La fidélité dépendrait-elle de nos gènes ? C’est la question que l’on peut se poser après l’étonnante expérience récemment menée par une équipe de chercheurs américains. En modifiant le patrimoine génétique de souris, ceux-ci sont parvenus à modifier le comportement d’un mâle solitaire et volage en le transformant en animal sociable et monogame.
Tom Insel et Larry Young travaillent tous deux à l’Université Emory (Atlanta, Géorgie). Leurs travaux, publiés dans un récent numéro de Nature (vol. 400, p. 766, 19 août 1999), ont connu un retentissement qui dépasse largement le cadre souvent confidentiel de la recherche scientifique.
L’équipe américaine a créé quatre lignées de souris transgéniques en les dotant d’un gène du campagnol des prairies (Microtus ochrogaster). Ce petit rongeur nord-américain est connu pour son comportement monogame et sociable. Les souris modifiées par le transfert du gène ont à leur tour adopté le comportement du campagnol, alors qu’elles ne montrent naturellement aucune prédisposition à la fidélité.
Tom Insel et Larry Young étudient depuis longtemps la vasopressine, une hormone naturellement produite par l’hypophyse (une glande à la base du cerveau) chez la plupart des mammifères, homme compris. Cet agent chimique est notamment impliqué dans les comportements d’agression, de communication et de reproduction. Ils ont déjà montré l’influence de l’hormone sur le comportement social des campagnols mâles. Après administration de vasopressine, les animaux modifiés se sont mis à fréquenter plus souvent la même femelle. Ils en ont alors déduit que l’hormone facilite l’affiliation, l’attachement du couple, les soins paternels du campagnol des prairies.
Mais l’action de l’hormone varie énormément selon les animaux : la vasopressine laisse par exemple de marbre des espèces très voisines du campagnol des prairies (Microtus montanus et M. pennsylvanicus). Grâce à l’étude moléculaire de la structure du gène des récepteurs de la vasopressine, les chercheurs apportent maintenant une explication à ces phénomènes. Les campagnols sylvestres et des prairies, monogames et grégaires, possèdent un long morceau d’ADN, déterminant pour activer le gène, tandis que les autres espèces de campagnols, plus solitaires et volages, en sont dépourvues.
Pour vérifier l’effet de cette différence génétique, les chercheurs ont introduit ce gène du récepteur d’un campagnol des prairies dans le patrimoine génétique de souris. Ces dernières ont à leur tour développé dans leur cerveau le modèle de récepteurs hormonaux du campagnol et adopté son comportement. « Même si de nombreux gènes sont susceptibles d’être impliqués dans l’évolution des comportements sociaux complexes, nos données indiquent que le changement de l’expression d’un seul gène peut avoir un impact sur l’expression, au moins pour partie, de ces comportements », soulignent les chercheurs.
Ces découvertes s’appliquent-elles à l’homme ? Tom Insel le pense. Directeur du célèbre Centre d’étude des primates de Yerkes, professeur de psychiatrie et de psychologie à l’école de médecine de l’université Emory, ce chercheur s’est spécialisé depuis une quinzaine d’années dans la neurobiologie des comportements sociaux complexes. Au milieu des années 80, il avait démontré l’influence de la sérotonine dans les troubles obsessionnels-compulsifs. Et il s’était ensuite intéressé au rôle de l’oxytocine et de la vasopressine dans le mécanisme des attachements sociaux.
Son équipe s’apprête donc à étudier ces variations de comportement chez l’homme. Que l’on se rassure, Tom Insel ne souhaite pas mettre au point des tests génétiques prénuptiaux pour conjoint potentiellement adultérin ! En fait, on connaît aujourd’hui très peu de choses sur la formation des liens sociaux au niveau anatomique, chimique ou physiologique. Or, dans le processus d’hominisation, l’« investissement parental » joue un rôle important dans la mesure où l’enfant n’atteint sa maturité que tardivement. La coopération des parents pour sa protection, son alimentation et ses soins ont donc représenté une valeur sélective. Selon Tom Insel, on découvrira peut-être que de nombreuses mutations du « gène de la fidélité » sont survenues au cours de l’évolution et ont facilité la monogamie, dans certaines circonstances socio-écologiques.
Autres applications, beaucoup plus concrètes, de ces recherches : favoriser la thérapie des pathologies marquées par l’isolement et le détachement : autisme, schizophrénie, voire maladie d’Alzheimer.
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