis: Quoi! tu t'enthousiasmes pour des objets que réprouve non seulement le sens esthétique des autres, mais aussi le tien! Tu trouves beau et désirable ce qui, d'après ton jugement, est vilain, bas, ridicule et en même temps impossible! Tu désires une situation dans laquelle en réalité tu ne voudrais jamais entrer! Voilà les contre-motifs qui agissent comme entraves, dégrisent et coupent court aux fantaisies. En effet, depuis la lecture de votre livre (au commencement de cette année), je ne me suis pas une seule fois laissé aller aux rêveries, bien que les tendances masochistes se manifestent à intervalles réguliers.

    Du reste, je dois avouer que le masochisme, malgré son caractère pathologique très prononcé, non seulement ne peut pas gâter le bonheur de ma vie, mais n'a pas non plus la moindre action sur ma vie sociale. Pendant la période exempte du masochisme, je suis un homme très normal en ce qui concerne mes actions et mes sentiments. Au moment de mes accès masochistes, il se produit une grande révolution dans le monde de mes sentiments, mais ma vie extérieure ne change en rien. J'ai une profession qui exige que je me montre beaucoup dans la vie publique. Or, j'exerce ma profession, pendant l'état masochiste, aussi bien que pendant d'autres périodes.

L'auteur de ce mémoire m'a encore envoyé les notes suivantes:

    I. D'après mon expérience, le masochisme est dans tous les cas congénital et n'est jamais créé par l'individu. Je sais positivement que je n'ai jamais été battu sur les fesses, que mes idées masochistes se sont manifestées dès ma première jeunesse, et que j'ai caressé de pareilles idées depuis le moment où j'ai commencé à penser. Si l'origine de ces idées était due à un coup reçu, je n'en aurais pas assurément perdu le souvenir. Ce qui est caractéristique, c'est que ces idées étaient là bien avant l'existence du libido.

    Mais alors les représentations étaient tout à fait sans sexe. Je me rappelle qu'étant enfant, j'étais très excité (pour ne pas dire agité) lorsqu'un garçon plus âgé que moi me tutoyait, tandis que je lui disais: «vous». Je recherchais les conversations avec lui et j'avais soin d'arranger les choses de telle façon que ces tutoiements reviennent le plus souvent possible au cours de notre entretien. Plus tard, quand je fus plus avancé au point de vue sexuel, ces choses n'avaient de charme pour moi que lorsqu'elles avaient lieu avec une femme relativement plus âgée.

    II. Je suis, au point de vue physique et psychique, d'un caractère tout à fait viril. Très barbu et le corps entier très poilu. Dans mes rapports non masochistes avec la femme, la position dominante de l'homme est pour moi une condition indispensable, et je repousserais avec énergie toute tentative qui y porterait atteinte. Je suis énergique bien que médiocrement brave, mais le manque de bravoure disparaît surtout quand mon orgueil a été blessé. En présence des événements de la nature (orage, tempête sur la mer, etc.), je suis tout à fait calme 49.

        Note 49: (retour)

        Cette différence de bravoure en présence des éléments de la nature d'un côté, et en présence des conflits de la volonté de l'autre, est en tout cas bien frappante (comparez Observation 44); bien que, dans ce cas, elle constitue la seule marque d'effeminatio dont il a été fait mention.

    Mes penchants masochistes n'ont pas, non plus, rien de ce qu'on pourrait appeler de féminin ou d'efféminé. Il est vrai qu'alors domine le penchant à être sollicité et recherché par la femme; cependant les rapports avec la «Souveraine», rapports tant désirés, ne sont pas les mêmes que ceux qui existent entre femme et homme; mais c'est la condition de l'esclave vis-à-vis du maître, de l'animal domestique vis-à-vis de son propriétaire. En tirant les conséquences extrêmes du masochisme, on ne peut conclure autrement qu'en disant que l'idéal du masochiste c'est d'avoir une situation analogue à celle du chien ou du cheval. Ces deux animaux sont la propriété d'un maître qui les maltraite à sa guise sans qu'il doive en rendre compte à qui que ce soit.

    C'est précisément ce pouvoir absolu sur la vie et sur la mort, comme on ne le possède que sur l'esclave et sur l'animal domestique, qui constitue l'alpha et l'oméga de toutes les représentations masochistes.

    III. La base de toutes les idées masochistes c'est le libido. Dès qu'il y a flux ou reflux dans ce dernier, le même phénomène se produit dans les fantaisies du masochisme. D'autre part, les images évoquées, aussitôt qu'elles se présentent à l'esprit, renforcent considérablement le libido. Je n'ai pas naturellement de grands besoins sexuels. Mais, quand les représentations masochistes surgissent dans mon imagination, je suis poussé au coït à tout prix (dans la plupart des cas je suis alors entraîné vers les femmes les plus viles), et si je ne cède pas assez tôt à cette poussée, le libido monte en peu de temps jusqu'au satyriasis. On pourrait à ce propos parler de cercle vicieux.

    Le libido se produit ou parce que j'ai laissé passer un certain laps de temps ou par une excitation particulière, quand même elle ne serait pas de nature masochiste, par exemple par un baiser. Malgré cette origine, le libido, en vertu des idées masochistes qu'il évoque, se transforme en un libido masochiste, c'est-à-dire impur.

