samedi 11 mars 2000

Le Viagra… et après ?


Voici deux ans, les couvertures des tabloïds et magazines du monde entier s’ornaient d’une petite pilule bleue... Le Viagra a-t-il tenu ses promesses ?A quoi ressemblent les nouvelles molécules concurrentes qui entrent sur le marché ? Dans le secret des laboratoires, on prépare aujourd’hui l’amour de demain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 9 millions de prescriptions en une seule année aux Etats-Unis, 250 000 en France, un milliard de dollars de chiffres d’affaire pour la société Pfizer qui le commercialise. Le Viagra, molécule sildénafil de son nom scientifique, a connu un franc succès depuis son lancement voici deux ans.Devenue aussi célèbre que l’aspirine, cette « pilule du désir » représente à elle seule un phénomène de société.
Pour Alain Jardin, chef du service d’urologie du CHU de Montpellier, le phénomène s’appuie d’abord sur un très vieux socle de notre imaginaire : « L’érection occupe une place prépondérante dans la sexualité masculine, souligne-t-il.Elle en est la manifestation la plus visible, l’extériorité la plus marquante.Mais elle est encore bien plus : condition de l’accouplement et garante de la perpétuation de l’espèce, elle apparaît dans toutes les civilisations comme l’un des premiers symboles de la vie ».
L’érection est pour l’homme un « symbole de puissance », appuie l’historien des sciences André Béjin (CNRS) : « Les femmes pouvaient simuler la jouissance.L’homme, dorénavant, sera en mesure de simuler la puissance ».Plus prosaïque, le sociologue Alain Ehrenberg y voit plutôt un symbole du « culte de la performance » qui envahit nos sociétés : en affaire comme en amour, l’efficacité devient le maître-mot et les individus doivent s’adapter à tous les changements, quitte à médicaliser leur vie quotidienne. Cette attitude devant la vie est plus avancée aux Etats-Unis qu’en Europe, ce qui expliquerait le différentiel de consommation : au sein de la population masculine souffrant de troubles de l’érection, un Américain sur trois a consommé du Viagra contre un Européen sur dix seulement.

“La verge comme le cœur remue par elle-même” (Aristote)
Quoi qu'il en soit des motivations plus ou moins spontanées du consommateur, le petit losange bleu répond d’abord à un vrai problème de santé publique. En France, 7 % des hommes de 18 à 69 ans reconnaissent qu’il leur arrive souvent de ne pas avoir d’érection dans leur rapport sexuel.Le trouble est certes moins répandu que l’éjaculation prématurée (10 %), mais il touche tout de même 1,5 million de personnes.Et le vieillissement aidant (15 % de la population française a déjà plus de 65 ans), les choses ne vont pas s’arranger puisque la fréquence des dysfonctionnements érectiles s’accroît avec l’âge.
Avant le Viagra, il n’existait que deux traitements disponibles : l’injection de chlorhydrate de papavérine par auto-piqûre dans la verge, procédé mis au point par Ronald Virag en 1982, ou l’implantation chirurgicale d’implants tantôt semi-rigides tantôt gonflables dans le pénis. Une piqûre ou une opération : on comprend que ces procédés aient connu moins de succès que la simple ingestion d’une pilule !
La mise au point du Viagra s’appuie sur les découvertes récentes de la recherche scientifique.On savait depuis Aristote que l’homme est la seule espèce privée d’os pénien : « La verge comme le cœur est un organe qui remue par lui-même », soulignait déjà le Stagirite au Ve siècle avant J.C. Or depuis, les progrès furent très minces : il faut attendre les années 80 du XXe siècle pour commencer à comprendre vraiment les mécanismes de l’érection !
Le gonflement de la verge est la conséquence d’un afflux de sang dans ses tissus érectiles.Elle survient spontanément durant le sommeil paradoxal, ce qui explique notamment la fréquence des érections matinales.A l’état de veille, l’érection répond à une stimulation sexuelle qui peut prendre la forme d’un attouchement local ou d’une représentation mentale. C’est en fait le système nerveux central qui commande les différentes phases de l’érection masculine.La stimulation réelle ou virtuelle déclenche la synthèse et la libération d’un neuromédiateur, le monoxyde d’azote, qui provoque à son tour un relâchement des muscles des corps caverneux et du corps spongieux du pénis.Les cellules musculaires produisent alors du GMP cyclique qui rigidifie la verge à mesure qu’elle s’engorge de sang.Mais ce GMP cyclique est détruit par une enzyme, la phospho-diestérase de type 5.Or la molécule active du Viagra, la sildénafil UK 92-480, bloque cette activité inhibitrice de l’enzyme et rétablit la voie monoxyde d’azote-GMP cyclique.Les chercheurs qui ont mis au point la sildénafil dans les laboratoires de Pfizer ont découvert cette qualité par hasard, en analysant les effets secondaires de patients traités pour des insuffisances cardiaques.Les tests des vertus sexuelles de la sildénafil sur les animaux avaient été négatifs : la molécule agit lorsqu’il y a déjà stimulation sexuelle.Elle ne la crée pas.

