Chez les mammifères, l'existence de chromosomes sexuels de taille différente aurait pu être à l'origine d'une injustice génétique. Le chromosome Y qui caractérise les mâles est de petite taille et contient beaucoup moins de gènes que le chromosome X. Pour éviter une inégalité génétique, les femelles mammifères inactivent un de leur deux chromosomes sexuels au cours de l'embryogenèse. Mais comment se déroule cette extinction, qui ne doit avoir lieu que chez les femelles et au cours de laquelle la cellule doit choisir entre le chromosome X hérité du père et celui hérité de la mère ?
A l'Institut Curie, l'équipe CNRS d'Edith Heard (1)vient de découvrir que, dans un premier temps, une région chromosomique particulière, Xpr, met en contact les chromosomes X et s'assure de leur nombre : s'il y a plus d'un chromosome X, l'un des deux peut être inactivé. Xpr est ainsi le rouage principal de cette étape de vérification, essentielle pour éviter des extinctions intempestives aux conséquences néfastes. Ces résultats sont publiés dans la revue Science du 7 décembre 2007.
Quelle est la différence entre les hommes et les femmes ? Une question qui reste en suspens. Quoi qu’il en soit, le système de détermination sexuelle de la majorité des mammifères est relativement simple : deux chromosomes, les chromosomes sexuels, sont responsables de cette différence. Les mâles ont un chromosome X et un chromosome Y, alors que les femelles ont deux chromosomes X. Et là, il devient évident que les mâles, avec leur chromosome Y beaucoup plus petit que l’X, ont été lésés.
Mais la nature dans sa grande générosité rétablit la parité génétique puisque, chez les femelles, un des chromosomes X est inactivé très tôt au cours du développement de l’embryon. Ce processus entraîne l’extinction de la transcription de la quasi-totalité des 2 000 gènes portés par l’un des deux chromosomes X. Cette volonté d’égalité place la cellule devant un choix cornélien : lequel des deux chromosomes éteindre, sachant que l’un est hérité de la mère et l’autre du père ? Encore une fois l’égalité est de mise puisque, chez les femelles, l'inactivation du X se fait au hasard et aboutit à une mosaïque de populations cellulaires dont certaines expriment l’X maternel et d'autres l’X paternel.
L’équipe CNRS « Epigenèse et développement des mammifères » que dirige Edith Heard à l’Institut Curie étudie ce processus d'inactivation du chromosome X, au cours de l'embryogenèse chez les mammifères femelles, un modèle de choix pour l'étude des changements d'expression des gènes et de l'organisation du noyau lors de la différenciation cellulaire.
Concrètement, chaque chromosome X possède un centre d’inactivation, Xic, chargé de son « extinction » potentielle et ce, grâce à la production d’un ARN non codant, Xist. Mais avant d’initier l’inactivation, la cellule doit d’abord s’assurer qu’elle contient plusieurs chromosomes X, notamment afin d’éviter l’inactivation de l’unique X chez les mâles. Les chercheurs CNRS de l’Institut Curie viennent de montrer comment une des régions du centre d’inactivation, Xpr, gère cette vérification. Dans les cellules embryonnaires femelles étudiées, peu avant la mise en place de l’inactivation, les deux régions Xpr issues du X paternel et maternel, se rencontrent transitoirement dans le noyau. Cette rencontre permet, d’une part à la cellule de détecter la présence de ses deux chromosomes X, mais également à ces derniers, de se prévenir mutuellement de leur présence afin de choisir lequel des deux sera inactivé. L'ARN Xist peut alors s’accumuler sur le chromosome X choisi, et induire son extinction.
Lorsque la région Xpr est introduite dans des lignées cellulaires mâles, les chercheurs constatent d’ailleurs que le seul chromosome X présent est inactivé, ce qui conduit à la mort des cellules. Tout se passe comme si la région Xpr surnuméraire était détectée par la cellule comme un deuxième chromosome X et induisait de ce fait l’inactivation du seul X réellement présent.
Cette rencontre transitoire des Xics est essentielle à l’aspect aléatoire de l’inactivation du X. Ce type d’interaction entre deux locus pourrait en outre représenter un mécanisme général de recensement pour l’ensemble des gènes ne devant être exprimé qu’en une seule copie, soit de manière monoallélique, et choisie de façon aléatoire entre celle d’origine paternelle et maternelle. Ces gènes qu’on pensait peu nombreux représentent en fait 10 % des gènes humains, comme l’a montré une récente étude (2). Ce résultat pourrait avoir des implications importantes en santé publique, car une mutation dans un allèle – une des deux versions du gène présente dans la cellule – peut avoir de graves conséquences si l'autre allèle est déjà éteint.
«La mise en place de ce profil monoallélique aléatoire pourrait reposer sur des mécanismes proches de ceux de l’inactivation du chromosome X» précise Edith Heard. Forts de ce nouveau constat, les chercheurs étudient désormais les liens possibles entre ces deux phénomènes.
Par ailleurs, l’inactivation du chromosome X est un modèle à l’étude de la différenciation cellulaire, mécanisme par lequel la cellule se spécialise. Or, les cellules tumorales suivent un cheminement inverse ; elles oublient les fonctions pour lesquelles elles avaient été programmées. Mieux comprendre le mécanisme d’inactivation du chromosome X peut certainement éclairer sur les dysfonctionnements des cellules tumorales.
Référence :
Sensing X Chromosome Pairs Before X Inactivation via a Novel X-Pairing Region of the Xic, S. Augui, G. Filion, S. Huart, E. Nora, M. Guggiari, M. Maresca, A. F. Stewart, E. Heard, Science, 7 décembre 2007, vol. 318, p. 1632-1636.
Source : communiqué presse du CNRS
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