Psychopathia Sexualis
avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
Richard von Krafft-Ebing
Trad: Emile Laurent et Sigismond Csapo
Ed. Georges Carré, Paris, 1896
Source : Project Gutenberg
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III
NEVROSES CEREBRALES
I.--AFFECTION SEXUELLE POUR DES PERSONNES DE L'AUTRE SEXE AVEC MANIFESTATION PERVERSE DE L'INSTINCT.
MASOCHISME OU EMPLOI DE LA CRUAUTÉ ET DE LA VIOLENCE SUR SOI-MÊME POUR PROVOQUER LA VOLUPTÉ.
B.—FÉTICHISME DU PIED ET DES CHAUSSURES. MASOCHISME LARVÉ
Au groupe des masochistes se rattache celui des fétichistes du pied et des chaussures, dont on compte des exemples nombreux. Ce groupe forme une transition avec les phénomènes d'une autre perversion distincte, le fétichisme, mais il est plus près du masochisme que du fétichisme, voilà pourquoi nous l'avons fait rentrer dans celui-là.
Par fétichistes j'entends des individus dont l'intérêt sexuel se concentre exclusivement sur une partie déterminée du corps de la femme ou sur certaines parties du vêtement féminin.
Une des formes les plus fréquentes du fétichisme consiste dans ce fait que le pied ou le soulier de la femme sont le fétiche qui devient l'unique objet des sentiments et des penchants sexuels.
Or il est fort probable, et cela ressort déjà de la classification logique des cas observés, que la plupart des cas de fétichisme des chaussures, peut-être tous, ont pour base un instinct d'humiliation masochiste plus ou moins conscient.
Déjà, dans le cas de Hammond (observation 52), le plaisir d'un masochiste consiste à se faire piétiner sur le corps. Les individus des observations 44 et 48 se laissent aussi fouler aux pieds; celui de l'observation 58, equus eroticus, est en extase devant le pied de la femme, et ainsi de suite. Dans la plupart des cas de masochisme, être foulé aux pieds est la principale forme expressive de la condition de servitude54.
Note 54:
Le désir de se laisser piétiner sur le corps se retrouve aussi chez les fanatiques religieux. Comparez Turgenjew: Contes étranges.
Parmi les nombreux cas précis de fétichisme des souliers, le cas suivant, rapporté par le docteur A. Moll, de Berlin, est particulièrement apte à montrer la connexité qui existe entre le masochisme et le fétichisme des souliers.
Ce cas offre beaucoup d'analogies avec celui que nous présente Hammond, mais il est relaté avec plus de détails et d'ailleurs très minutieusement observé.
Observation 59.—O. L..., trente et un ans, comptable dans une ville wurtembergeoise, issu d'une famille tarée.
Le malade est un homme de grande taille, fort, avec l'aspect d'une santé florissante. En général il est d'un tempérament calme; mais, dans certaines circonstances, il peut devenir très violent. Il dit lui-même qu'il est querelleur et chicaneur. L... est d'un bon caractère, généreux; pour la moindre raison il se sent porté à pleurer. À l'école, il passait pour un élève de talent, avec un don d'assimilation facile. Le malade souffre de temps en temps de congestions à la tête, mais pour le reste il se porte bien, si ce n'est qu'il se sent déprimé et souvent mélancolique, par suite de sa perversion sexuelle, dont on lira plus loin la description.
On n'a pu constater que fort peu de chose sur ses antécédents héréditaires.
Le malade donne sur le développement de sa vie sexuelle les renseignements suivants.
Dès sa première jeunesse, quand il n'avait que huit ou neuf ans, il souhaitait être chien et lécher les bottes de son maître d'école. Il croit qu'il est possible que cette idée lui ait été suggérée par le fait qu'il a vu un jour comment un chien léchait les bottes de quelqu'un; mais il ne peut l'affirmer formellement. En tout cas, ce qui lui paraît certain, c'est que les premières idées sur ce sujet lui sont venues pendant qu'il était à l'état de veille et non en rêve.
À partir de l'âge de dix ans et jusqu'à quatorze ans, L... cherchait toujours à toucher les bottines de ses camarades et même celles des petites filles; mais il ne choisissait que des camarades dont les parents étaient riches ou nobles. Un de ses condisciples, fils d'un riche propriétaire, avait des bottes d'écuyer; L..., en l'absence de son camarade, prenait souvent ces bottes dans ses mains, se frappait avec sur le corps ou les pressait sur sa figure. L... fit de même avec les bottes élégantes d'un officier de dragons.