Stimulation sexuelle : la guerre des molécules
Deux ans après sa première commercialisation aux Etats-Unis, quel est le bilan thérapeutique du Viagra ? Selon une enquête financée par les laboratoires Pfizer, l’âge moyen des utilisateurs de la petite pilule bleue est de 57 ans et leur indice de satisfaction s’élève à 70 %.Dans une autre étude dirigée par Ronald Virag, inventeur du procédé concurrent de la micro-injection intracaverneuse, seul 32 % des patients sont restés fidèles au Viagra, 34 % d’entre eux préférant recourir aux piqûres de chlorhydrate de papavérine. L’efficacité relative du Viagra s’explique par l’étiologie complexe des troubles érectiles, dont on estime que 5 à 10 % seulement ont une origine purement physiologique.
Le marché annuel de l’érection étant évalué à 3 ou 4 milliards de dollars pour 2001-2002, on comprend aisément pourquoi les concurrents du Viagra s’apprêtent à envahir les pharmacies.Le laboratoire Zonagen commercialise déjà en Amérique latine un médicament sous le label Vasomax (Vasofem pour les femmes) et dont la molécule active est le phentolamine mésylate.Le Vasomax présente le même effet vasodilatateur que le Viagra, mais il agit au niveau des récepteurs adrénaliens des cellules musculaires.Sa commercialisation en Europe et aux Etats-Unis est à l’examen.Des effets secondaires signalés chez les animaux risquent toutefois de la retarder.
Autre produit annoncé : l’Uprima des laboratoires Takeda & Abbott.Les chercheurs de cette société ont découvert que les personnes atteintes de la maladie de Parkinson connaissent une amélioration de leur érection lorsqu’elles reçoivent un traitement à base d’apomorphine.Cette molécule est un agoniste dopaminergique qui améliore les stimulations sexuelles des noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus, organe cérébral impliqué dans le processus de l’érection et de l’orgasme.
Autre molécule en voie de commercialisation rapide : le PT-14, un peptide analogue de l’hormone mélano-stimulante.Selon les rumeurs s’échappant des laboratoires de test de la société Palatin, ce médicament aura pour avantage sur ses concurrents de provoquer de manière quasi-automatique l’érection en stimulant directement l’excitation sexuelle. Les utilisateurs jugeront…
Comme le souligne Françis Giuliano, chirurgien urologue au CHU de Bicêtre, « on peut envisager d’associer des médicaments agissant différemment.De telles combinaisons auraient l’avantage d’attaquer des cibles différentes : les muscles de la verge et les zones responsables de l’érection dans le cerveau ou la moelle épinière ».

Les femmes ne sont pas oubliées
Les hommes ne sont pas les seuls à souffrir de troubles sexuels et les chercheurs ne se désintéressent pas de l’autre moitié de l’humanité.D’autant que selon une étude américaine récente, 60 % des femmes se plaignent de leurs rapports sexuels. Mais pour les scientifiques, la sexualité féminine demeure encore une terra incognita.Elle ne se traduit par aucun phénomène aussi quantifiable et mesurable que peut l’être l’érection du pénis.La lubrification vaginale, provoquée par l’afflux de sang dans les muqueuses, facilite l’intromission du pénis.Une lubrification insuffisante est source de douleur lors de la copulation.De même, le clitoris, organe homologue du pénis, connaît une légère érection chez la femme, selon le même procédé chimique de la voie monoxyde d’azote-GMP cycli­que. Les laboratoires Pfizer testent actuellement la sildénafil sur 800 femmes à travers le monde. Mais rien ne prouve que la tumescence clitoridienne et la lubrification vaginale, qui devraient être améliorées par le futur Viagra version rose, stimulent le désir féminin.Les laboratoires de la société Procter & Gamble, eux aussi en lice pour commercialiser un aphrodisiaque féminin, étudient en ce moment les effets d’un patch à la testostérone.Cette hormone masculine est également présente dans les gonades et le cerveau féminin, et on sait que sa baisse de concentration après la ménopause est corrélée à un affaiblissement de la stimulation sexuelle.
Avec le Viagra, le traitement des troubles de la sexualité est entré dans une nouvelle ère.Les prochaines années devraient apporter une diversification considérable des réponses thérapeutiques dans un domaine où, comme le rappelle Henri Navratil, vice-président de l’Association française d’urologie, «chaque patient pose un problème particulier».Eros n’a pas livré tous ses mystères...  

1 commentaire:

  1. Le vardénafil, le tadalafil et l'avanafil sont trois autres médicaments contre l'impuissance qui n'ont pas encore été mentionnés dans cet article. Tout comme le Viagra (sildénafil), ils sont prescrits aux hommes souffrant de dysfonction érectile tout en travaillant de la même manière. Les femmes présentant un dysfonctionnement sexuel ne peuvent utiliser qu'un seul médicament, à savoir le Viagra féminin.

    RépondreSupprimer