lundi 18 février 2002

Odeurs, séduction et sélection...


Des chercheurs de l’Université de Chicago viennent de démontrer que les femmes préfèrent les odeurs de certains hommes dont les gènes du système immunitaire sont proches de ceux de leur propre père.

Mais au juste, qu’est-ce qui vous a séduit en lui ? «Oh, sa beauté, sa gentillesse, son humour... et puis, bien sûr, l’odeur de ses gènes, si proche de celle de papa».Voilà le dialogue surréaliste que tiendront peut-être un jour les étudiants en génétique du comportement.
Deux femmes sont à l’origine de la découverte : Martha McClintock et Carole Ober, enseignant respectivement la neuropsychologie et la génétique humaine à l’Université de Chicago. La première mène depuis fort longtemps des travaux sur la capacité du système olfactif humain à reconnaître des phéromones et autres signaux chimiques discrets.A la base de notre nez se trouve un organe voméronasal vestigial, dont certaines cellules réceptrices, reliées à l’hypothalamus, pourraient bien être encore active. Martha McClintock avait déjà fait des découvertes étonnantes dans le passé. Par exemple, les règles des bonnes sœurs enfermées dans un même couvent tendent à se synchroniser spontanément, phénomène que l’on retrouve chez certains groupes de primates non humains. Une expérience plus récente (1998) a montré que le rythme du cycle ovulatoire des femmes peut évoluer en fonction des odeurs d’autres femmes, lorsqu’elles sont appelées à sentir régulièrement un coton qui en est imbibé.

49 femmes testent les odeurs de 6 hommes
Pour cette nouvelle expérience, McClintock et Ober ont fait appel à 49 femmes issues d’une communauté huterrites.Il s’agit d’anabaptistes d’origine germanique, ayant émigré aux Etats-Unis depuis trois siècles et vivant en communautés relativement endogames. Ces femmes étaient donc relativement homogènes sur le plan génétique : elles partageaient 67 groupes de gènes du système immunitaire (un nombre restreint, car les gènes  du complexe HLA - Human Leucocyt Antigen -, situés sur le chromosome 6, comptent parmi les familles les plus variables). Par ailleurs, ces femmes n’étaient jamais tombées enceintes et n’avaient jamais utilisé de moyen contraceptif.
Du côté des hommes, les deux chercheuses ont fait au contraire appel à six «donneurs d’odeurs» très différents, dont les ascendants étaient d’origine juive, hindoue, danoise, anglaise, hollandaise, écossaise ou encore espagnole. Ces hommes ont subi des contraintes draconiennes : durant les trois semaines qui ont précédé l’expérience, pas d’odeurs chimiques (déodorant, après-rasage) interdits alimentaires (ail, asperge), pas d’activités sexuelles...
Les hommes ont porté le même T-shirt pendant deux nuits.Celui-ci a ensuite été présenté aux 49 femmes, qui ont dû déterminer l’odeur la plus «agréable».Précision des scientifiques : «Notre but n’était pas de définir l’odeur la plus attractive du point de vue sexuel, mais de trouver l’odeur que ces femmes auraient aimé sentir autour d’elles tout le temps».Une fois sélectionnées les odeurs plaisant aux dames, Martha McClintock et Carole Ober ont comparé les systèmes HLA.
«Une tendance nette est apparue, explique Carole Ober. Les femmes ne choisissent pas les odeurs des hommes dont les gènes sont totalement équivalents ou totalement différents des leurs.Elles sélectionnent un niveau intermédiaire».Pour être précis, les meilleurs donneurs sont ceux qui ont en moyenne 2,3 gènes en commun. En l’occurrence, c’est la proximité avec les gènes HLA de la lignée paternelle qui apporte les meilleures corrélations.

Un phénomène déjà documenté chez les animaux
Le phénomène est connu chez d’autres espèces.Les souris, par exemple, dont le système olfactif guide plus directement la sexualité, évitent de copuler avec des partenaires trop identiques ou trop éloignés. Au sein de l’espèce humaine, l’équipe de Carole Ober avait observé un phénomène similaire dans les communautés ethniquement homogènes, où les hommes et les femmes trop similaires du point de vue génétique semblent s’exclure spontanément, sans qu’il leur soit bien sûr possible d’exhiber leur carte d’identité génétique. «Nous avons ainsi des données convaincantes selon lesquelles les gènes de la région HLA influencent des choix sociaux importants ».
Du point de vue évolutif, plusieurs études ont montré que l’endogamie (inbreeding) comme l’exogamie (outbreeding) systématiques semblent des stratégies de reproduction moins adaptatives que le juste milieu. «Les femmes, conclut Martha McClintock dans un élan d’enthousiasme, peuvent vraiment sentir des différences génétiques.Elles sont même capables de sentir un seul gène».Pour éviter les dispuutes, on ne discutera donc plus des goûts, des couleurs... ni des odeurs !

Œdipe, avec ou sans Freud...
David Perrett et Tony Little, du Département de psychologie de l’Université Saint-André (Ecosse), analysent depuis plusieurs années déjà les constantes statistiques dans le choix des partenaires sexuels.Ils ont ainsi découvert que les individus sont souvent attirés par des caractéristiques secondaires de leur parent du sexe opposé (les yeux et les cheveux de la mère pour un garçon, par exemple). Complexe d’Œdipe freudien ? Empreinte sexuelle au cours du développement infantile ?Avantage adaptatif des appariements assortis ?Les hypothèses ne manquent pas...

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