Après la puberté, le désir se porta exclusivement sur les chaussures de femmes. Entre autres, pendant la saison de patinage, le malade cherchait par tous les moyens l'occasion d'aider aux femmes et aux filles à attacher ou à ôter leurs patins; mais il ne choisissait que des femmes ou des filles riches et distinguées. Quand il passait dans la rue ou ailleurs, il ne faisait que guetter les bottines élégantes. Sa passion pour les chaussures allait si loin qu'il prenait le sable ou la crotte qu'elles avaient foulé et le mettait dans son porte-monnaie et quelquefois dans sa bouche. N'ayant encore que quatorze ans, L... allait au lupanar et fréquentait un café-concert uniquement pour s'exciter par la vue de bottes élégantes; les souliers avaient moins de prise sur lui; sur ses livres d'école et sur les murs des cabinets il dessinait toujours des bottes. Au théâtre, il ne regardait que les souliers des dames. L... suivait dans les rues et même sur des bateaux à vapeur, pendant des heures entières, les dames qui portaient des bottines élégantes; il songeait en même temps avec enchantement comment il pourrait arriver à toucher ces bottines. Cette prédilection particulière pour les bottines s'est conservée chez lui jusqu'à maintenant. L'idée de se laisser piétiner par des dames bottées ou de pouvoir baiser ces bottines procure à L... la plus grande volupté. Il s'arrête devant les magasins de chaussures, rien que pour contempler les bottines. C'est surtout la forme élégante de la bottine qui l'excite.
Le patient aime surtout les bottines boutonnées très haut ou lacées très haut, avec des talons très hauts; mais les bottines moins élégantes, même avec des talons bas, excitent le malade si la femme est très riche, de haute position, et surtout si elle est fière.
À l'âge de vingt ans, L... tenta le coït, mais ne put y réussir, «malgré les plus grands efforts», comme il le dit. Pendant sa tentative de coït, le malade ne songeait pas aux souliers, mais il avait essayé de s'exciter préalablement par la vue de chaussures; il prétend que sa trop grande excitation fut cause de son échec. Il a tenté jusqu'ici le coït quatre ou cinq fois, mais toujours en vain; dans une de ces tentatives, le malade, qui est déjà très à plaindre, a eu le malheur de contracter une lues. Je lui demandai comment il comprenait la suprême volupté; il me déclara: «Ma plus grande volupté, c'est de me coucher nu sur le parquet et de me laisser ensuite piétiner par des filles chaussées de bottines élégantes; bien entendu, cela n'est possible qu'au lupanar.» D'ailleurs, le malade prétend que, dans bien des «lupanars», on connaît bien ce genre de perversion sexuelle des hommes. La preuve que cette perversion n'est pas très rare, c'est que les puellæ appellent les hommes de ce genre les «clients aux bottes». Le malade a rarement exécuté l'acte tel qu'il serait pour lui le plus beau et le plus agréable. Il n'a jamais eu d'idées qui l'aient poussé au coït, du moins pas dans le sens d'une immissio penis in vaginam; il n'y pourrait trouver aucun plaisir. De plus, il a, avec le temps, pris peur du coït, ce qui s'explique suffisamment par l'échec de ses tentatives; il dit lui-même que le fait de ne pouvoir achever le coït l'a toujours gêné. Le malade n'a jamais pratiqué l'onanisme proprement dit. Sauf les quelques cas où il a satisfait son penchant sexuel par l'onanisme avec des bottines ou par des pratiques analogues, il ne connaît pas ce genre de satisfaction, car, dans son excitation provoquée par les bottines, il s'en tient aux érections, et c'est tout au plus si, parfois, il a un écoulement lent et faible d'un liquide qu'il croit être du sperme.
L'aspect d'un soulier seul et d'un soulier qui n'est porté par personne excite aussi le malade, mais pas dans la même mesure que le soulier porté par une femme. Des souliers tout neufs et qui n'ont pas encore été portés l'excitent beaucoup moins que les souliers qui ont été déjà portés, mais qui ne sont pas usés et ont encore l'aspect neuf. C'est ce genre de souliers qui excite le plus le malade.
