samedi 11 mars 2000

Questions-réponses sur la sexualité


Pourquoi le sexe est-il apparu dans l’évolution ?
Aucun doute, la nature aime le sexe : environ 95 % des espèces connues de végétaux et d’animaux sont sexuées. Pourtant, un certain nombre d’entre elles se reproduisent parfaitement sans le sexe, soit par fission (le clonage, inventé quelques milliards d’années avant l’homme par les animaux unicellulaires), soit par parthénogenèse. La méthode est économique puisqu’elle évite aux espèces concernées de produire deux types de cellules sexuelles (gamètes), d’inventer toute la machinerie étrange des attractants sexuels stimulant le désir, de gâcher une énorme énergie dans les rites de séduction et dans les exercices de copulation. La parthénogenèse est aussi efficace : en dix générations, on a calculé qu’une espèce asexuée « type » produit mille fois plus de descendants qu’une espèce sexuée. La parthénogenèse est enfin une méthode sûre, puisque les bactéries se reproduisent ainsi depuis plus de 3 milliards d’années. Pourquoi donc l’évolution a-t-elle inventé la reproduction sexuée ? Parce que celle-ci, quoique plus compliquée au premier abord, présente plusieurs avantages sélectifs.
La reproduction asexuée produit des clones : sauf dans le cas d’une mutation, les enfants sont parfaitement semblables à leurs parents. L’invention du sexe a changé la donne : les parents ne donnent chacun que 50 % de leur génome (aléatoirement sélectionnés lors de la méiose) à leurs enfants. Il en résulte une plus grande diversité entre les individus de l’espèce.
Or, cette diversité se révèle avantageuse dans au moins trois types de situations : les mutations génétiques, l’adaptation écologique et la résistance aux parasites. Les mutations génétiques, qui résultent d’erreurs de copie de l’ADN, sont le plus souvent délétères pour l’individu qui en est porteur. La reproduction asexuée tend à les accumuler rapidement puisque les gènes mutés sont transmis à l’identique de génération en génération. Dans la reproduction sexuée, les chances de transmettre des mutations sont minimisées, puisqu’il faut hériter du gène muté du père en même temps que de celui de la mère au terme de la grande loterie que représente la recombinaison génétique. La reproduction sexuée aboutit ainsi à des individus porteurs de mutations à l’état hétérozygote : les mauvaises se stabilisent ou sont peu à peu éliminées du pool génétique ; les bonnes permettent une éventuelle adaptation aux changements de milieu.
Cette adaptation écologique est le deuxième avantage du sexe. Lorsque le milieu change, la reproduction asexuée offre peu de souplesse, tous les descendants étant identiques à leurs parents à quelques mutations près. Le sexe produit au contraire une plus grande variabilité : les individus inadaptés au changement disparaissent tandis que les autres survivent. Certaines espèces cumulent les avantages des deux modes de reproduction. C’est le cas des pucerons (aphides), par exemple. Lorsque les ressources sont abondantes, les aphides se reproduisent par parthénogenèse ; mais dès que leur milieu s’appauvrit, ils choisissent la voie sexuelle, ce qui diversifie la progéniture.
Le troisième avantage de la reproduction sexuée se concrétise dans la résistance au parasite. Les parasites — virus, bactéries, vers, etc. — co-évoluent avec leurs hôtes : ils s’adaptent les uns aux autres en permanence.A ce jeu, les parasites sont champions du fait de la fréquence de leurs mutations. Or, les animaux issus de la fission ou de la parthénogenèse n’ont pas beaucoup de répondant en la matière : les enfants sont adaptés aux mêmes parasites que leurs parents. Qu’un parasite évolue vers une forme un peu plus gourmande ou virulente, donc dangereuse pour son hôte, et c’est toute la lignée qui se trouve menacée d’extinction. La reproduction sexuée permet au contraire la mise en place de défenses antiparasitaires très variées.
