Psychopathia Sexualis
avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
Richard von Krafft-Ebing
Trad: Emile Laurent et Sigismond Csapo
Ed. Georges Carré, Paris, 1896
Source : Project Gutenberg
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III
NEVROSES CEREBRALES
1º Paradoxie, c'est-à-dire émotions sexuelles produites en dehors de l'époque des processus anatomico-physiologiques dans la zone des parties génitales.
2º Anesthésie (manque de penchant sexuel).--Ici toutes les impulsions organiques données par les parties génitales, de même que toutes les représentations, toutes les impressions optiques, auditives et olfactives, laissent l'individu dans l'indifférence sexuelle. Physiologiquement ce phénomène se produit dans l'enfance et dans la vieillesse.
3º Hyperesthésie (penchant augmenté jusqu'au satyriasis).--Ici, il y a une aspiration anormalement vive pour la vie sexuelle, désir qui est provoqué par des excitations organiques, psychiques et sensorielles. (Acuité anormale du libido, lubricité insatiable.) L'excitation peut être centrale (nymphomanie, satyriasis), périphérique, fonctionnelle, organique.
4º Paresthésie (perversion de l'instinct sexuel), c'est-à-dire excitation du sens sexuel par des objets inadéquats.
Ces anomalies cérébrales tombent dans le domaine de la psychopathologie. Les anomalies spinales et périphériques peuvent se combiner avec celles-ci. Ordinairement elles se rencontrent chez des individus non atteints de maladies mentales. Elles peuvent se présenter sous diverses combinaisons et devenir le mobile de délits sexuels. C'est pour cette raison qu'elles demandent à être traitées à fond dans l'exposé qui va suivre. L'intérêt principal, cependant, doit revenir aux anomalies causées par le cerveau, ces anomalies poussant souvent à des actes pervers et même criminels.
A.--PARADOXIE.--INSTINCT SEXUEL EN DEHORS DE LA PÉRIODE DES PROCESSUS ANATOMICO-PHYSIOLOGIQUES
1º Instinct sexuel dans l'enfance.--Tout médecin neuro-pathologue et tout médecin d'enfants savent que les mouvements de la vie sexuelle peuvent se manifester chez les petits enfants. Il faut citer, à ce propos, les communications très remarquables d'Ultzmann sur la masturbation dans l'enfance[24].
[Note 24: Louyer-Villermay rapporte ainsi un cas d'onanisme chez une fille de trois à quatre ans; de même, Moreau (Aberrations du sens génésique, 2e édit., p. 209) parle d'un enfant de deux ans. À consulter Maudsley: Physiologie et Pathologie de l'âme, p. 218; Hirschsprung (Kopenhagen), Berlin. klin. Wochenschrift, 1886, nº 38; Lombroso, L'Uomo delinquente.]
Il faut bien distinguer les cas nombreux où, à la suite de phimosis, balanites, oxyures dans l'anus ou dans le vagin, les enfants éprouvent des démangeaisons aux parties génitales, y font des attouchements, en ressentent une sorte de volupté et arrivent ainsi à la masturbation. Il faut bien séparer de tous ces cas ceux où, sans aucune cause périphérique, mais uniquement par des processus cérébraux, l'enfant éprouve des désirs et des penchants sexuels. Dans ces derniers cas seulement il s'agit d'une manifestation précoce de la vie sexuelle. Il est probable qu'on se trouve là en présence d'un phénomène partiel d'un état morbide neuro-psychopathique. Une observation de Marc (Les maladies mentales) nous fournit une preuve frappante de cet état. Le sujet était une fille de huit ans, issue d'une famille très honorable et qui, dénuée de tout sentiment moral, se livrait à la masturbation depuis l'âge de quatre ans. Præterea cum pueris, decem usque duodecim annos natis, stupra fecit. Elle était hantée par l'idée d'assassiner ses parents pour hériter et pour pouvoir s'amuser ensuite avec des hommes.