Le malade est aussi excité par les bottines de dames quand elles ne sont pas portées. Dans ce cas, L... se représente la dame pour compléter l'image; il presse la bottine contre ses lèvres et son pénis. L... «mourrait de plaisir» si une femme, honnête et fière, piétinait sur lui avec ses souliers.
Abstraction faite des qualités citées plus haut, telles que fierté, richesse, distinction qui, jointes à l'élégance de la bottine, offrent un charme particulier, le malade n'est pas insensible non plus aux qualités physiques du sexe féminin. Il a de l'enthousiasme pour les belles femmes, même sans penser aux bottines; mais cette affection ne vise aucune satisfaction sexuelle. Même dans leurs relations avec l'idée des bottines, les charmes physiques jouent un rôle; une femme laide et vieille ne saurait l'exciter, eût-elle les bottines les plus élégantes; les autres parties de la toilette et d'autres conditions encore jouent un rôle important, ce qui ressort déjà du fait que ce sont les bottines élégantes, portées par des femmes de distinction, qui produisent un effet particulièrement émotionnel sur lui. Une servante grossière, dans sa tenue de travail, ne l'exciterait pas, quand même elle serait chaussée des bottines les plus élégantes.
À l'heure qu'il est, ni les souliers, ni les bottines d'hommes ne produisent plus aucun charme sur le malade; il ne se sent pas non plus attiré sexuellement vers les hommes.
Par contre, d'autres circonstances provoquent très facilement une érection chez lui. Si un enfant s'assied sur ses genoux, s'il pose la main pendant quelque temps sur un chien ou sur un cheval, s'il est en chemin de fer ou s'il se promène à cheval, il se produit chez lui des érections qu'il attribue, dans ces derniers cas, aux mouvements du corps.
Chaque matin, il a des érections, et il est capable d'en provoquer en très peu de temps rien qu'en pensant qu'il touche des bottes comme il les désire. Autrefois, il avait souvent des pollutions nocturnes, environ toutes les trois ou quatre semaines, tandis que maintenant elles sont plus rares et n'ont lieu que tous les trois ou quatre mois.
Dans ses rêves érotiques, le malade est toujours excité sexuellement par la même pensée qui l'excite à l'état de veille. Depuis quelque temps, il croit sentir un écoulement de sperme au moment de ses érections; mais il n'en conclut ainsi que parce qu'il sent quelque chose de mouillé au bout de son pénis.
Toute lecture qui touche de près à la sphère sexuelle du malade l'excite d'une manière générale; ainsi, en lisant La Vénus à la fourrure, de Sacher-Masoch, il est si excité que «le sperme ne fait que filer».
D'ailleurs, cette sorte d'écoulement constitue pour L... une satisfaction complète de son instinct sexuel.
Je le questionnai pour savoir si les coups qu'il recevrait d'une femme l'exciteraient; il crut devoir répondre par l'affirmative. Il est vrai qu'il n'a jamais fait une expérience dans ce sens; mais quand une femme lui donnait, par plaisanterie, quelques coups, cela lui produisait toujours une impression très agréable.
Le malade éprouverait surtout un grand plaisir si une femme, même déchaussée, lui donnait des coups de pied. Mais il ne croit pas que les coups par eux-mêmes produiraient l'excitation: c'est plutôt l'idée d'être maltraité par la femme, ce qui peut se faire aussi bien par des injures que par des voies de fait. Du reste les coups et les injures n'auraient d'effet que s'ils venaient d'une femme orgueilleuse et distinguée.
En général, c'est le sentiment de l'humiliation et du dévouement de caniche qui lui procure de la volupté. «Si, dit-il, une dame m'ordonnait de l'attendre même par le froid le plus rigoureux, j'éprouverais, malgré la rigueur de la saison, une grande volupté.»
Je lui demandai si, en voyant la bottine, il était saisi d'un sentiment d'humiliation, il me répondit: Je crois que cette passion générale de l'humiliation s'est concentrée spécialement sur les bottines de dames, parce qu'on dit, sous forme symbolique, qu'une personne «n'est pas digne de délier les cordons des souliers d'une autre», et qu'un subordonné doit être à genoux.