Si l’on comprend aujourd’hui pourquoi la reproduction sexuée est apparue, on ne sait pas encore exactement  comment.L’hypothèse la plus probable, formulée par G.A.Parker, suppose une compétition entre les organismes sexuellement indifférenciés d’une même espèce.Dans un environnement offrant une quantité limitée de ressources, la sélection naturelle offre deux stratégies possibles : renforcer la taille ou le nombre des gamètes. L’évolution aurait ainsi produit un dimorphisme cellulaire, prélude au dimorphisme sexuel.Cette pression sélective a pu jouer au niveau des organismes, mais aussi bien au sein du génome, entre gènes cytoplasmatiques et gènes nucléaires, comme le pensent L.M.Cosmides et J.Tooby.
Si l’on ignore l’alchimie primitive ayant donné naissance au sexe, on commence à se faire une idée plus claire de la genèse des chromosomes sexuels — les fameux X et Y que tous les futurs représentants de l’espèce humaine tirent à la loterie lorsque le spermatozoïde de leur père rencontre l’ovule de leur mère. Les chromosomes sont composés de gènes eux-mêmes formés d’ADN (acide désoxyribonucléique). Ils transmettent les caractères génétiques héréditaires propres à l’espèce. Contrairement aux autres paires de chromosomes qui sont en principe identiques, les chromosomes sexuels (XX chez la femelle, XY chez l’homme) sont extrêmement différents l’un par rapport à l’autre. Au cours de l’évolution des espèces, le sexe mâle ou femelle n’a pas toujours été déterminé par une différence chromosomique. Ainsi, chez les reptiles, il dépend de la température d’incubation des œufs. Mais, lorsque les animaux à sang chaud doté d’un appareil reproductif interne ont émergé, la détermination du sexe par la température est devenue problématique.
Avec l’apparition de la branche des mammifères, qui s’est détachée de la branche reptile voici 300 millions d’années, une paire d’autosomes (chromosomes non sexuels) a commencé à évoluer pour donner naissance aux chromosomes X et Y. Bruce Lahn, professeur de génétique humaine à l’Université de Chicago (Illinois) et David Page, du Whitehead Institute, ont tenté de comprendre pourquoi. Ils ont centré leur recherche sur les 19 gènes communs aux deux chromosomes sexuels. « Sur le chromosome X, nous avons constaté que ces gènes formaient quatre groupes, disposés comme les strates géologiques successives d’un terrain […] Nous avons été capables de reconstruire les quatre phases qui ont conduit ces chromosomes à leur forme distincte en X et Y. Plus nous remontions loin en arrière et plus les chromosomes X et Y apparaissent identiques ».
Selon les chercheurs, la première étape de cette évolution a débuté lorsque l’un des autosomes X a acquis le gène dit SRY (Sex determining Region Y), qui détermine l’apparition du sexe masculin. « Le chromosome portant le gène SRY, expliquent-ils, est devenu le chromosome Y et son partenaire qui en était privé est devenu le chromosome X ». Au fur et à mesure de l’évolution, la distinction des chromosomes X et Y s’est accrue, car ils ont cessé de se recombiner. Ce processus, par lequel une paire de chromosomes échange son matériel génétique lors de la formation de l’œuf ou du sperme, est en effet indispensable pour conserver l’identité génétique. Par la suite, une série de quatre inversions chromosomiques — des cassures de segments d’ADN qui se retrouvent inversés et qui jouent un rôle important dans l’évolution — a scellé le sort de ces chromosomes X et Y et renforcé leur différenciation.

Doit-on faire la guerre ou l’amour ?
Les deux activités ne sont pas toujours très différentes… Pour s’en convaincre, inutile d’aller chercher quelques espèces atypiques comme les mantes religieuses ou les mygales, dont la femelle dévore volontiers le mâle après l’accouplement.En augmentant la diversité des individus au sein d’une même espèce, la reproduction sexuée provoque de nombreux conflits potentiels entre ces individus : celui qui ne trouve pas son alter ego dans l’autre sexe périt sans laisser de descendance.Pour transmettre ses gènes, non seulement il lui faut trouver un ou plusieurs partenaires, mais il faut aussi savoir choisir le ou les bons. Vaste programme. Darwin a nommé « sélection sexuelle » cette pression permanente exercée par l’évolution. C’est notamment à cause d’elle que les cerfs développent d’énormes bois, que les bombyx produisent de puissantes phéromones, que l’albatros entame une folle danse en période nuptiale ou encore… que certains hommes font de la musculation !