    Il est du reste incontestable que le désir est considérablement renforcé par les impressions accidentelles, et surtout par le séjour dans les rues d'une grande ville. La vue de belles femmes imposantes in natura de même qu'in effigie produit de l'excitation. Pour celui qui est sous le coup du masochisme, toute la vie des phénomènes extérieurs est empreinte de masochisme, du moins pendant la durée de l'accès. La gifle que la patronne donne à l'apprenti, le coup de fouet du cocher, tout cela produit au masochiste de profondes impressions, tandis que ces faits le laissent froid ou lui causent même du dégoût en dehors des périodes d'accès.

    IV. En lisant les romans de Sacher-Masoch, je fus déjà frappé par l'observation que, chez le masochiste, des sentiments sadistes se mêlent de temps en temps aux autres sentiments. Chez moi aussi j'ai découvert parfois des sentiments sporadiques de sadisme. Je dois cependant faire observer que les sentiments sadistes ne sont pas aussi marqués que les sentiments masochistes, et, outre qu'ils ne se manifestent que rarement et d'une façon accessoire, ils ne sortent jamais du cadre de la vie des sentiments abstraits, et surtout ils ne revêtent jamais la forme des représentations concrètes et cohérentes. Toutefois, l'effet sur le libido est le même dans les deux cas.

Ce cas est remarquable par l'exposé complet des faits psychiques qui constituent le masochisme.

Le cas qu'on va lire plus loin, l'est aussi par l'extravagance particulière des actes émanant de la perversion. Ce cas est particulièrement de nature à montrer nettement les rapports qui existent entre la soumission à la femme, l'humiliation par la femme et l'étrange effet sexuel qui en résulte.

    Observation 50.—Masochisme. M. Z..., fonctionnaire, cinquante ans, grand, musculeux, bien portant, prétend être né de parents sains; cependant, à sa naissance, le père avait trente ans de plus que la mère. Une sœur de deux ans plus âgée que Z..., est atteinte de la monomanie de la persécution.

    L'extérieur de Z... n'offre rien d'étrange. Le squelette est tout à fait viril, la barbe est forte, mais le torse n'a pas de poil du tout. Il dit lui-même qu'il est un homme sentimental qui ne peut rien refuser à personne; toutefois il est emporté, brusque, mais il se repent aussitôt de ses mouvements de colère. Z... prétend n'avoir jamais pratiqué l'onanisme. Dès sa jeunesse, il avait des pollutions nocturnes dans lesquelles l'acte sexuel n'a jamais joué un rôle, mais toujours la femme seule. Il rêvait, par exemple, qu'une femme qui lui était sympathique, s'appuyait fortement contre lui ou, qu'étant couché sur l'herbe, la femme par plaisanterie montait sur son dos. De tout temps, Z... eut horreur du coït avec une femme. Cet acte lui paraissait bestial. Malgré cela, il se sentait attiré vers la femme. Il ne se sentait à son aise et à sa place que dans la compagnie de belles filles et de belles femmes. Il était très galant sans être importun.

    Une femme plantureuse, avec de belles formes et surtout un beau pied, pouvait, quand il la voyait assise, le mettre dans la plus grande excitation. Il sentait alors le désir violent de s'offrir pour lui servir de siège et pouvoir «supporter tant de splendeur». Un coup de pied, un soufflet, venus d'elle, lui auraient été le plus grand bonheur. L'idée de faire le coït avec elle lui faisait horreur. Il éprouvait le besoin de se mettre au service de la femme. Il lui semblait que les femmes aiment à monter à cheval. Il délirait à l'idée délicieuse de se fatiguer sous le poids d'une belle femme pour lui procurer du plaisir. Il se dépeignait une pareille situation dans tous les sens; il voyait dans son imagination le beau pied muni d'éperons, les superbes mollets, les cuisses rondes et molles. Toute dame de belle taille, tout beau pied de dame excitait fortement son imagination, mais jamais il ne laissait voir ces sensations étranges qui lui paraissaient à lui-même anormales, et il savait toujours se dompter. Mais, d'autre part, il n'éprouvait aucun besoin de lutter contre elles; au contraire, il aurait regretté d'abandonner ses sentiments qui lui sont devenus si chers.

    À l'âge de trente-deux ans, Z... fit par hasard la connaissance d'une femme de vingt-sept ans qui lui était très sympathique, qui était divorcée de son mari et qui se trouvait dans la misère. Il s'intéressa à elle, travailla pour elle pendant des mois et sans aucune intention égoïste. Un soir elle lui demanda impérieusement une satisfaction sexuelle; elle lui fit presque violence. Le coït eut lieu. Z... prit la femme chez lui, vécut avec elle, faisant le coït avec modération; mais il considérait le coït plutôt comme une charge que comme un plaisir; ses érections devinrent faibles; il ne put plus satisfaire la femme et, un jour, celle-ci déclara qu'elle ne voulait plus continuer ses rapports avec lui puisqu'il l'excitait sans la satisfaire. Bien qu'il aimât profondément cette femme, il ne pouvait renoncer à ses fantaisies étranges. Il vécut donc en camarade avec elle, regrettant beaucoup de ne pouvoir la servir de la façon qu'il aurait désiré.

    La crainte que ses propositions soient mal accueillies, ainsi qu'un sentiment de honte, l'empêchaient de se révéler à elle. Il trouvait une compensation dans ses rêves. Il rêvait entre autres être un beau coursier fougueux et être monté par une belle femme. Il sentait le poids de la cavalière, les rênes auxquelles il devait obéir, la pression de la cuisse contre ses flancs, il entendait sa voix belle et gaie. La fatigue lui faisait perler la sueur, l'impression de l'éperon faisait le reste et provoquait parfois l'éjaculation au milieu d'une vive sensation de volupté.