Les bas de la femme exercent aussi un effet excitant sur le malade, mais à un degré moindre, et peut-être uniquement parce qu'ils évoquent l'idée de la bottine. La passion pour les bottines de dames a augmenté de plus en plus, et ce n'est que dans ces dernières années qu'il a cru s'apercevoir d'une diminution de cette passion. Il ne va plus que rarement chez les filles publiques; en outre, il est capable de se retenir. Pourtant cette passion le domine encore entièrement, et lui gâte tout autre plaisir. Une belle bottine de dame détournerait ses regards du plus beau des paysages. Actuellement il va souvent, pendant la nuit, dans les couloirs d'un hôtel, prend des bottines de dames élégantes qu'il baise, qu'il presse contre sa figure, mais surtout contre son pénis.
Le malade, qui a une belle situation matérielle, a fait, il y a quelque temps, un voyage en Italie dans l'unique but de devenir, sans se faire connaître, le valet d'une femme riche et de haute position. Ce projet n'a pas réussi.
Il est venu à la consultation et n'a pas suivi de traitement médical jusqu'ici.
Le récit de cette maladie que nous venons de reproduire, s'étend jusqu'à une période récente, pendant laquelle L... m'a donné par correspondance des renseignements sur son état de santé.
L'histoire qu'on vient de lire, se passe de longs commentaires. Elle me paraît une des images les plus exactes de la maladie; elle est de nature à éclaircir l'affinité supposée par Krafft-Ebing entre le fétichisme des chaussures et le masochisme55.
Note 55:
Le docteur Moll (op. cit., p. 130) fait cependant remarquer, contre cette manière de voir, dans le fétichisme du pied et des chaussures un phénomène de masochisme parfois latent et inexplicable: que le fétichiste préfère souvent des bottines à hauts talons, des chaussures d'une forme particulière, tantôt celles à boutons, tantôt les vernies. Contre cette objection il faut remarquer d'abord que les hauts talons caractérisent la bottine de la femme et qu'ensuite le fétichiste, abstraction faite du caractère sexuel de son penchant, a l'habitude d'exiger de son fétiche certaines particularités de nature esthétique. Comparez plus loin, Observation 90.
Le principal plaisir pour le malade c'est, comme il l'a déclaré toujours et sans que par des questions on lui ait suggéré sa réponse, la soumission à la femme qui doit être placée bien au-dessus de lui et par sa fierté et par sa grande position sociale.
Nombreux sont les cas où, dans les limites de la sphère des idées masochistes complètement développées, le pied, la bottine ou la botte d'une femme, considérés comme instruments d'humiliation, deviennent l'objet d'un intérêt sexuel tout à fait particulier. Dans leurs gradations nombreuses qu'on peut facilement suivre, ils représentent la transition bien reconnaissable vers d'autres cas dans lesquels les penchants masochistes sont de plus en plus relégués au second rang et peu à peu échappent à la conscience, tandis que l'intérêt pour le soulier de la femme reste vivace dans la conscience et présente un penchant en apparence inexplicable. Ce sont de nombreux cas de fétichisme de la chaussure.
Les adorateurs si nombreux des souliers qui, comme tous les fétichistes, offrent aussi quelque intérêt au point de vue médico-légal (vol de chaussures), forment la limite entre le masochisme et le fétichisme.
On peut les considérer pour la plus grande partie ou même tous comme des masochistes larvés avec mobile inconscient, chez qui le pied ou le soulier de la femme est arrivé à une importance par lui-même, comme fétiche masochiste.
À ce propos nous allons citer encore deux cas dans lesquels les chaussures de la femme forment le centre de l'intérêt, il est vrai, mais où pourtant des penchants masochistes manifestes jouent encore un rôle important (Comparez observation 44).
Observation 60.—M. X..., vingt-cinq ans, né de parents sains, n'ayant jamais eu de maladies sérieuses, met à ma disposition l'autobiographie suivante.
À l'âge de dix ans, j'ai commencé à me masturber, mais sans idée voluptueuse. À cette époque déjà, je le sais pertinemment, la vue et l'attouchement des bottines de femmes élégantes avaient pour moi un charme particulier; aussi mon plus vif désir était de pouvoir me chausser de semblables bottines, désir que je réalisais à l'occasion des mascarades. Il y avait encore une autre idée qui me tourmentait: mon idéal était de me voir dans une situation humble; j'aurais voulu être esclave, battu, bref subir tout à fait les traitements qu'on trouve décrits dans les nombreuses histoires d'esclaves. Je ne saurais dire si ce désir s'est éveillé en moi spontanément ou s'il m'a été inspiré à la suite de la lecture d'histoires d'esclaves.