Outre leurs caractères sexuels primaires (les organes génitaux et les différences physiologiques liées à la reproduction), les animaux comme les hommes développent des caractères sexuels secondaires : ceux-ci ne contribuent pas directement à la sexualité ou à la fécondité, mais jouent un rôle dans la sélection du partenaire.Il y a donc compétition au sein de chaque sexe pour choisir le meilleur partenaire ou lui offrir les meilleurs atouts.Mais il y a aussi compétition entre les sexes qui n’ont pas les mêmes stratégies reproductives. Pour faire la guerre, inutile de savoir faire l’amour.Mais pour faire l’amour, il vaut mieux savoir faire la guerre !
La première différence entre la femelle et le mâle tient à l’investissement en énergie et en temps qu’ils consentent pour développer leur gamète.Dans l’espèce humaine comme chez la plupart des mammifères, l’ovule est gros et rare ; le spermatozoïde minuscule et abondant. Pour une dépense nutritive et énergétique équivalente, la femme produit un ovule par mois, l’homme plusieurs millions de spermatozoïdes par jour. Par ailleurs, la gestation interne demande à la femelle des sacrifices que le mâle ignore (surtout lorsque cette gestation est suivie par la lactation).Ces différences expliquent la manière dont les sexes envisagent l’accouplement et les soins parentaux.
Le philosophe Schopenhauer l’énonçait ainsi : « Par nature, l’homme incline à l’inconstance en amour, la femme à la constance ».Alors que le mâle a plutôt tendance à répandre ses millions de spermatozoïdes — ce qui ne le prédispose pas à s’investir durablement dans les soins à sa descendance —, la femelle a intérêt à se montrer très sélective dans le choix du conjoint qui fécondera son précieux ovule.Ces dispositions expliquent que les deux sexes ne perçoivent pas de la même manière la fidélité, par exemple.Une étude américaine a ainsi montré qu’en moyenne, les hommes jaloux sont sensibles aux infidélités sexuelles, les femmes jalouses aux infidélités affectives.
La sélectivité d’une femelle renforce la compétition entre ses prétendants.Dans sa quête du partenaire masculin idéal, la beauté d’un ornement, la qualité d’un chant, la complexité d’un rite de cour, la vigueur au combat sont des bons indices qualitatifs : seuls les mâles bien dotés physiquement et génétiquement peuvent assumer l’effort nécessaire au développement de ces caractères sexuels secondaires.Pour cette raison, le sexe qui connaît la plus grande compétition en son sein (le mâle en règle générale) est aussi celui qui exhibe les différences individuelles les plus prononcées.
Si ces deux tendances fondamentales se retrouvent dans toute reproduction sexuée, elles varient bien sûr selon les espèces.Robert L.Trivers, qui a modélisé dans les années soixante-dix la théorie de l’investissement parental, a aussi prédit qu’elle serait réversible selon le rôle dévolu aux sexes.Et c’est le cas.Chez le pluvier d’Europe ou le phalarope à cou rouge, par exemple, ce sont les pères qui construisent le nid, couvent les œufs et s’occupent de nourrir les petits après leur naissance.En bonne logique, ce sont les femelles de ces deux espèces qui entrent en compétition pour courtiser les mâles.
Si on compare l’Homo sapiens sapiens à ses cousins primates ou à ses ancêtres fossiles, on constate que notre espèce a maintenu un certain dimorphisme sexuel : les hommes sont par exemple plus vigoureux ou plus pileux que les femmes. Néanmoins, l’émergence de nos capacités cognitives plus complexes a changé la donne.La maîtrise des ressources physiques et l’imposition de la dominance sociale sont progressivement passées sous le contrôle du cortex. Mais comme l’ont montré les neurobiologistes Antonio Damasio et Jean-Didier Vincent, la pleine fonctionnalité de notre système cérébral — ce que nous appelons « conscience » — dépend aujourd’hui encore de nos émotions les plus ancestrales.Le cortex tourne à vide sans l’hypothalamus.L’intelligence a besoin de l’aiguillon du désir et du plaisir.On en revient toujours là…

Un homme peut-il savoir quand une femme est féconde ?