Dans ces cas de libido précoce, les enfants sont amenés à la masturbation, et, comme ils sont fortement tarés, ils aboutissent souvent à l'idiotie ou aux formes graves des névroses ou psychoses dégénératives.
Lombroso (Archiv. di Psychiatria, IV. p. 22) a recueilli des documents sur des enfants héréditairement tarés. Il parle, entre autres, d'une fille de trois ans qui se masturbait sans cesse et sans vergogne. Une autre fille a commencé à l'âge de huit ans et a continué à s'onaniser après son mariage, surtout pendant la durée de sa grossesse. Elle a accouché douze fois. Cinq de ses enfants sont morts très jeunes; quatre étaient des hydrocéphales, deux (des garçons) se sont livrés à la masturbation, l'un à partir de l'âge de quatre ans, l'autre à partir de l'âge de sept ans.
Zambacco (L'Encéphale, 1882, nº 12) raconte l'histoire abominable de deux soeurs avec précocité et perversion du sens sexuel. L'aînée, R..., se masturbait déjà à l'âge de sept ans, stupra cum pueris faciebat, volait quand elle pouvait le faire, sororem quatuor annorum ad masturbationem illixit, faisait à l'âge de dix ans les actes les plus hideux, ne put pas même être détournée de sa rage par le ferrum candens ad clitoridem; elle se masturba une fois avec la soutane d'un prêtre pendant que celui-ci l'exhortait à s'amender, etc., etc.
2º Réveil du penchant sexuel à l'âge de sénilité.--Il y a des cas rares où l'instinct sexuel se conserve jusqu'à un âge très avancé. «Senectus non quidem annis sed viribus magis æstimatur» (Zittmann). OEsterlen (Maschkas Handbuch, III, p. 18) rapporte même le cas d'un vieillard de quatre-vingt-trois ans qui fut condamné par une cour d'assises wurtembergeoise à trois ans de travaux forcés pour délit contre les moeurs. Malheureusement il ne dit rien du genre du délit ni de l'état psychique de l'accusé.
Les manifestations de l'instinct sexuel à un âge très avancé ne constituent pas, par elles-mêmes, un cas pathologique. Mais il faut nécessairement admettre des conditions pathologiques quand l'individu est usé (décrépitude), quand sa vie sexuelle est déjà éteinte depuis longtemps, et quand, chez un homme dont autrefois peut-être les besoins sexuels n'étaient pas très forts, l'instinct se manifeste avec une grande puissance et demande à être satisfait impérieusement, souvent même se pervertit.
Dans de pareils cas, le bon sens fera soupçonner l'existence de conditions pathologiques. La science médicale a bien établi qu'un penchant de ce genre est basé sur des changements morbides dans le cerveau, altérations qui peuvent mener à l'idiotie sénile (gagaïsme, gâtisme).
Ce phénomène morbide de la vie sexuelle peut être le précurseur de la démence sénile et se présente longtemps avant qu'il existe des faits manifestes de faiblesse intellectuelle. L'observateur attentif et expérimenté pourra toujours démontrer, même dans cette phase prodromique, un changement de caractère in pejus et un affaiblissement du sens moral qui va de pair avec cet étrange réveil sexuel. Le libido de l'homme qui est sur le point de tomber en démence sénile, se manifeste au début par des paroles et des gestes lascifs. Les enfants sont les premiers attaqués par ces vieillards cyniques, qui sont en train de verser dans l'atrophie cérébrale, et dans la dégénérescence psychique. Les occasions plus faciles d'aborder les enfants, et aussi la conscience d'une puissance défectueuse, peuvent expliquer ce fait attristant; une puissance génésique défectueuse et un sens moral très abaissé expliquent encore pourquoi les actes sexuels de ces vieillards sont toujours pervers. Ce sont des équivalents de l'acte physiologique dont ils ne sont plus capables. Comme tels, les annales de la médecine légale enregistrent l'exhibition des parties génitales (voir Lasègue: Les exhibitionnistes. Union médicale, 1871, 1er mai), l'attouchement voluptueux des parties génitales des enfants (Legrand du Saulle, La folie devant les tribunaux, p. 30), l'excitation des enfants à la masturbation du séducteur, l'onanisation de la victime (Hirn, Maschkas Handbuch d. ger. Med., p. 373), la flagellation des enfants.