    Sous l'obsession de pareils rêves, Z..., il y a sept ans, surmonta ses craintes et chercha à reproduire dans la réalité une scène analogue.

    Il réussit à trouver des «occasions convenables».

    Voici ce qu'il rapporte à ce sujet: «... Je savais toujours m'arranger de façon que, dans une occasion donnée, elle s'assît spontanément sur mon dos. Alors je m'efforçais de lui rendre cette situation aussi agréable que possible, et je faisais tant et si bien qu'à la prochaine occasion c'était elle qui me disait: «Viens, je veux chevaucher sur toi.» Étant de grande taille, je m'appuyais des deux mains sur une chaise, je mettais mon dos dans une position horizontale et elle l'enfourchait comme les hommes ont l'habitude de monter à cheval. Je contrefaisais alors autant que possible tous les mouvements d'un cheval et j'aimais à être traité par elle comme une monture et sans aucun égard. Elle pouvait me battre, piquer, gronder, caresser, tout faire selon son bon plaisir. Je pouvais supporter, pendant une demi-heure ou trois quarts d'heure, des personnes pesant 60 à 80 kilogrammes. Après ce laps de temps, je demandais toujours un moment de repos. Pendant cet entr'acte, les rapports entre ma «souveraine» et moi étaient tout à fait inoffensifs, et nous ne parlions pas même de ce qui venait de se passer. Un quart d'heure après, j'étais complètement reposé, et je me mettais de nouveau à la disposition de ma «souveraine». Quand le temps et les circonstances le permettaient, je continuais ce manège trois ou quatre fois de suite. Il arrivait que je m'y livrais dans la matinée et dans l'après-midi du même jour. Après, je ne sentais aucune fatigue ni aucun malaise, seulement j'avais peu d'appétit dans ces journées. Quand c'était possible, je préférais avoir le torse nu pour mieux sentir les coups de cravache. Ma «souveraine» était obligée d'être décente. Je la préférais avec de belles bottines, de beaux bas, des pantalons courts et serrant aux genoux, le torse complètement habillé, la tête coiffée d'un chapeau et les mains gantées.»

    M. Z... rapporte ensuite que, depuis sept ans, il n'a plus fait le coït, mais qu'il se sentait tout de même puissant.

    Le «chevauchage par la femme» remplace complètement pour lui cet acte «bestial», même lorsqu'il ne parvient pas à l'éjaculation.

    Depuis huit mois, Z... a fait le voeu de renoncer à son sport masochiste, et il a tenu parole. Toutefois, il avoue que si une femme un peu belle lui disait sans ambage: «Viens, je veux t'enfourcher!» il n'aurait pas la force de résister à cette tentation. Z... demande à être éclairé et à savoir si son anomalie est guérissable, s'il doit être détesté comme un homme vicieux ou s'il n'est qu'un malade qui mérite de la pitié.

Le cas que voici ressemble beaucoup au précédent.

    Observation 51.—Un homme trouve sa satisfaction sexuelle de la manière suivante. Il va de temps en temps chez une puella publica. Il fait serrer son pénis dans un anneau de porcelaine, tels qu'on en emploie pour suspendre les rideaux des fenêtres. On attache sur cet anneau deux ficelles qu'on passe entre ses jambes par derrière et qu'on attache ensuite au lit. Alors l'homme prie la femme de le fouetter sans miséricorde et de le traiter comme un cheval rétif. Plus la femme le pousse à tirer par ses cris et par les coups de fouet, plus il sent augmenter en lui l'excitation sexuelle; il a une érection probablement favorisée mécaniquement par la compression des vena dorsalis penis qui sont serrées par l'anneau lorsque les ficelles sont trop tendues. L'érection augmentant, le membre est comprimé par l'anneau, et enfin l'éjaculation se produit avec une vive sensation de volupté.

Déjà, dans les observations précédentes, l'action d'être foulé aux pieds joue un rôle, à côté d'autres phénomènes, pour exprimer chez le masochiste les situations d'humilié et de souffre-douleur. On voit l'emploi exclusif et étendu dans la plus grande mesure de ce moyen dans le cas classique suivant que Hammond (op. cit., p. 28), cite d'après une observation du Dr Cox50, de Colorado.

    Note 50: (retour)

    Transactions of the Colorado State medical society quoted in the Alienist and Neurologist, 1883. April, p. 347.

Ces cas forment un degré intermédiaire entre un autre genre de perversion et constituent un groupe spécial.

    Observation 52.—X..., mari modèle, avec des principes moraux rigoureux, père de plusieurs enfants, est pris par moments, ou pour mieux dire par accès, de l'envie d'aller au bordel, d'y choisir deux ou trois des plus grandes filles et de s'enfermer avec elles. Alors il met son torse à nu, se couche par terre, croise les bras sur l'abdomen, ferme les yeux et fait marcher la puella sur sa poitrine nue, sur son cou et sa figure, en la priant d'enfoncer vigoureusement à chaque pas les talons dans sa chair. À l'occasion, il demande des filles encore plus lourdes ou quelques autres exercices qui rendent le procédé encore plus cruel. Au bout de deux ou trois heures, il en a assez, paie son compte et va à ses affaires pour revenir, une semaine après, se procurer de nouveau ce plaisir étrange.