Non, pas directement : chez l’homme, contrairement à beaucoup d’autres espèces, l’ovulation de la femelle n’apparaît au mâle ni par des changements physiologiques externes (rougissement de la vulve, par exemple), ni par des messages chimiques perceptibles (phéromones).L’homme ne sait donc jamais avec précision quand une femme est susceptible d’être fécondée.D’autant que celle-ci tend à se montrer sexuellement réceptive et attractive tout au long de son cycle menstruel.Cette double caractéristique — ovulation cachée, réceptivité permanente — a sans doute joué un rôle non négligeable dans l’évolution des hominidés.Deux hypothèses s’affrontent à ce sujet.
Pour les biologistes Richard Alexander et Katharine Noonan, l’ovulation discrète a favorisé la monogamie : pour s’assurer qu’il est bien le père de sa progéniture, l’homme a dû rester auprès de sa compagne. Une astreinte qui a bien sûr été rendue plus agréable par le fait que la femme soit toujours sexuellement réceptive.C’est la théorie du père au foyer.
La primatologue Sarah Hrdy préfère quant à elle l’hypothèse des amants multiples. On sait depuis peu qu’outre l’homme, de nombreuses espèces — lion, lycaon, chimpanzé, gorille — pratiquent l’infanticide : lorsqu’un mâle a affronté victorieusement un concurrent et prend possession de son harem, il n’est pas rare qu’il tue tous les nouveau-nés. Ce faisant, il supprime d’un même geste les derniers vestiges génétiques de son prédécesseur et la lactation de la mère, ce qui déclenche un nouveau cycle ovulatoire. Pour S.Hrdy, l’ovulation cachée de la femme et sa réceptivité sexuelle permanente lui permettent de coucher avec plusieurs mâles sans qu’aucun d’entre eux n’ait une complète certitude de sa paternité.Ce doute diminue d’autant le désir d’infanticide du mâle.
En fait, comme le souligne le physiologiste Jared Diamond, ces deux théories ne s’annulent pas forcément. « Chez l’ancêtre commun des hommes, des gorilles et des chimpanzés, les femelles masquant le mieux leur ovulation et évitant ainsi l’infanticide ont eu une descendance plus importante. Lorsque ce caractère s’est fixé, les femelles ont pu l’utiliser pour s’attacher un partenaire afin de bénéficier en permanence de sa protection ».

La prohibition de l’inceste est-elle propre à l’homme ?
C’est ce que pense la communauté des anthropologues et ethnologues. Pour Claude Levi-Strauss, la prohibition de l’inceste — union entre frère et sœur ou parent et enfant — représenta un acte fondateur des sociétés humaines dans la mesure où elle obligeait les groupes à élargir leurs liens et leurs échanges. Le tabou de l’inceste est une réalité quasi-universelle même si, comme le démontre souvent l’actualité judiciaire, des relations incestueuses existent bel et bien dans la plupart de nos sociétés. On sait qu’historiquement, l’inceste a été reconnu comme une prérogative de la royauté ou de la noblesse en Egypte, en Iran, au Pérou ou encore dans les îles Hawai. Cléopâtre, par exemple, est probablement issue de 11 générations de relations incestueuses (frère-soeur) au sein de la dynastie des Ptolémées ! Par ailleurs, l’ethnologue Jean Malaurie a montré dans Les derniers rois de Thulé que les eskimos Inuits pratiquaient couramment l’inceste : les communautés étant géographiquement très éloignées, toutes ne parviennent pas à nouer une union « exofamiliale » et il n’est pas rare de voir un père s’unir à une de ses filles.
La plupart des psychologues, à la suite de Edward Westermark et de Havelock Ellis, expliquent la répugnance à l’égard de l’inceste par l’accoutumance des personnes vivant ensemble : la familiarité provoquerait un manque d’intérêt érotique, voire une répulsion. Cette hypothèse semble vérifiée par des études menées dans les kibboutzim israéliens, où les mariages entre enfants éduqués ensemble sans être pour autant liés biologiquement sont rarissimes.
