lundi 20 octobre 2008

Altruisme : le choix des femmes ?

Nous avions évoqué  les principales hypothèses explicatives de l’évolution de l’altruisme chez l’espèce humaine : sélection de parentèle de W. Hamilton, anticipation de réciprocité de R. Trivers, sélection de groupe de D.S. Wilson et E. Sober. Mais il existe un quatrième facteur explicatif connaissant un regain d’intérêt : la sélection sexuelle. L’hypothèse en a été faite la première fois par le chercheur Amotz Zahavi, dans le cadre de sa « théorie du handicap » : un animal parvenant à supporter un ornement coûteux (par exemple un plumage abondant et vif) est supposé avoir de « meilleurs gènes » (pour la survie) qu’un autre, car il parvient à déjouer prédateurs et concurrents malgré son « handicap ». En général, ce sont les mâles qui exhibent ces caractères secondaires luxuriants et les femelles qui les sélectionnent. L’altruisme, notamment l’altruisme envers les non-apparentés, serait une forme de handicap : celui qui est capable de sacrifier temps et énergie pour les autres serait un bon parti. Dans le cas de l’espèce humaine, l’altruisme est rendu nécessaire par le dimorphisme sexuel et l’investissement parental : la grossesse est coûteuse et invalidante pour la femme, l’enfant connaît un développement lent appelant soin, nourriture et protection sur une longue durée. L’intérêt de la femme (sa probabilité relative de survie ainsi que celle de ses enfants) est de trouver un partenaire sexuel s’engageant durablement. Mais ce n’est pas forcément l’intérêt de l’homme, qui peut choisir une stratégie de dissémination de ses gènes (multiplier des partenaires sexuels, sans s’occuper ensuite des enfants). L’altruisme pourrait être un marqueur d’investissement parental : le fait de montrer une certaine constance dans l’engagement et l’attention en faveur des autres est corrélé avec une plus forte probabilité d’un tel engagement et d’une telle attention au sein du couple. La cognition et le langage ont pu de surcroît renforcer le « commérage sexuel » au sein des groupes humains dans l’évolution, la plus ou moins bonne réputation des mâles formant un filtre de sélection pour les femelles.

Plusieurs travaux ont documenté cette préférence pour l’altruisme dans la sélection du partenaire. Par exemple, on a montré que chez les chasseurs-cueilleurs, les meilleurs chasseurs du groupe partagent leur nourriture (c’est-à-dire que leurs familles ne sont pas avantagées) en même temps qu’ils ont le meilleur succès reproductif. L’altruisme ne peut en être pas la cause directe (puisqu’il y a partage, coûteux pour les apparentés), ce qui laisse entendre que cet altruisme fait l’objet d’une sélection indépendante des ressources. Les études interculturelles de David Buss ont montré que des traits psychologiques comme la gentillesse et le caractère compréhensif font partie des caractéristiques les plus appréciées dans le choix du partenaire à long terme (avant la richesse ou la beauté), dans 37 cultures contemporaines pourtant très différentes du point de vue technologique, économique, démographique ou religieux. D’autres recherches ont observé que parmi 76 traits possibles chez un reproducteur, la considération, l’honnêteté, la gentillesse, l’affection, la bienveillance figurent parmi les plus appréciés, les femmes étant plus portées que les hommes à les placer au sommet de leur hiérarchie de valeurs.

Des chercheurs en biologie et psychologie de l’Université de Nottingham (Royaume-Uni) viennent d’apporter une nouvelle pièce à ce dossier. Ils ont tout d’abord conçu une échelle qualitative de « préférence du partenaire pour des traits altruistes » (MPAT scale), validée par une démarche qualitative et quantitative auprès de 380 étudiants occidentaux. La conception de cette échelle incluait l’analyse de situation altruiste vers des non-apparentés (plonger dans une rivière pour sauver un inconnu, consacrer un peu de son temps libre à aider des voisins dans le besoin, être volontaire bénévole dans un hôpital, etc.). Sur 50 items, 16 se sont révélés efficaces pour cerner le degré d’altruisme et forger une analyse en composantes principales. De ce premier travail, il résulte que les femmes obtiennent un score supérieur à celui des hommes pour l’échelle MPAT, ce qui est conforme aux prédictions de la sélection sexuelle de l’altruisme. Cette échelle a ensuite été testée chez 340 couples d’âge divers (57,9 ans en moyenne). La même différence a été observée entre les sexes. Par ailleurs, plus le MPAT de la femme était élevé, plus l’altruisme du partenaire mesuré par autoquestionnaire standardisé l’était aussi (corrélation positive de 0,41). Une troisième étude a été consacrée au choix de personnes plus jeunes (398, âge moyen 19,4 ans) selon l’échelle MPAT. La même différence entre les sexes en ressort. Dans ces deux dernières analyses, les variations du niveau d’altruisme auto-rapporté des individus n’étaient pas significativement associées aux variations des préférences pour l’altruisme chez le partenaire (cela signifie que la préférence pour un partenaire altruiste n’est pas un simple dérivé de son propre altruisme).

Référence :
Philips, T. et al. (2008), Do humans prefer altruistic mates? Testing a link between sexual selection and altruism towards non-relatives, British Journal of Psychology, 99, 555-572, doi : 10.1348/000712608X298467

Illustration : photographie de Sabine Pigalle (exposition en cours, «Phobie», à la Galerie Bailly).

A lire aussi : sur la place de la sélection sexuelle dans l’évolution de la cognition humaine, L’intelligence sexuelle.

2 commentaires:

  1. Lu dans le Parisien ce matin, page 15: Les femmes passent presque trois fois plus de temps sur leur ordinateur de travail qu'avec leurs conjoints, selon une étude publiée hier par la société d'étude Harris Interacive, menée sur des Américaines. Elles restent ainsi près de 9.3 heures devant leurs écrans au travail, contre 3.6 heures en compagnie de leurs partenaires. Seule une femme sur cinq aimerait passer plus de temps avec son partenaire qu'avec son ordinateur...

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  2. 3h par jour, cela peut être beaucoup. Un diner aux chandelles, 1 heures 30, 1 heure 30 de câlins et debriefing de la journée, hop la boum pendant la nuit et le matin avant de se lever. Parce que la nuit c'est 8 ou 9 heures en plus des 3 heures.

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