    Il arrive aussi quelquefois qu'il fait monter une de ces filles sur sa poitrine, et les autres doivent alors la prendre et la faire tourner sur ses talons comme une toupie jusqu'à ce que la peau de M. X... saigne sous les talons des bottines.

    Souvent une des filles est obligée de se placer de façon à ce qu'elle tienne la bottine sur ses deux yeux et que le talon presse un peu la pupille de l'un des yeux tandis que l'autre pied chaussé est sur le cou. Dans cette position, il soutient le poids d'une personne d'environ 150 livres pendant quatre ou cinq minutes.

    L'auteur parle d'une douzaine de cas analogues dont il a eu connaissance. Hammond suppose avec raison que cet homme, étant devenu impuissant dans ses rapports avec les femmes, cherchait et trouvait, par ce procédé étrange, un équivalent du coït; pendant qu'il laissait piétiner son corps jusqu'à en saigner, il éprouvait d'agréables sensations sexuelles accompagnées d'éjaculation.

Les neuf cas de masochisme que nous avons cités jusqu'ici et beaucoup d'autres cas analogues dont les auteurs font mention, constituent l'opposé du groupe des cas sadistes dont nous avons donné la description plus haut. De même que, dans ce groupe des sadistes, des hommes pervers cherchent une excitation et trouvent une satisfaction en maltraitant la femme, de même, dans le masochisme, ils cherchent à obtenir un effet semblable en endurant des mauvais traitements.

Mais, fait curieux, le groupe des sadistes, celui des assassins même, n'est pas sans avoir un pendant correspondant à celui du masochisme.

Dans ses extrêmes conséquences, le masochisme devrait aboutir au vif désir de se faire donner la mort par une personne de l'autre sexe, de même que le sadisme atteint son plus haut degré dans l'assassinat par volupté. Mais contre cette extrême conséquence se dresse l'instinct de la conservation, de sorte que l'idée extrême n'arrive jamais à être mise à exécution.

Quand tout l'édifice du masochisme n'est échafaudé qu'in petto, l'imagination des individus atteints peut même aller jusqu'aux idées extrêmes, ainsi que le prouve le cas suivant.

    Observation 53.—Un homme d'âge moyen, marié et père de famille, qui a toujours mené une vita sexualis normale, mais qui prétend être né d'une famille très nerveuse, me fait les communications suivantes. Dans sa premières jeunesse, il était sexuellement très excité toutes les fois qu'il voyait une femme qui égorgeait un animal avec un couteau. À partir de cette époque, il fut pendant des années plongé dans ce rêve voluptueux que des femmes armées de couteaux le piquaient, le blessaient et même le tuaient. Plus tard, quand il commença à avoir des rapports sexuels normaux, ces idées perdirent pour lui tout leur charme pervers.

Il faut rapprocher ce dernier cas des observations citées plus haut et d'après lesquelles il y a des hommes qui trouvent une jouissance sexuelle à se laisser blesser légèrement par des femmes et à être menacés de mort par elles.

Ces fantaisies donneront peut-être l'explication de l'étrange fait qui va suivre et que je dois à une communication de M. le Dr Kœrber de Hankau (Silésie).

    Observation 54.—Une dame m'a raconté l'histoire suivante. Jeune fille ignorante, elle fut mariée à un homme d'environ trente ans. La première nuit du mariage, il lui mit presque par force un petit bassin avec du savon dans les mains; il voulut alors, sans autre marque d'amour, qu'elle lui savonnât le menton et le cou comme s'il devait se faire la barbe. La jeune femme, tout à fait inexpérimentée, fit ce que son mari exigeait, et fut très étonnée de n'avoir, pendant les premières semaines de son mariage, appris rien autre chose des mystères de la vie matrimoniale. Son mari lui déclara que son plus grand plaisir était de se faire savonner la figure par elle. La jeune femme ayant plus tard consulté des amies, décida son mari à faire le coït et, comme elle l'affirme formellement, elle eut de lui par la suite trois enfants. Le mari est travailleur, même très rangé, mais il est brusque et morose. Il exerce le métier de négociant.

Il est très admissible que l'homme dont il est ici question ait considéré l'acte d'être rasé (ou les préparatifs par le savonnage) comme la réalisation symbolique d'idées de blessures et d'égorgement, de fantaisies sanguinaires, comme les idées qui hantèrent, dans un autre cas, un homme d'un certain âge pendant sa jeunesse, et que c'est cette symbolisation qui lui a procuré l'excitation et la satisfaction sexuelles. La parfaite contre-partie sadiste de ce cas ainsi envisagé se trouve dans l'observation 35 qui traite d'un cas de sadisme symbolique.

D'ailleurs, il y a tout un groupe de masochistes qui se contentent des signes symboliques de la scène qui correspond à leur perversion. Ce groupe correspond au groupe des sadistes «symboliques», ainsi que les groupes masochistes que nous avons cités plus haut correspondent aux autres groupes du sadisme. Les désirs pervers du masochiste peuvent (bien entendu toujours dans son imagination) aller jusqu'à «l'assassinat passif par volupté», mais, d'autre part, ils peuvent se contenter de simples indications symboliques de cette situation désirée. D'habitude cette situation se traduit par des mauvais traitements, ce qui, objectivement, dépasse le rêve d'être tué, mais reste en deçà de l'idée subjective.

À côté de l'observation 54, nous tenons encore à citer quelques cas analogues dans lesquels les scènes désirées et arrangées par le masochiste n'ont qu'un caractère purement symbolique et ne servent que pour indiquer la situation tant désirée.