Les sciences de la vie ne proposent pas les mêmes explications que les sciences humaines. Le caractère « négatif » des relations incestueuses se déduit ici de nos connaissances en génétique. Les parents et les enfants comme les frères et sœurs partagent en effet 50 % de leur génome. Celui-ci contient certains gènes délétères à l’état homozygote, c’est-à-dire des gènes provoquant des affections graves lorsqu’ils se trouvent présents en double exemplaire (un reçu du père, un autre de la mère). Selon plusieurs analyses convergentes, chacun d’entre nous serait ainsi porteur de 2 à 5 mutations létales, heureusement récessives  ! Une reproduction incestueuse accroît donc de manière considérable la probabilité de voir deux gènes délétères assortis. D’où la plus grande proportion de tares dans les unions consanguines : on parle d’un « effet dépressif » sur le pool génétique.
Une des études les plus citées concerne 161 enfants tchécoslovaques dont les mères avaient noué des relations incestueuses : 15 de ces enfants étaient morts avant leur première année et 40 % des survivants souffraient de handicaps mentaux ou physiques de gravité diverse. Inversement, les 95 autres enfants de ces mères, nés de liaison extrafamiliale, ne présentaient aucune variation par rapport à la normale. Cette règle concerne d’ailleurs toute reproduction sexuée : une étude des botanistes Nicolas Waser et Mary Price sur le pied d’alouette des montagnes (Delphinium nelsonii) a ainsi montré que les plantes issues d’une pollinisation rapprochée — c’est-à-dire d’un brassage génétique minimal — étaient moins vigoureuses que celles ayant poussé à une plus grande distance. Toutefois, certains scientifiques ont démontré l’existence de lignées consanguines saines, où les gènes défectueux avaient peu à peu été éliminés du pool génétique.
Quoi qu'il en soit des lois de Mendel, le rejet de l’inceste agit chez les hommes comme un « instinct » et non comme une conséquence de notre savoir. Comme l’écrit le sociobiologiste Edward O. Wilson, « des milliers de sociétés qui ont existé au cours de l’histoire humaine, seules quelques-unes parmi les plus récentes ont des connaissances en génétique. Elles ont eu très peu d’occasions de se livrer à des calculs rationnels sur les effets destructeurs de la consanguinité ». D’où provient dès lors cet instinct de répulsion à l’égard de l’inceste ? Il s’est probablement forgé au cours de l’évolution.John Hoogland a ainsi montré que la date de la première ovulation des jeunes femelles chiens de prairie (rongeurs d’Amérique du Nord) est retardée lorsque leur père est encore présent dans le groupe et qu’elles recherchent systématiquement un partenaire à l’extérieur si la situation ne change pas.Cette réaction a été retrouvée dans plusieurs autres espèces.L’inhibition sexuelle présidant à l’évitement de l’inceste pourrait donc s’expliquer par une prédisposition génétique poussant les individus à éviter les relations intra-familiales. Cette prédisposition serait issue de la sélection naturelle ayant opéré sur des milliers de générations : les enfants nés de relations incestueuses ayant moins de descendants que les autres — ce qui est attesté  —, la tendance à l’inceste se serait révélée moins adaptative que son évitement.
Le tabou de l’inceste trouve sans doute son origine à la croisée de ces différents schémas explicatifs, c’est-à-dire dans une codétermination par la nature et par la culture.

Le viol existe-t-il dans la nature ?
Oui, si l’on en croit la thèse soutenue par le biologiste Randy Thornhill et l’anthropologue Craig Palmer dans leur essai sur l’« histoire naturelle du viol ». Thornhill est un spécialiste reconnu du comportement des insectes, et ses premiers travaux portaient sur les mœurs sexuelles des panorpes (mouches-scorpions). Chez ces animaux, les mâles sont en compétition pour s’arroger le droit de féconder les femelles, et ces dernières se montrent particulièrement sélectives dans le choix de leur partenaire. La panorpe mâle a le choix entre offrir à sa belle des insectes morts en guise de cadeau nuptial ou sécréter à travers leur salive une boule nutritive. Mais Thornhill a observé une troisième option, aussi naturelle et répandue que les deux autres : les mâles déchus tentent tout simplement de violer les femelles qui les repoussent ou tentent de les fuir. Ils sont même dotés pour cette agression sexuelle d’un organe spécial, une sorte de pince dorsale qui ne sert apparemment qu’à maintenir la victime durant le viol.