À l'âge de treize ans, je suis entré en puberté; avec les éjaculations qui se produisaient, mes sensations de volupté s'accrurent, et je me masturbai plus fréquemment, souvent deux ou trois fois par jour.
Dès l'âge de douze ans jusqu'à seize ans, je me figurais toujours, pendant l'acte de la masturbation, qu'on me forçait de porter des bottines de fille. La vue d'une bottine élégante au pied d'une fille un tant soit peu belle me grisait, et je reniflais avec avidité l'odeur du cuir. Afin de pouvoir sentir du cuir pendant l'acte de la masturbation, je m'achetai des manchettes en cuir que je reniflais en me masturbant. Mon enthousiasme pour les bottines de femme en cuir est encore le même aujourd'hui, seulement, depuis l'âge de dix-sept ans, il s'y mêle aussi le désir d'être valet, de cirer des bottines de femmes distinguées, d'être obligé de les aider à se chausser et à se déchausser.
Mes rêves nocturnes ne me montrent que des scènes où les bottines jouent un certain rôle: tantôt je suis couché aux pieds d'une dame pour renifler et lécher ses bottines.
Depuis un an, j'ai renoncé à l'onanisme et je vais ad puellas; le coït ne peut avoir lieu que lorsque je concentre ma pensée sur des bottines de dame à boutons; à l'occasion, je prends le soulier de la puella dans le lit. Je n'ai jamais eu de malaises à la suite de mes actes d'onanisme d'autrefois. J'apprends avec facilité, j'ai une bonne mémoire et jamais de ma vie je n'ai eu de maux de tête. Voilà tout ce qui concerne ma personne.
Encore quelques mots concernant mon frère. J'ai la ferme conviction que, lui aussi, il est fétichiste du soulier; parmi les nombreux faits qui me le prouvent je ne relève que le suivant: il éprouve un immense plaisir à se laisser piétiner sur le corps par une belle cousine. D'ailleurs je me fais fort de dire d'un homme qui s'arrête devant un magasin de chaussures pour regarder les marchandises, si c'est un «amant des souliers» ou non. Cette anomalie est très fréquente; quand, en compagnie de camarades, j'amène la conversation sur la question de savoir qu'est-ce qui excite le plus chez la femme, j'entends très souvent déclarer que c'est plutôt la femme habillée que la femme nue; mais chacun se garde bien de nommer son fétiche spécial.
Je suppose aussi qu'un de mes oncles est fétichiste du soulier.
Observation 61 (Rapportée par Mantegazza dans ses Études anthropologiques).—X..., américain, de bonne famille, bien constitué au point de vue physique et moral, n'était, depuis l'âge de la puberté, excité que par des souliers de femme. Le corps de la femme et même le pied nu ou seulement chaussé d'un bas ne lui faisaient aucune impression, mais le pied chaussé d'un soulier ou même le soulier seul lui causaient des érections et même des éjaculations. Il lui suffisait seulement de voir des bottes élégantes, c'est-à-dire des bottines de cuir noir boutonnées sur le côté, et avec de hauts talons. Son instinct génital était puissamment excité lorsqu'il touchait ou embrassait ces bottines ou bien qu'il s'en chaussait. Son plaisir augmente quand il peut planter des clous dans les talons, de façon à ce qu'en marchant les pointes des clous s'enfoncent dans sa chair. Il en éprouve des douleurs épouvantables mais en même temps une véritable volupté. Son suprême plaisir est de se mettre à genoux devant les beaux pieds d'une dame élégamment chaussée et de se laisser fouler par ces pieds. Si la porteuse de ces souliers est une femme laide, les chaussures ne produisent pas d'effet et l'imagination du malade se refroidit. S'il n'a à sa disposition que des souliers, il arrive par son imagination à y rattacher une belle femme et alors l'éjaculation se produit. Ses rêves nocturnes n'ont pour objet que des bottines de belles femmes. La vue des souliers de femmes dans les étalages choque le malade comme quelque chose de contraire à la morale, tandis qu'une conversation sur la nature de la femme lui paraît inoffensive et inepte. À plusieurs reprises, il a tenté le coït, mais sans succès. Il n'arrivait jamais à l'éjaculation.
Dans le cas suivant, l'élément masochiste est encore assez distinct, mais à côté il y a aussi des velléités sadistes (Comparez plus haut les tortureurs de bêtes).