    Observation 55.—(Pascal, Igiene dell Amore.) Tous les trois mois, un homme d'environ quarante-cinq ans, venait chez une prostituée et lui payait 10 francs pour faire ce qui suit. La puella devait le déshabiller, lui lier pieds et mains, lui bander les yeux et en outre fermer les volets des fenêtres pour rendre la chambre obscure. Alors elle le faisait asseoir sur un divan et l'abandonnait dans cet état.

    Une demi-heure plus tard, la fille devait revenir et délier les cordes. L'homme payait alors et s'en allait satisfait pour revenir dans trois mois.

Il paraît que cet homme en restant dans l'obscurité, complétait par son imagination l'idée qu'il était livré sans défense au pouvoir absolu d'une femme. Le cas suivant est encore plus étrange; c'est une comédie compliquée pour satisfaire des désirs masochistes.

    Observation 56.—(Dr Pascal, ibid.) À Paris, un individu se rendait à des soirées fixées d'avance dans un appartement dont la propriétaire était disposée à se prêter à ses penchants étranges. Il entrait en tenue de soirée dans le salon de la dame qui devait le recevoir en grande toilette et d'un air hautain. Il l'appelait «marquise» et elle devait l'appeler: «mon cher comte». Il parlait ensuite du bonheur de la trouver toute seule, de son amour et de l'heure du berger. La dame devait alors jouer le rôle d'une dame froissée dans sa dignité. Le prétendu comte s'enflammait de plus en plus et demandait à la pseudo-marquise de lui poser un baiser sur l'épaule. Grande scène d'indignation; elle sonne, un valet loué exprès à cet effet, entre et met le comte à la porte. Le comte s'en va très content et paie richement les personnes qui ont joué cette comédie préparée.

Il faut distinguer de ce «masochisme symbolique» le «masochisme idéal» dans lequel la perversion psychique reste dans le domaine de l'idée et de l'imagination et n'essaie jamais de transporter dans la réalité les scènes rêvées. On peut considérer comme exemples de «masochisme idéal» les observations 49 et 53. On peut y faire rentrer aussi les deux cas suivants: le premier concerne un individu taré physiquement et intellectuellement, portant des marques de dégénérescence, et chez lequel l'impuissance physique et psychique s'est produite très tôt.

    Observation 57.—M. Z..., vingt-deux ans, célibataire, m'a été amené par son tuteur pour consultation médicale, le jeune homme étant très nerveux et, de plus, sexuellement anormal. Son père, au moment de la conception, avait une maladie de nerfs.

    Le malade était un enfant vif et doué de talents. On constata chez lui la masturbation dès l'âge de sept ans. À partir de neuf ans, il devint distrait, oublieux, ne pouvant faire de progrès dans ses études.

    On était obligé de l'aider par des répétitions et par protection; c'est avec beaucoup de peine qu'il put finir ses classes au Real-gymnasium; pendant son année de volontariat, il se fit remarquer par son indolence, son manque de mémoire et divers coups de tête.

    Ce qui amena à demander une consultation médicale fut un incident dans la rue. Z... s'était approché d'une dame et, d'une manière très importune, au milieu des marques d'une vive surexcitation, il avait voulu entamer une conversation à tout prix.

    Le malade donne comme motif qu'il a voulu, par la conversation avec une honnête fille, s'exciter afin d'être capable de faire le coït avec une prostituée.

    Le père de Z... considère son fils comme un garçon originairement bon et moral, mais sans énergie, faible, troublé, souvent désespéré des insuccès de la vie qu'il a menée jusqu'ici, comme un homme indolent qui ne s'intéresse qu'à la musique pour laquelle il a beaucoup de talent.

    L'extérieur physique du malade, notamment son crâne plagiocéphale, ses grandes oreilles écartées, l'innervation du côté droit de la bouche, l'expression névropathique des yeux, indiquent un névropathe dégénéré.

    Z... est d'une grande taille, robuste de corps, d'une apparence tout à fait virile. Le bassin est viril, les testicules sont bien développés; pénis très gros, mons Veneris très poilu, le testicule droit descend plus bas que le gauche, le réflexe crémastérien des deux côtés est faible. Au point de vue intellectuel, le malade est au-dessous de la moyenne. Il sent lui-même son insuffisance, se plaint de son indolence et prie qu'on lui rende la force de caractère. Son attitude gauche, embarrassée, son regard effarouché et son maintien nonchalant indiquent la masturbation. Le malade convient que, depuis l'âge de sept ans jusqu'à il y a un an et demi, il s'est masturbé de 8 à 12 fois par jour. Jusqu'à ces dernières années, époque où il devint neurasthénique (douleurs à la tête, incapacité intellectuelle, irritation spinale, etc.), il prétend avoir éprouvé toujours beaucoup de volupté en se masturbant. Depuis, il n'a plus cette sensation, et la masturbation a perdu pour lui tout son charme. Il est devenu de plus en plus timide, mou, sans énergie, lâche et craintif; il ne prend plus intérêt à rien, ne vaque à ses affaires que par devoir et se sent exténué. Il n'a jamais pensé au coït et, à son point de vue d'onaniste, il ne comprend pas comment les autres peuvent y trouver du plaisir.

    J'ai recherché l'inversion sexuelle; j'ai obtenu un résultat négatif.