Dans cette phase, l'intelligence du vieillard peut encore être assez conservée pour qu'il cherche à éviter l'éclat et les révélations, tandis que son sens moral a trop baissé pour qu'il puisse juger de la moralité de l'acte et pour qu'il puisse résister à son penchant. Avec l'apparition de la démence, ces actes deviennent de plus en plus éhontés. Alors la préoccupation d'impuissance disparaît et le malade recherche des adultes; mais sa puissance génésique défectueuse le réduit à se contenter des équivalents du coït. Dans ce cas, le vieillard est souvent amené à la sodomie, et alors, comme le fait remarquer Tarnoswsky (op. cit., p. 77), dans l'acte sexuel avec des oies, des poules, etc., l'aspect de l'animal mourant, ses mouvements convulsifs procurent une satisfaction complète au malade. Les actes sexuels pervers accomplis sur des adultes sont aussi abominables et aussi psychologiquement compréhensibles d'après les faits que nous venons de mentionner.
L'observation 49 de mon traité de Psychopathologie légale nous montre combien le désir sexuel peut devenir intense au cours de la dementia senilis quum senex libidinosus germanam suam filiam æmulatione motus necaret et adspectu pectoris cæsi puellæ moribundæ delectaretur.
Dans le cours de cette maladie, des délires érotiques peuvent se produire avec épisodes maniaques ou sans ces épisodes, ainsi que cela ressort du fait suivant.
OBSERVATION 1.--J. René s'est adonné de tout temps aux plaisirs sexuels, mais en gardant le décorum. Il a, depuis l'âge de soixante-seize ans, montré un affaiblissement graduel de ses facultés mentales en même temps qu'une augmentation progressive dans la perversion du sens moral. Autrefois avare et de très bonne tenue, consumpsit bona sua cum meretricibus, lupanaria frequentabat, ab omni femina in via occurrente, ut uxor fiat sua voluit, aut ut coitum concederet, et il a tellement offensé les moeurs publiques, qu'il a fallu l'interner dans une maison d'aliénés. Là, son excitation sexuelle se surexcita et devint un état de véritable satyriasis qui dura jusqu'à sa mort. Il se masturbait sans cesse, même en public, divaguait sur des idées obscènes; il prenait les hommes de son entourage pour des femmes et les poursuivait de ses sales propositions (Legrand du Saulle, La Folie, p. 533).
Un pareil état d'excitation sexuelle exagérée (nymphomanie, furor uterinus) peut se produire chez des femmes tombées en dementia senilis, bien qu'elles aient été auparavant des femmes très convenables.
Il ressort de la lecture de Schopenhauer (Le monde comme volonté et comme représentation, 1859, t. II, p. 461) que, dans la dementia senilis, le penchant morbide et pervers peut se porter exclusivement vers les personnes du sexe du malade (voir plus loin). La manière de satisfaire ce penchant est, dans ce cas, la pédérastie passive ou la masturbation mutuelle, comme je l'ai constaté dans le cas suivant.
OBSERVATION 2.--M. X..., quatre-vingts ans, d'une haute position sociale, issu d'une famille tarée, cynique, a toujours eu de grands besoins sexuels. Selon son propre aveu, il préférait, étant encore jeune homme, la masturbation au coït. Il eut des maîtresses, fit à l'une d'elles un enfant, se maria par amour à l'âge de quarante-huit ans et fit encore six enfants; durant la période de sa vie conjugale, il ne donna jamais à son épouse aucun motif de se plaindre. Je ne pus avoir que des détails incomplets sur sa famille. Il est cependant établi que son frère était soupçonné d'amour homosexuel et qu'un de ses neveux est devenu fou à la suite d'excès de masturbation. Depuis des années, le caractère du patient qui était bizarre et sujet à des explosions violentes de colère, est devenu de plus en plus excentrique. Il est devenu méfiant et la moindre contrariété dans ses désirs le met dans un état qui peut provoquer des accès de rage pendant lesquels il lève même la main sur son épouse.