Observation 62.—Jeune homme vigoureux, vingt-six ans. Ce qui l'excite sensuellement dans le beau sexe, ce sont uniquement des bottines élégantes aux pieds d'une femme bien «chic», surtout quand les bottines sont de cuir noir avec un talon très haut. La bottine sans la porteuse lui suffit. C'est sa suprême volupté de voir la bottine, de la palper et de l'embrasser. Le pied nu d'une dame ou seulement chaussé d'un bas le laisse absolument froid. Depuis son enfance il a un faible pour les bottines de dames. X... est puissant; pendant l'acte sexuel, il faut que la personne soit élégamment mise et qu'elle ait avant tout de belles bottines. Arrivé à l'apogée de l'émotion voluptueuse, des idées cruelles se mêlent à son admiration des bottines. Il faut qu'il pense avec délice aux douleurs d'agonie qu'a souffert l'animal dont la peau a fourni la matière des bottines. De temps en temps, il se sent poussé à apporter des poules et d'autres animaux vivants chez la Phryné pour que celle-ci les écrase de ses élégantes bottines et lui procure ainsi une plus grande volupté. Il appelle ce procédé «sacrifier aux pieds de Vénus». D'autres fois, la femme chaussée est obligée de le piétiner; plus elle l'écrase, plus il éprouve de plaisir.
Jusqu'à il y a un an, il se contentait, comme il ne trouvait aucun charme à la femme même, de caresser des bottines de femmes de son goût, et, au milieu de ces caresses, il avait des éjaculations et une satisfaction complète (Lombroso, Archiv. di psichiatria, IX, fascic. 3).
Le cas suivant rappelle en partie le troisième de cette série par l'intérêt que le malade attache aux clous des souliers (comme causes de douleur) et en partie le quatrième cas en ce qui concerne les éléments sadiques qui se font discrètement sentir.
Observation 63.—X..., trente-quatre ans, marié, issu de parents névropathiques; dons son enfance, a souffert de convulsions graves; étonnamment précoce (à l'âge de trois ans il savait déjà lire!), mais développé dans une seule direction, nerveux dès sa première enfance; a été saisi à l'âge de sept ans du violent désir de s'occuper de souliers de femmes ou plutôt des clous de ces souliers. Les voir, mais plus encore les toucher et les compter, procurait à X... un plaisir indescriptible.
Pendant la nuit, il lui fallait se figurer comment ses cousines se font prendre mesures pour des bottines, comment il clouait à l'une d'elles un fer à cheval ou lui coupait les pieds.
Avec le temps, ces scènes de souliers ont pris empire sur lui pendant la journée, et sans grande peine elles provoquaient des érections et des éjaculations. Souvent il prenait des souliers de femmes demeurant dans le même appartement; il lui suffisait de les toucher avec son pénis pour avoir une éjaculation. Pendant quelque temps, alors qu'il était étudiant, il réussit à refouler ces idées. Mais il vint un temps ou il se sentit forcé de guetter ne fût-ce que le bruit des pas féminins sur le pavé des rues, ce qui le faisait frémir de volupté, de même que de voir planter des clous dans des bottines de femmes, ou de voir des chaussures de femmes étalées dans les vitrines des magasins. Il se maria, et, dans les premiers mois de son mariage, il n'eut pas de ces impulsions. Peu à peu, il devint hystérique et neurasthénique.
À cette période, il avait des accès hystériques aussitôt qu'un cordonnier lui parlait de clous de souliers de dames ou de l'acte de clouer les talons des souliers de femmes. La réaction était encore plus violente quand il voyait une belle femme avec des souliers à gros clous. Pour avoir des éjaculations, il lui suffisait de découper en carton des talons de souliers de dames et d'y planter des clous, ou bien il achetait des souliers de dames, y faisait mettre des clous dans un magasin, les traînait sur le parquet, chez lui, et enfin les touchait avec le bout de son pénis. Mais spontanément aussi il lui venait des images voluptueuses de souliers, et au milieu de ces scènes il se satisfaisait par la masturbation.
X... est assez intelligent, zélé dans son emploi, mais il lutte en vain contre sa perversion. Il est atteint de phimosis; le pénis est court et incurvé à sa base, très peu apte à l'érection. Un jour le malade se laissa aller à se masturber en présence d'une dame arrêtée devant la boutique d'un cordonnier; il fut arrêté comme criminel. (Blanche, Archives de neurologie, 1882, nº 22.)
Il faut encore rappeler à ce propos le cas (cité plus loin, observation 111) d'un individu atteint d'inversion sexuelle et dont la sexualité n'était préoccupée que de bottines de domestiques masculins. Il aurait voulu se laisser piétiner sur le corps par eux, etc.
Un élément masochiste se manifeste encore dans le cas suivant.
Observation 64 (Dr Pascal, Igiene del' amore).—X..., négociant, a périodiquement, surtout quand il fait mauvais temps, les désirs suivants. Il aborde une prostituée, la première venue, et la prie de venir avec lui chez un cordonnier où il lui achète une belle paire de bottines vernies, à la condition qu'elle s'en chausse immédiatement. Cela fait, la femme doit traverser les rues, autant que possible dans les endroits les plus sales et les ruisseaux pour bien crotter les bottines. Puis, X... conduit la personne dans un hôtel et, à peine enfermé avec elle dans la chambre, il se précipite sur ses pieds, y frotte ses lèvres, ce qui lui procure un plaisir extraordinaire. Après avoir nettoyé les bottines de cette façon, il fait un cadeau en argent à la femme et s'en va.
De tous ces cas il ressort que le soulier est un fétiche chez le masochiste, évidemment en raison des rapports qui existent entre l'image du pied chaussé de la femme et l'idée d'être piétiné et humilié.
Si donc, dans d'autres cas de fétichisme du soulier, la bottine de la femme se montre comme seul excitant des désirs sexuels, on peut supposer qu'alors les mobiles masochistes sont restés à l'état latent. L'idée d'être foulé aux pieds, reste dans les profondeurs du domaine de l'inconscient, et c'est l'idée seule du soulier, en tant que moyen pour réaliser ces actes, qui surgit dans la conscience. Ainsi s'expliquent bien des cas qui autrement resteraient tout à fait inexplicables.
Il s'agit là d'un masochisme larvé dont le mobile pourrait paraître inconscient, sauf dans le cas exceptionnel où il est établi que son origine est due à une association d'idées provoquée par un incident précis dans le passé du malade, ainsi qu'on le verra dans les observations 87 et 88.
Ces cas de penchant sexuel pour les souliers de femme, sans motif conscient et sans qu'on en ait pu établir la cause ni l'origine, sont très nombreux56. Nous citerons comme exemples les trois faits suivants.
Note 56:
Au fétichisme du pied se rattachent évidemment ces faits de certains individus qui, non satisfaits par le coït ou incapables de l'accomplir, le remplacent par le tritus membri inter pedes mulieris.
Observation 65.—Ecclésiastique, cinquante ans. Il se montre de temps en temps dans des maisons de prostituées, sous prétexte de louer une chambre dans ces maisons; il entre en conversation avec une puella, lance des regards de convoitise vers les souliers de la femme, lui en ôte un, osculatur et mordet caligam libidine captus; ad genitalia denique caligam premit, ejaculat semen semineque ejaculato axillas pectusque terit, revient de son extase voluptueuse, demande à la propriétaire du soulier la faveur de le garder quelques jours et le rapporte avec mille remerciements après le délai fixé. (Cantarano, La Psichiatria, V. p. 205.)
Observation 66.—Z..., étudiant, vingt-trois ans, issu d'une famille tarée: la sœur était mélancolique, le frère souffrait d'hysteria virilis. Le malade fut, dès sa première enfance, un être étrange, a souvent des malaises hypocondriaques. En lui donnant une consultation pour une «maladie de l'esprit», je trouve chez lui un homme à l'intelligence embrouillée, taré, présentant des symptômes neurasthéniques et hypocondriaques. Mes soupçons de masturbation se confirment. Le malade fait des révélations très intéressantes sur sa vita sexualis.
À l'âge de dix ans, il s'est senti vivement attiré par le pied d'un camarade. À l'âge de douze ans, il a commencé à s'enthousiasmer pour les pieds de femmes. C'était pour lui un plaisir délicieux de les voir. À l'âge de quatorze ans, il commença à pratiquer l'onanisme, en se représentant dans son imagination un très beau pied de femme. À partir de ce moment, il s'extasiait devant les pieds de sa sœur qui avait trois ans de plus que lui. Les pieds d'autres dames, en tant que celles-ci lui étaient sympathiques, l'excitaient sexuellement. Chez la femme, il n'y a que le pied qui l'intéresse. L'idée d'un rapport sexuel avec une femme lui fait horreur. Il n'a jamais essayé de faire le coït. À partir de douze ans, il n'éprouve plus aucun intérêt pour le pied masculin.