    Il prétend n'avoir jamais senti de penchant pour les personnes de son propre sexe. Il croit plutôt avoir eu par ci par là une faible inclination pour les femmes. Il prétend avoir été amené à l'onanisme de lui-même. À l'âge de treize ans, il remarqua pour la première fois l'émission de sperme à la suite des manipulations onanistes.

    Ce n'est qu'après avoir longuement insisté que Z... consentit à révéler tout entière sa vita sexualis. Ainsi qu'il ressort des renseignements qui suivront, on pourrait le classer comme un cas de masochisme idéal combiné à un sadisme rudimentaire. Le malade se rappelle bien distinctement que, dès l'âge de six ans, des «idées de violence» ont germé spontanément dans son esprit. Il était obsédé par l'idée que la fille de chambre lui écartait de force les jambes pour montrer ses parties génitales à d'autres personnes; qu'elle essayait de le jeter dans l'eau froide ou bouillante pour lui causer de la douleur. Ces idées de violence étaient accompagnées du sensations de volupté et provoquaient la masturbation. Plus tard, c'est le malade lui-même qui évoquait dans son imagination ces tableaux afin de se stimuler à la masturbation. Ils jouaient même un rôle dans ses rêves, mais ils n'amenaient jamais la pollution, évidemment parce que le malade se masturbait outre mesure pendant la journée.

    Avec le temps se joignirent à ces idées masochistes de violence des idées sadiques. D'abord c'était l'image de garçons qui, par violence, se masturbaient mutuellement et se coupaient réciproquement les parties génitales. Souvent alors il se mettait en imagination dans le rôle d'un de ces garçons, tantôt dans le rôle actif, tantôt dans le rôle passif.

    Plus tard, son esprit fut préoccupé par l'image de filles et de femmes qui s'exhibitionnaient l'une devant l'autre; il se présentait à son imagination des scènes où la fille de chambre écartait de force les cuisses d'une autre fille et lui tirait les poils du pubis; ensuite c'étaient des garçons cruels qui piquaient des filles et leur pinçaient les parties génitales.

    Tous ces tableaux provoquaient chez lui des excitations sexuelles; mais il n'eut jamais de penchants à jouer un rôle actif dans ces scènes ou de les subir passivement. Il lui suffisait de se servir de ces représentations pour l'automasturbation. Depuis un an et demi ces scènes et ces désirs sont devenus plus rares, à la suite de la diminution du libido et de l'imagination sexuelle, mais leur sujet est resté toujours le même. Les idées de violence masochiste prévalent sur les idées sadistes. Depuis ces temps derniers, quand il aperçoit une dame, il lui vient toujours l'idée qu'elle a les mêmes idées sexuelles que lui. Cela explique en partie son embarras dans son commerce avec le monde. Comme le malade a entendu dire qu'il serait débarrassé de ses idées sexuelles qui lui sont devenues importunes, s'il s'habituait à une satisfaction normale de son instinct, il a, au cours des derniers dix-huit mois, tenté deux fois d'accomplir le coït, bien que cet acte lui répugnât et qu'il ne se promît aucun succès. Aussi l'essai s'est-il terminé chaque fois par un échec complet. La seconde fois il éprouva, au moment de sa tentative, une telle répugnance qu'il repoussa la fille et se sauva à toutes jambes.

Le second cas est l'observation suivante qu'un collègue a mise à ma disposition. Bien qu'aphoristique elle est de nature à montrer le caractère du masochisme, la conscience de la soumission.

    Observation 58.—Masochisme. Z..., vingt-sept ans, artiste, de vigoureuse constitution physique, d'extérieur agréable, prétend n'être pas taré; bien portant pendant son enfance; est depuis l'âge de vingt-trois ans nerveux et enclin aux idées hypocondriaques. Au point de vue sexuel, il a un penchant à la fanfaronnade, mais toutefois il n'est pas capable de grands exploits. Malgré les avances que lui font les femmes, ses rapports avec elles se bornent à des caresses innocentes. Avec cela, il a un penchant curieux à convoiter les femmes qui se montrent farouches avec lui. Depuis l'âge de vingt-cinq ans, il a fait lui-même la constatation que les femmes, fussent-elles les plus laides, provoquent en lui une excitation sexuelle aussitôt qu'il aperçoit un trait impérieux et hautain dans leur caractère. Un mot de colère de la bouche d'une femme suffit pour provoquer chez lui les érections les plus violentes. Il était un jour assis au café et entendit la caissière, femme d'ailleurs très laide, gronder vertement et d'une voix énergique le garçon. Cette scène lui causa une violente émotion sexuelle qui, en peu de temps, aboutit à l'éjaculation. Z... exige des femmes avec lesquelles il doit avoir des rapports sexuels qu'elles le repoussent et lui fassent des misères de toutes sortes. Il dit que, seules, les femmes qui ressemblent aux héroïnes des romans de Sacher-Masoch pourraient l'exciter.

Ces faits où toute la perversion de la vita sexualis ne se manifeste que dans le domaine de l'imagination et de la vie intérieure des idées et de l'instinct, et n'arrive que rarement à la connaissance d'autrui, paraissent être assez fréquents. Leur signification pratique, comme en général celle du masochisme qui n'offre pas un aussi grand intérêt médico-légal que le sadisme, consiste uniquement dans l'impuissance psychique dans laquelle tombent ordinairement les individus atteints de cette perversion; leur portée pratique consiste en outre dans un penchant violent à la satisfaction solitaire sous l'influence d'images adéquates et dans les conséquences que ces pratiques peuvent entraîner.