Depuis un an on a remarqué chez lui des symptômes nets de dementia senilis incipiens. La mémoire s'est affaiblie; il se trompe sur les faits du passé et parfois ne sait plus s'y reconnaître. Depuis quatorze mois, on constate chez ce vieillard de véritables explosions d'amour pour certains de ses domestiques hommes, particulièrement pour un garçon jardinier. D'habitude tranchant et hautain envers ses subalternes, il comble ce favori de faveurs et de cadeaux, et ordonne à sa famille ainsi qu'aux employés de sa maison de montrer la plus grande déférence à ce garçon. Il attend, dans un état de véritable rut, les heures de rendez-vous. Il éloigne de la maison sa famille pour pouvoir rester seul et sans gêne avec son favori; il s'enferme avec lui pendant des heures entières et, quand les portes se rouvrent, on trouve le vieillard tout épuisé, couché sur son lit. En dehors de cet amant, ce vieillard a encore périodiquement des rapports avec d'autres domestiques mâles. Hoc constat amatos eum ad se trahere, ab iis oscula concupiscere, genitalia sua tangi jubere itaque masturbationem mutuam fieri. Ces manies produisent chez lui une véritable démoralisation. Il n'a plus conscience de la perversité de ses actes sexuels, de sorte que son honorable famille est désolée et n'a d'autre recours que de le mettre sous tutelle, de le placer dans une maison de santé. On n'a pu constater chez lui d'excitation érotique pour l'autre sexe, bien qu'il partage encore avec sa femme la chambre à coucher commune. En ce qui concerne la sexualité pervertie et le complet affaissement du sens moral de ce malheureux, il est à remarquer, comme fait curieux, qu'il questionne les servantes de sa belle-fille pour savoir si cette dernière n'a pas d'amant.
B.--ANESTHÉSIE (MANQUE DE PENCHANT SEXUEL)
1º Comme anomalie congénitale.--On ne peut considérer comme exemples incontestables d'absence du sens sexuel, occasionnée par des causes cérébrales, que les cas dans lesquels, malgré le développement et le fonctionnement normal des parties génitales (production du sperme, menstruation), tout penchant pour la vie sexuelle manque absolument ou a manqué de tout temps. Ces individus sans sexe, au point de vue fonctionnel, sont très rares. Ce sont des êtres dégénérés chez lesquels on peut rencontrer des troubles cérébraux fonctionnels, des symptômes de dégénérescence psychique et même des stigmates de dégénérescence anatomique. Legrand du Saulle cite un cas classique et qui rentre dans cette catégorie (Annales médico-psychol., 1876, mai.)
OBSERVATION 3.--D..., trente-trois ans, né d'une mère atteinte de la monomanie de la persécution. Le père de cette femme était également atteint de la monomanie de la persécution et finit par le suicide. La mère était folle, et la mère de celle-ci a été prise de folie puerpérale. Trois frères du malade sont morts en bas âge, un autre survivant était d'un caractère anormal. D... était déjà, à l'âge de treize ans, hanté par l'idée qu'il deviendrait fou. À l'âge de quatorze ans, il fit une tentative de suicide.
Plus tard, vagabondage; comme soldat, fréquents actes d'insubordination et folies.
Il était d'une intelligence bornée, ne présentait aucun symptôme de dégénérescence, avait les parties génitales normales, et eut, à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans, des écoulements de sperme. Il ne s'est jamais masturbé, n'a jamais eu de sentiments sexuels et n'a jamais désiré avoir des rapports avec les femmes.