La forme de la chaussure du pied féminin lui est indifférente; ce qui est important, c'est que la personne lui soit sympathique. L'idée de jouir des pieds de prostituées lui inspire du dégoût. Depuis des années, il est amoureux des pieds de sa sœur. Rien qu'en voyant ses souliers, sa sensualité se trouve violemment excitée. Une accolade, un baiser de sa sœur ne produisent pas cet effet. Son suprême bonheur est de pouvoir enlacer le pied d'une femme sympathique et d'y poser ses lèvres. Souvent il fut tenté de toucher avec son pénis un des souliers de sa sœur; mais jusqu'ici il a su réprimer ce désir, d'autant plus que, depuis deux ans, sa faiblesse génitale étant très grande, l'aspect d'un pied suffit pour le faire éjaculer.
On apprend par son entourage que le «malade» a une «admiration ridicule» pour les pieds de sa sœur, de sorte que celle-ci l'évite et tâche toujours de lui cacher ses pieds. Le malade sent lui-même que son penchant sexuel pervers est morbide, et il est péniblement impressionné de ce que ses fantaisies malpropres aient précisément choisi comme objet le pied de sa propre sœur. Autant qu'il lui est possible, il évite les occasions et cherche à se compenser par la masturbation au cours de laquelle il a toujours présents dans son imagination des pieds de femmes, ainsi que dans ses pollutions nocturnes. Quand le désir devient trop violent, il ne peut plus résister à l'envie de voir les pieds de sa sœur.
Immédiatement après l'éjaculation, il est pris d'un vif dépit d'avoir été trop faible. Son affection pour le pied de sa sœur lui a valu bien des nuits blanches. Il s'étonne souvent qu'il puisse toujours continuer à aimer sa sœur. Bien qu'il trouve juste que sa sœur cache ses pieds devant lui, il en est souvent irrité, car cela l'empêche d'avoir sa pollution. Le malade insiste sur le fait qu'autrement il est d'une bonne moralité, ce qui est confirmé par son entourage.
Observation 67.—S..., de New-York, est accusé de vols commis sur la voie publique. Dans son ascendance, il y a de nombreux cas de folie; le frère et la sœur de son père sont également anormaux au point de vue intellectuel. À l'âge de sept ans, il eut deux fois un violent ébranlement du cerveau. À l'âge de treize ans, il est tombé d'un balcon. À l'âge de quatorze ans, S... eut de violents maux de tête. Au moment de ces accès, ou du moins immédiatement après, il se manifestait en lui un penchant étrange à voler un soulier, jamais une paire, appartenant aux membres féminins de sa famille, et de le cacher dans un coin. Quand on lui fait des reproches, il nie ou il prétend ne plus se rappeler cette affaire. L'envie de prendre des souliers lui vient périodiquement tous les trois ou quatre mois. Une fois il a essayé de dérober un soulier au pied d'une bonne; une autre fois il a enlevé un soulier de la chambre de sa sœur. Au printemps, il a déchaussé par force deux dames qui se promenaient dans la rue et leur a pris leurs souliers. Au mois d'août, S... quitta de bon matin son logement pour aller travailler dans l'atelier d'imprimerie où il était employé comme typographe.
Un moment après son départ, il arracha à une fille, dans la rue, un soulier, se sauva avec, et courut à son atelier où on l'arrêta pour vol.
Il prétend ne pas savoir grand'chose sur son action; à la vue du soulier, il lui vient, comme un éclair subit, l'idée qu'il en a besoin. Dans quel but? Il n'en sait rien. Il a agi avec absence d'esprit. Le soulier se trouvait, comme il l'avoua, dans une poche de son veston. En prison il était dans un tel état de surexcitation mentale qu'on craignit un accès de folie. Remis en liberté, il enleva encore les souliers de sa femme pendant qu'elle dormait. Son caractère moral, son genre de vie étaient irréprochables. C'était un ouvrier intelligent; seulement les occupations variées qui se suivaient trop rapidement le troublaient et le rendaient incapable de travailler. Il fut acquitté. (Nichols, Americ J. J., 1859; Beck, Medical jurisprud., 1860, vol. 1, p. 732.)
Le Dr Pascal (op. cit.) a cité encore quelques observations analogues et beaucoup d'autres m'ont été communiquées par des collègues et des malades.
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