Le masochisme est une perversion très fréquente, cela ressort suffisamment de ce qu'on en a déjà cité scientifiquement des cas relativement très nombreux; les diverses observations publiées plus haut en prouvent aussi la grande extension.

Les ouvrages qui s'occupent de la prostitution des grandes villes contiennent également de nombreux documents sur cette matière51.

    Note 51: (retour)

    Léo Taxil (op. cit., p. 238), donne la description de scènes masochistes dans les bordels de Paris. Là aussi on appelle «esclave» l'homme atteint de cette perversion.

Un fait intéressant et digne d'être noté, c'est qu'un des hommes les plus célèbres de tous les temps ait été atteint de cette perversion et en ait parlé dans son autobiographie bien qu'avec une interprétation quelque peu erronée.

Il ressort des Confessions de Jean-Jacques Rousseau que ce grand homme était atteint de masochisme.

Rousseau, dont la vie et la maladie ont été analysées par Mœbius (J.-J. Rousseau Krankheitsgeschichte, Leipzig 1889) et par Châtelain (La folie de J.-J. Rousseau, Neuchâtel 1890) raconte dans ses Confessions (1re partie Ier livre) combien Mlle Lambercier, alors âgée de trente ans, lui en imposait lorsque, à l'âge de huit ans, il était en pension et en apprentissage chez le frère de cette demoiselle. L'irritation de la dame, quand il ne savait promptement répondre à une de ses questions, ses menaces de le fouetter, lui faisaient la plus profonde impression. Ayant reçu un jour une punition corporelle de la main de Mlle L..., il éprouva, en dehors de la douleur et de la honte, une sensation voluptueuse et sensuelle qui lui donna une envie violente de recevoir encore d'autres corrections. Seule la crainte de faire de la peine à la dame, empêchait Rousseau de provoquer les occasions pour éprouver cette douleur voluptueuse. Un jour cependant il s'attira malgré lui une nouvelle punition de la main de Mlle L... Ce fut la dernière, car Mlle Lambercier dut s'apercevoir de l'effet étrange que produisait cet acte et, à partir de ce moment, elle ne laissa plus dormir dans sa chambre ce garçon de huit ans. Depuis R... éprouvait le besoin de se faire punir de la même façon qu'avec Mlle Lambercier, par des dames qui lui plaisaient, bien qu'il affirme n'avoir rien su des rapports sexuels avant d'être devenu jeune homme. On sait que ce ne fut qu'à l'âge de trente ans que Rousseau fut initié aux vrais mystères de l'amour par Mme de Warens et qu'il perdit alors son innocence. Jusque-là il n'avait que des sentiments et des langueurs pour les femmes en vue d'une flagellation passive et d'autres idées masochistes.

Rousseau raconte in extenso combien, avec ses grands besoins sexuels, il a souffert de cette sensualité étrange et évidemment éveillée par les coups de fouet, languissant de désirs et hors d'état de pouvoir les manifester. Ce serait cependant une erreur de croire que Rousseau ne tenait qu'à la flagellation seule. Celle-ci n'éveillait en lui qu'une sphère d'idées appartenant au domaine du masochisme. C'est là que se trouve en tout cas le noyau psychologique de son intéressante auto-observation. L'essentiel chez Rousseau c'était l'idée d'être soumis à la femme. Cela ressort nettement de ses Confessions où il déclare expressément:

«Être aux genoux d'une maîtresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir des pardons à lui demander, étaient pour moi de très douces jouissances.»

Ce passage prouve donc que la conscience de la soumission et de l'humiliation devant la femme était pour lui la principale chose.

Il est vrai que Rousseau lui-même était dans l'erreur en supposant que ce penchant à s'humilier devant la femme n'avait pris naissance que par la représentation de la flagellation qui avait donné lieu à une association d'idées.

«N'osant jamais déclarer mon goût, je l'amusais du moins par des rapports qui m'en conservaient l'idée.»

Pour pouvoir saisir complètement le cas de Rousseau et découvrir l'erreur dans laquelle il a dû tomber fatalement lui-même en analysant son état d'âme, il faut comparer son cas avec les nombreux cas établis de masochisme parmi lesquels il y en a tant qui n'ont rien à faire avec la flagellation et qui par conséquent nous montrent clairement le caractère originel et purement psychique de l'instinct d'humiliation.

C'est avec raison que Binet (Revue anthropologique, XXIV, p. 256) qui a analysé à fond le cas de Rousseau, attire l'attention sur la signification masochiste de ce cas en disant:

«Ce qu'aime Rousseau dans les femmes, ce n'est pas seulement le sourcil froncé, la main levée, le regard sévère, l'attitude impérieuse, c'est aussi l'état émotionnel dont ces faits sont la traduction extérieure; il aime la femme fière, dédaigneuse, l'écrasant à ses pieds du poids de sa royale colère.»

L'explication de ce fait énigmatique de psychologie a été résolue par Binet par l'hypothèse qu'il s'agissait de fétichisme, à cette différence près que l'objectif du fétichisme, l'objet d'attrait individuel (le fétiche), ne doit pas toujours être une chose matérielle comme la main, le pied, mais qu'il peut être aussi une qualité intellectuelle. Il appelle ce genre d'enthousiasme «amour spiritualiste» en opposition avec l'«amour plastique», comme cela a lieu dans le fétichisme ordinaire.

Ces remarques sont intéressantes, mais elles ne font que donner un mot pour désigner un fait; elles n'en fournissent aucune explication. Est-il possible de trouver une explication de ce phénomène? C'est une question qui nous occupera plus loin.