Il n’y a pas que les panorpes qui pratiquent le viol, et le sujet a donné lieu à une abondante littérature (B. Bagemihl, T.H. Clutton-Brock, B.B. Smuts, etc.). Chez les éléphants de mer, le viol constitue même le rapport sexuel le plus répandu ! On le retrouve chez trois espèces de primates non-humains : routinier chez les ourangs-outangs, le viol est plus occasionnel chez les chimpanzés et les gorilles — ces deux dernières espèces aggravant leur cas en pratiquant également l’infanticide. D’un point de vue évolutionnaire, estiment Thornhill et Palmer, le viol représente donc une stratégie masculine comme une autre pour répandre ses gènes dans la population : il est fondé sur le désir sexuel, non sur la violence ou la volonté de domination (comme le soutiennent souvent les féministes). Deux hypothèses peuvent l’expliquer : soit la sélection naturelle a conservé le viol dans la gamme des comportements masculins parce qu’il correspond à une stratégie spécifique permettant d’accroître le succès reproductif ; soit le viol est un sous-produit de l’adaptation sexuelle des mâles leur permettant de féconder plusieurs femelles sans être contraint de s’investir ensuite auprès d’elles comme parents.
En ce qui concerne les sociétés humaines, où chacun sait que le viol est hélas une habitude répandue et quasi exclusivement masculine, les deux scientifiques avancent un grand nombre de statistiques. Celles-ci montrent par exemple que le type le plus fréquent de victime est la femme jeune, attractive et fertile, c’est-à-dire la plus apte à être fécondée et à donner une progéniture. Inversement, l’étude des entretiens psychologiques avec les victimes de viol montre que les jeunes femmes ressentent beaucoup plus de souffrance que les femmes âgées, de même que les femmes mariées sont plus éprouvées que les femmes célibataires. Ce qui correspond aux prédictions de la psychologie évolutionnaire : les jeunes femmes sont celles qui ont le plus à perdre (grossesse non désirée, investissement parental maximal pour la mère du fait de l’absence de père et de la diminution des partenaires possibles), de même que les femmes mariées risque de voir diminuer ou de perdre l’intérêt de leur mari pour leur couple.
Thornhill et Palmer mettent bien sûr en garde contre toute tentative de légitimation du viol par leurs travaux : « La théorie de l’évolution ne nous dit pas ce qui est bon ou mauvais. Bien des chercheurs en sciences sociales semblent avoir du mal à l’admettre. Ils pensent, à tort, que le fait de qualifier un comportement de conforme à la logique darwinienne de l’évolution signifie que ce comportement est moral ou inévitable, voire les deux à la fois. Ce qui est bien sûr aberrant ». Si le viol est « normal » du point de  vue naturel, il est en revanche « anormal » au regard de nos codes culturels.

Les êtres humains ont-ils tous deux chromosomes sexuels ?
Non. La nature a produit des aberrations chromosomiques. L’une des plus célèbres est le Y surnuméraire (XYY), qui concerne une naissance mâle sur 1000. Les XYY sont plus grands et moins intelligents que la moyenne, leur acné est plus prononcée et ils montrent un taux de testostérone plus élevé. Leurs coudes sont souvent incurvés vers l’extérieur. Le Y surnuméraire est surtout connu comme le « chromosome du crime » : une étude anglaise avaient effet démontré en 1960 que l’on trouvait une plus forte proportion de XYY dans la population carcérale que dans la population générale. Bien que controversée, ce résultat a été confirmé par plusieurs autres travaux. Le Dr Carl Pfeiffer s’est intéressé au cas d’un tueur en série XYY, Arthur Shawcross. Il a découvert que cet individu présentait un taux anormalement élevé de kryptopyrrole, substance souvent associée à la schizophrénie et à diverses anomalies de comportements.
Le syndrome de Klinefelter représente le cas inverse du précédent : un X surnuméraire (XXY). Les individus atteints sont de grande taille, mais leurs caractères sexuels (masculins) sont peu développés et ils souffrent souvent d’azoospermie.
