Quelle influence joue la variation du taux d'œstrogène sur l'activation du cerveau féminin? A l'aide de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, Jean-Claude Dreher, chercheur au Centre de neuroscience cognitive (CNRS/Université Lyon 1), en collaboration avec une équipe américaine du National Institute of Mental Health (Bethesda, Maryland) dirigée par Karen Berman, est parvenu à caractériser, pour la première fois, les réseaux cérébraux impliqués dans le traitement de récompenses monétaires qui sont modulés par les hormones stéroïdes gonadiques chez la femme. Publié en ligne le 31 janvier 2007 sur le site de la revue PNAS, ce résultat marque un pas important pour une meilleure compréhension de certaines pathologies psychiatriques et neurologiques.
Le cerveau humain est muni d'un système de récompense, impliqué dans la prédiction de récompenses de différente nature (nourriture, argent, drogues…). Le fonctionnement normal de ce système joue un rôle fondamental dans de nombreux processus cognitifs tels que la motivation et l'apprentissage. Ce système de récompense, composé des neurones dopaminergiques (1) situés dans le mésencéphale (région très profonde du cerveau) et de leurs sites de projection (2), est crucial pour le codage neuronal des récompenses. Son dysfonctionnement peut produire des troubles comme les addictions et est également impliqué dans différentes pathologies neurologiques et psychiatriques, tels la maladie de Parkinson et les troubles schizophréniques. De très nombreuses études effectuées chez l'animal prouvent que le système dopaminergique (3) est sensible aux hormones stéroïdes gonadiques (œstrogène, progestérone). Un exemple : les rats femelles s'auto-administrent de la cocaïne (drogue qui agit sur le système dopaminergique) à des taux plus importants après administration d'œstrogènes.
Restait donc à explorer, chez l'être humain, l'influence des hormones stéroïdes gonadiques sur l'activation du système de récompense. Mieux connaître cette influence permet de comprendre les différences entre hommes et femmes, observées notamment dans la prévalence de certaines pathologies psychiatriques et dans la vulnérabilité aux drogues (pour lesquelles le système dopaminergique joue un rôle important). On sait par exemple que la réponse des femmes à la cocaïne est plus importante dans la phase folliculaire du cycle menstruel (4) que dans la phase lutéale (5). Par ailleurs, la schizophrénie se déclare plus tardivement chez les femmes que chez les hommes. Ces deux observations montrent que les neurostéroïdes gonadiques (6) modulent le système dopaminergique chez la femme, mais laissent ouverte la question de la modulation du réseau neuronal du système de récompense par ces mêmes hormones.
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont mis au point une expérience utilisant l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) : l'activité cérébrale d'un groupe de femmes est examinée deux fois au cours de leur cycle menstruel. À chaque passage dans l'IRM, des machines à sous virtuelles, présentant des probabilités de gains différents, leur sont présentées. Lorsque les femmes anticipent des récompenses incertaines, elles activent davantage des régions cérébrales impliquées dans le traitement des émotions, notamment l'amygdale et le cortex orbitofrontal, au cours de la phase folliculaire (4 à 8 jours après le début des règles) qu'au cours de la phase lutéale (6 à10 jours après le pic de l'hormone LH (7)). Ces résultats démontrent une réactivité accrue du système de récompense féminin lors de la phase folliculaire, c'est d'ailleurs la phase où les œstrogènes ne s'opposent pas à la progestérone. Afin de déterminer les différences d'activation du système de récompense entre les deux sexes, la même expérience a été menée chez un groupe masculin. Résultat : lors de l'anticipation de récompenses, les hommes activent essentiellement une région impliquée dans la motivation pour l'obtention de récompenses, le striatum ventral, tandis que chez les femmes, c'est une région traitant les émotions, la région amygdalo-hippocampique, qui est la plus fortement activée.
Ces conclusions pourraient s'appliquer à des domaines autres que monétaires. Prenons l'exemple de la réceptivité et du désir, deux qualités qui sont supposées faciliter la procréation et peuvent apparaître pendant la période ovulatoire. On peut envisager que l'augmentation d'activité de certaines régions du cerveau féminin pendant la phase folliculaire, modulerait les comportements liés à l'obtention de récompenses, tels le comportement d'approche lors de l'anticipation de récompense et le comportement hédonique au moment de sa réception.
À la frontière entre neuroendocrinologie et neurosciences cognitives, ces résultats permettent de mieux comprendre le rôle fondamental des hormones stéroïdes gonadiques sur le traitement de la récompense, plus particulièrement dans les processus comportementaux comme la motivation et l'apprentissage. Ils présentent également un intérêt majeur quant à la compréhension du dysfonctionnement du système de récompense observé notamment dans les cas de maladie de Parkinson, de schizophrénie, de vieillissement normal et d'addictions aux drogues et aux jeux d'argent.
Notes :
(1) La dopamine est un neurotransmetteur, plus précisément une molécule qui module l'activité des neurones dans le cerveau. Les neurones dopaminergiques utilisent la dopamine comme neurotransmetteur/neuromodulateur.
(2) Structures incluant le striatum ventral, le cortex cingulaire antérieur, et le cortex orbitofrontal.
(3) Système dopaminergique : ensemble de structures cérébrales innervées par les neurones dopaminergiques.
(4) Phase folliculaire : première partie du cycle menstruel à partir du premier jour des règles.
(5) Phase lutéale : deuxième partie du cycle qui commence après l'ovulation et se termine à l'arrivée des règles.
(6) Neurostéroïdes gonadiques : hormones stéroïdes produites par les gonades (ovaires ou testicules) qui interagissent avec les récepteurs des œstrogènes, de la progestérone ou des androgènes. Les œstrogènes et la progestérone ne sont pas que des hormones sexuelles influençant l'ovulation et le la reproduction, elles affectent également un grand nombre de fonctions cognitives et affectives.
(7) L'hormone lutéinisante (LH) est une hormone produite par l'hypophyse. Son rôle essentiel est de déclencher l'ovulation qui survient entre 36 et 48 heures après le pic de LH.
Référence : Menstrual cycle phase modulates reward-related neural function in women (2007). J-C Dreher, P.J. Schmidt, P. Kohn, D. Furman, D. Rubinow, K.F. Berman. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, on-line publication January 31, 2007.
Source : communiqué presse CNRS
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