Chez Baudelaire, un auteur français célèbre ou plutôt mal réputé et qui a fini dans l'aliénation mentale, on trouve des éléments de masochisme et de sadisme. Baudelaire est aussi issu d'une famille d'aliénés et d'exaltés. Il était dès son enfance physiquement anormal. Sa vita sexualis était certainement morbide. Il entretenait des liaisons amoureuses avec des personnes laides et répugnantes, des négresses, des naines, des géantes. Il exprima à une très belle femme le désir de la voir suspendue par les mains pour pouvoir baiser ses pieds. Cet enthousiasme pour le pied nu se montre aussi dans une de ses poésies enfiévrées comme un équivalent de la jouissance sexuelle. Il déclarait que les femmes sont des animaux qu'il faut enfermer, battre et bien nourrir. Cet homme qui avouait ses penchants masochistes et sadistes, a fini dans l'idiotie paralytique (Lombroso: L'homme de génie).

Dans les ouvrages scientifiques on n'a, jusqu'à ces temps derniers, prêté aucune attention aux faits qui constituent le masochisme. On doit rappeler cependant que Tarnowsky (Die krankhaften Erscheinungen des Geschlechtssinns, Berlin, 1866) a rencontré dans sa pratique des hommes intelligents, très heureux en ménage, qui de temps en temps éprouvaient le désir irrésistible de se soumettre aux traitements les plus brutaux et les plus cyniques, de se faire injurier et battre par des Cynèdes, des pédérastes actifs ou des prostituées.

À remarquer aussi le fait observé par Tarnowsky, que, chez certains individus adonnés à la flagellation passive, les coups seuls, quand même ils font saigner le corps, n'amènent pas toujours le succès désiré (puissance ou du moins éjaculation au moment de la flagellation). «Il faut alors déshabiller de force l'individu en question, lui ligoter les mains, l'attacher à un banc, etc.; pendant ces manœuvres, il fait semblant d'opposer une résistance et de proférer des injures. Seuls, dans ces conditions, les coups de fouet ou de verge produisent une excitation qui aboutit à l'éjaculation.»

L'ouvrage d'O. Zimmermann (Die Wonne des Leids, Leipzig, 1885) renferme bien des documents sur ce sujet, puisés dans l'histoire de la littérature et de la civilisation52.

    Note 52: (retour)

    Il faut cependant bien séparer le masochisme de la thèse principale soutenue dans cet ouvrage, que l'amour contient toujours une part de douleur. De tout temps on a dépeint les langueurs de l'amour non partagé comme pleines de délices et de souffrances à la fois, et les poètes ont parlé des «tortures délicieuses» de la «volupté douloureuse». Il ne faut pas confondre cela avec les phénomènes du masochisme, ainsi que le fait Zimmermann. De même on ne peut comprendre dans cette catégorie les cas où l'on appelle cruelle l'amante qui ne veut pas se livrer. Toutefois, il est curieux de remarquer que Hamerling (Amor und Psyche, 4e chant), pour exprimer ce sentiment, a choisi des images tout à fait masochistes, telles que la flagellation, etc.

Plus récemment ce sujet a attiré l'attention.

A. Moll, dans son ouvrage «Les perversions de l'instinct génital» (édition française, Paris, Carré, 1893), cite une série de cas de masochisme qu'on a observés chez des individus atteints d'inversion sexuelle, entre autres le cas d'un masochiste à inversion sexuelle qui donne à un homme habitué à cela une instruction détaillée en vingt paragraphes pour se faire traiter en esclave et torturer.

Au mois de juin 1891, M. Dimitri von Stefanowsky, actuellement substitut du procureur impérial à Iaroslaw, en Russie, m'a dit que depuis trois ans déjà il a porté son attention sur ce phénomène de perversion de la vita sexualis que j'ai décrit sous le nom de masochisme, mais qu'il a désigné par le mot de «passivisme». Il y a un an et demi il a fait présenter par le professeur Kowalewsky de Charkow un travail sur ce sujet dans les Archives russes de psychiatrie, et, au mois de novembre 1888, il a fait à la Société juridique de Moscou une conférence sur ce sujet au point de vue juridique et psychologique (reproduite dans le Juridischen Boten, organe de la société en question).

V. Schrenk-Notring consacre, dans son ouvrage récemment paru (Die suggestions-therapie bei krankhaften erscheinungen des geschlechtssinnes, etc., Stuttgart, 1892), au masochisme ainsi qu'au sadisme quelques chapitres et cite plusieurs observations53.

    Note 53: (retour)

    Dans la littérature nouvelle, dans les romans et les contes, la perversion psycho-sexuelle qui fait le sujet de ce chapitre, a été traitée par Sacher-Masoch, dont les écrits, plusieurs fois cités, contiennent des descriptions de l'état d'âme morbide de ces individus. Beaucoup de gens atteints de cette perversion signalent les ouvrages de Sacher-Masoch comme une description typique de leur propre état psychique.

    Zola a, dans sa Nana, une scène masochiste, de même que dans Eugène Rougon. Le décadentisme littéraire, plus moderne, en France et en Allemagne, s'occupe beaucoup de masochisme et de sadisme. Le roman moderne russe, s'il faut en croire Stefanowski, traite aussi ce sujet; mais, d'après les communications du voyageur Johann-Georg Forster (en 1751-94), cet état jouait déjà un rôle dans la chanson populaire russe.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire