mardi 17 juin 2008

Filles, garçons et maths : un biais culturel ?

Les différences cognitives entre les sexes ont fait l’objet d’une abondante littérature depuis un demi-siècle. Un constat classique est la supériorité moyenne des garçons sur les filles aux épreuves mathématiques, et la domination inverse des filles sur les garçons aux épreuves de lecture ou écriture (pour une synthèse assez complète, voir Halpern et al. 2007). Personne ne nie le constat, mais le débat fait rage pour son explication. Selon les uns, la différence est presque uniquement culturelle : les métiers techniques et scientifiques ont une image masculine qui décourage les jeunes filles, de leur propre chef ou par pression sociale pour s’engager dans une carrière plus féminine. Selon les autres, ce biais culturel est une réalité, mais il existe également des prédispositions psychologiques d’origine biologique dans les cerveaux masculins et féminins.

Une étude parue dans Science vient de réveiller ce vieux débat. Quatre chercheurs italiens se sont penchés sur les résultats de l’épreuve standardisée PISA (Programme for International Student Assessment) mise en place par l’OCDE pour évaluer les différences de performance selon les systèmes scolaires nationaux. 276.165 lycéens âgés de 15 ans et issus de 40 pays ont passé en 2003 le PISA, et les chercheurs ont analysé les différences sexuelles dans les épreuves de mathématiques et de lecture, pays par pays.

Il en ressort qu’en moyenne sur l’ensemble des participants, les prédictions de performance selon les sexes et les disciplines sont validées. Mais l’analyse pays par pays révèle des différences notables : dans certains pays, les filles se rapprochent voire dépassent les garçons dans les épreuves mathématiques. Par exemple, la différence score des filles versus score des garçons en mathématiques est de -22,6 points en Turquie, mais elle est de +14,5 en Islande. Les chercheurs ont ensuite corrélé ces différences nationales au statut des femmes dans les sociétés concernées à l’aide du Gender Gap Index (GGI) : cet indice composite du Forum économique mondial intègre des données comme les opportunités professionnelles, politiques, éducatives et sanitaires entre les sexes. Il apparaît qu’il existe une corrélation positive de 0,59 (environ 36 % de la variance concernés) entre le GGI et les scores en mathématiques des filles. Le tableau ci-dessous montre ces résultats pour 10 pays.


L’analyse plus détaillée des résultats offre des informations intéressantes. D’abord, la domination des filles sur les garçons dans le domaine de la lecture est constante, et elle est même accentuée lorsque le GGI est favorable. Ensuite, les filles rattrapent les garçons dans les environnements les plus favorables, voire les dépassent comme en Islande et dans ce pays, l’égalisation est valable pour la distribution moyenne aussi bien que pour les extrémités de cette distribution (rapport fille/garçon de 1,17 dans le 99e percentile des meilleurs résultats aux épreuves de maths).

Ce travail montre-t-il que les différences cognitives entre filles et garçons sont entièrement d’origine culturelle ? Non. Comme nous l’avons vu, la différence filles-garçons dans le domaine de la lecture est robuste quel que soit le niveau d’égalisation sociale des sexes, et s’accentue même dans les sociétés les plus égalitaires. Cela plaide en faveur d’une différence innée. L’analyse au sein des sexes, et non plus entre les sexes, montre que les garçons ont toujours de meilleures performances en mathématiques qu’en lecture et, au sein des mathématiques, en géométrie qu’en arithmétique. L’observation est inverse au sein des résultats féminins, meilleurs en lecture qu’en maths et en arithmétique qu’en géométrie. Le fait que les jeunes filles visent moins les carrières scientifiques que les garçons est assez logique et ne s’explique pas forcément par des différences de traitement : elles se dirigent vers des domaines où elles se sentent et sont objectivement les meilleures au sein de leur propre parcours scolaire.

Outre que ce résultat sur une année doit être répliqué dans de nouvelles études pour être confirmé et surtout affiné, sa robustesse souffre enfin du choix de l’âge moyen des sujets (15 ans). On sait en effet que les différences filles-garçons dans les domaines scolaires tendent à se creuser après l’adolescence, c’est-à-dire à la fin de la scolarité et à l’entrée à l’université. Une comparaison des scores à 13, 15 et 17 ans serait par exemple intéressante pour analyser l’effet des modifications neuro-hormonales, comportementales et psychologiques associées à l’adolescence. Dernière remarque : les analyses mériteraient d’être doublées d’une étude plus fine des facteurs de variance biologique pays par pays. Les chercheurs italiens ont procédé à une mesure de distance génétique entre les 40 pays fondé sur le polymorphisme de certains sites ADN. Mais cette analyse phylogénétique de population ne nous donne pas forcément les informations les plus utiles pour l’objet étudié : on sait en effet que le dimorphisme sexuel suit un gradient Nord-Sud, c’est-à-dire que les différences moyennes hommes-femmes (par exemple taille, ratio taille-hanche-épaule, traits faciaux, etc.) tendent à se réduire à mesure que l’on remonte du Sud vers le Nord. Ce sont ces indices biologiques de dimorphisme au sein et entre les populations qu’il serait intéressant de corréler avec les différences de résultats scolaires entre les sexes.

Pour conclure, cette étude suggère que le statut socio-culturel des filles et des garçons influe sur leurs différences scolaires dans le domaine des mathématiques et de la lecture, en même temps qu’elle montre la persistance de différences cognitives entre les sexes et au sein de chaque sexe quel que soit l’environnement des études.

Références :
Guiso L. et al. (2008), Culture, gender, and math, Science, 5880, 1164-1165, doi: 10.1126/science.1154094
Halpern D.F. et al. (2007), The Science of sex differences in science and mathematics, Psychological Science (APA Public Interest Series), 8, 1, 1-51.

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