OBSERVATION 4.--P..., trente-six ans, journalier, a été reçu au commencement du mois de novembre dans ma clinique pour une paralysie spinale spasmodique. Il prétend être issu d'une famille bien portante. Depuis l'enfance il est bègue. Le crâne est microcéphale. Le malade est un peu niais. Il n'a jamais été sociable et n'a jamais eu de penchants sexuels. L'aspect d'une femme ne lui dit rien. Jamais il ne s'est manifesté chez lui de penchant pour la masturbation. Il a des érections fréquentes, mais seulement le matin, à l'heure du réveil, lorsque la vessie est pleine; il n'y a pas trace d'excitation sexuelle. Les pollutions chez lui sont très rares pendant son sommeil, environ une fois par an, et alors il rêve qu'il a affaire à des femmes. Mais ces rêves n'ont pas un caractère érotique bien net. Il prétend ne pas éprouver de sensation de volupté proprement dite au moment de la pollution. Il affirme que son frère, âgé de trente-quatre ans, est, au point de vue sexuel, constitué comme lui; quant à sa soeur, il la croit dans le même cas. Un frère cadet, dit-il, est d'une sexualité normale. L'examen des parties génitales du malade n'a pas permis de constater aucune anomalie, sauf un phimosis.
Hammond (Impuissance sexuelle, Berlin, 1889), ne peut citer parmi ses nombreuses observations que les trois cas suivants d'anæsthesia sexualis:
OBSERVATION 5.--W..., trente-trois ans, vigoureux, bien portant, avec des parties génitales normales, n'a jamais éprouvé de libido et a en vain essayé d'éveiller son sens sexuel absent par des lectures obscènes et des relations avec des mérétrices.
Ces tentatives ne lui causaient qu'un dégoût allant jusqu'à la nausée, de l'épuisement nerveux et physique; et même, lorsqu'il força la situation, il ne put qu'une seule fois arriver à une érection bien passagère. W... ne s'est jamais masturbé; depuis l'âge de dix-sept ans, il a eu une pollution tous les deux mois. Des intérêts importants exigeaient qu'il se mariât. Il n'avait pas l'horror feminæ, désirait vivement avoir un foyer et une femme, mais il se sentait incapable d'accomplir l'acte sexuel, et il est mort célibataire pendant la guerre civile de l'Amérique du Nord.
OBSERVATION 6.--X..., vingt-sept ans, avec des parties génitales normales, n'a jamais éprouvé de libido. L'érection ne peut avoir lieu par des excitations mécaniques ni par la chaleur; mais, au lieu du libido, il se produit alors chez lui un penchant aux excès alcooliques. Par contre, ces derniers provoquaient des érections spontanées et, dans ces moments, il se masturbait parfois. Il avait de l'aversion pour les femmes et le coït lui causait du dégoût.
S'il en essayait lorsqu'il était en érection, celle-ci cessait immédiatement. Il est mort dans le coma, par suite d'un accès d'hyperhémie du cerveau.
OBSERVATION 7.--Mme O..., d'une constitution normale, bien portante, bien réglée, âgée de trente-cinq ans, mariée depuis quinze ans, n'a jamais éprouvé de libido, et n'a jamais ressenti de sensation érotique dans le commerce sexuel avec son mari. Elle n'avait pas d'aversion pour le coït, et il paraît que parfois elle le trouvait agréable, mais elle n'avait jamais le désir de répéter la cohabitation.
À côté de ces cas de pure anesthésie, nous devons rappeler aussi ceux où, comme dans les précédents, le côté psychique de la vita sexualis présente une page blanche dans la biographie de l'individu, mais où de temps en temps des sentiments sexuels rudimentaires se manifestent au moins par la masturbation. (Comparez le cas transitoire, observation 6.) D'après la subdivision établie par Magnan, classification intelligente mais non rigoureusement exacte et d'ailleurs trop dogmatique, la vie sexuelle serait, dans ce cas, limitée dans la zone spinale. Il est possible que, dans certains de ces cas, il existe néanmoins virtuellement un coté psychique de la vita sexualis, mais il a des bases faibles et se perd par la masturbation avant de pouvoir prendre racine pour se développer ultérieurement.