Autre anomalie chromosomique fréquente (une naissance sur 3000 environ) : le syndrome de Turner ou monosomie X. L’individu ne présente qu’un seul chromosome sexuel X (XO). Les personnes atteintes du syndrome de Turner sont de petite taille, connaissent un développement sexuel incomplet, souffrent de pathologies physiques (cardiaques et osseuses) et cognitives (troubles du comportement social, faible QI). En 1997, une étude dirigée par le Dr David H. Skuse, de l’Institut pour la santé de l’enfant de Londres, a fait grand bruit : l’équipe de ce chercheur a montré que le comportement des XO varie sensiblement selon que leur chromosome X unique est hérité du père et de la mère. Les X paternels ont notamment des meilleurs scores aux tests psychologiques d’attention, où leurs résultats se rapprochent des femmes XX. Inversement, les X maternels sont plus rigides et s’adaptent difficilement à leur milieu social. Conclusion des chercheurs : « Il existe sur le chromosome X — probablement sur le bras court de ce chromosome — un locus impliqué dans la maîtrise et l’adaptation des comportements sociaux ».

Naît-il toujours autant d’hommes que de femmes ?
Non. Les statistiques montrent qu’il naît en moyenne 105 garçons pour 100 filles. Outre ce déséquilibre qui se vérifie dans presque toutes les sociétés, les démographes ont constaté deux variations significatives du sex-ratio chez l’homme : l’« effet-soldat » et l’« effet-élite ».
L’effet-soldat se traduit par une augmentation du nombre des naissances masculines à la fin d’une guerre. Ainsi, en Angleterre et au Pays de Galles, il naissait 103,4 garçons pour 100 filles en 1914, mais ce chiffre a grimpé à 106 garçons pour 100 filles en 1919. Et le même effet s’est répété entre 1941 et 1946. L’« effet-élite », quant à lui, aboutit à une surreprésentation des hommes dans les familles d’individus dominant socialement. Ce sex-ratio a été d’abord repéré dans une espèce de primate, les atèles du Pérou, dont les femelles de haut rang donnent naissance à des mâles alors que la progéniture des femelles écartées par le mâle dominant est essentiellement féminine. Chez le cerf, les conditions défavorables de gestation des femelles, généralement dues au désintérêt du mâle, sont associées à une augmentation disproportionnée des naissances de femelles. Cette tendance s’est retrouvée dans les sociétés humaines : une étude portant sur les familles des individus inscrits dans les Who’s Who américains, allemand et anglais parvient à un sex-ratio de 114 garçons pour 100 filles.
Dans une méta-analyse synthétisant 30 études menées selon des critères méthodologiques rigoureux et totalisant plus de 400 millions de naissances, Anouch Chachnazarian est parvenu aux conclusions suivantes : les trois facteurs montrant le plus d’influence sur le sex-ratio sont la race (moins d’écart entre les sexes chez les populations d’origine africaine), le rang de naissance (toujours plus de garçons chez les aînés) et le statut socio-économique (toujours plus de garçons en haut de l’échelle sociale).
D’où proviennent ces phénomènes ? Aucune explication scientifique ne fait aujourd’hui l’unanimité. Pour le chercheur américain John Martin, les spermatozoïdes porteurs du chromosome Y sont plus mobiles que les X, mais ils ont une durée de vie plus courte. Plus les rapports sexuels sont fréquents (ce qui est le cas dans la première partie de la vie conjugale ou après une longue période de privation due à un conflit), plus il y a de chance pour les Y l’emportent. Une hypothèse qui explique l’« effet-soldat », mais pas l’« effet-élite ». Le biologiste anglais William James préfère une explication fondée sur les hormones : les parents présentant un fort taux d’œstrogène et de progestérone ont plus de chance d’avoir des garçons.
La néo-zélandaise Valerie J. Grant a repris cette hypothèse hormonale et considère, quant à elle, que la naissance des garçons est corrélée à la « dominance maternelle », c’est-à-dire au taux de testostérone de la mère. Pour les sociobiologistes Robert Trivers et Daniel Willard, la prédominance des mâles en première naissance de couples dominants s’explique par un rapport « coût-bénéfice » dans la propagation des gènes : les femelles au mieux de leur condition physique, généralement choisies par les mâles, ont plus de chance d’avoir une grande descendance si elles donnent naissance à des mâles (ceux-ci devenant dominant du fait de la qualité de leurs géniteurs) ; inversement, les femelles vieillissantes ou à santé chancelante font un meilleur investissement avec les filles qu’avec les garçons.

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