Ainsi s'expliqueraient les cas intermédiaires entre l'anesthésie sexuelle (psychique) congénitale et l'anesthésie acquise. Celle-ci menace nombre de masturbateurs tarés. Au point de vue psychologique, il est intéressant de constater que, lorsque la vie sexuelle se dessèche trop vite, il se produit aussi une défectuosité éthique.
Comme exemples remarquables, citons les deux faits suivants que j'ai déjà cités autrefois dans l'Archiv für Psychiatrie:
OBSERVATION 8.--F... J..., dix-neuf ans, étudiant, est né d'une mère nerveuse dont la soeur était épileptique. À l'âge de quatre ans, affection aiguë du cerveau qui a duré quinze jours. Enfant, il n'avait pas de coeur; froid pour ses parents; comme élève, il était étrange, renfermé, s'isolait, toujours cherchant et lisant. Bien doué pour l'étude. À partir de l'âge de quinze ans, il s'est livré à la masturbation. Depuis sa puberté, il a un caractère excentrique, hésite continuellement entre l'enthousiasme religieux et le matérialisme, étudie la théologie et les sciences naturelles. À l'Université, ses camarades le considéraient comme un toqué. Il lisait alors exclusivement Jean-Paul et faisait l'école buissonnière. Manque absolu de sentiments sexuels pour l'autre sexe. S'est laissé une fois entraîner au coït, mais n'y a éprouvé aucun plaisir sexuel, a trouvé que le coït est une ineptie et n'a jamais essayé d'y revenir. Sans aucun motif sérieux, l'idée de suicide lui est venue souvent; il en a fait le sujet d'une thèse philosophique dans laquelle il déclare que le suicide ainsi que la masturbation sont des actes très utiles. Après des études préliminaires répétées sur l'effet des poisons qu'il essayait sur lui-même, il a tenté de se suicider avec 57 grammes d'opium; mais il guérit et on le transporta dans un asile d'aliénés.
Le malade est dépourvu de tout sentiment moral et social. Ses écrits dénotent une banalité et une frivolité incroyables. Il possède de vastes connaissances, mais sa logique est tout à fait étrange et biscornue. Il n'y a pas trace de sentiments affectifs. Avec une ironie et une indifférence de blasé sans pareil, il raille tout, même les choses les plus sublimes. Avec des sophismes et de fausses conclusions philosophiques, il plaide la légitimité du suicide, dont il a l'intention d'user, comme un autre accomplirait une affaire des plus ordinaires. Il regrette qu'on lui ait enlevé son canif. Sans cela, il aurait pu, comme Sénèque, s'ouvrir les veines pendant qu'il était au bain. Un ami lui donna dernièrement un purgatif au lieu d'un poison qu'il avait demandé. Il dit, en faisant un calembour, que cette drogue l'avait mené aux cabinets au lieu de le mener dans l'autre monde. Seul le grand opérateur, armé de la faux du trépas, pourrait lui couper sa «vieille idée folle et dangereuse», etc.
Le malade a le crâne volumineux, de forme rhomboïde, et déformé; la partie gauche du front est plus plate que la partie droite. L'occiput est très droit. Les oreilles sont très écartées et fortement décollées; l'orifice extérieur de l'oreille forme une fente étroite. Les parties génitales sont flasques, les testicules très mous et très petits.
Quelquefois le malade se plaint d'être possédé de la manie du doute. Il est forcé de creuser les problèmes les plus inutiles, hanté par une obsession qui dure des heures entières, qui lui est pénible et qui le fatigue outre mesure. Il se sent alors tellement exténué, qu'il n'est plus capable de concevoir aucune idée juste.
Au bout d'un an, le malade a été renvoyé de l'asile comme incurable. Rentré chez lui, il passait son temps à lire et à pleurer, s'occupait de l'idée de fonder un nouveau christianisme parce que, dit-il, le Christ était atteint de la monomanie des grandeurs et avait dupé le monde avec des miracles (!).
Après un séjour d'un an chez son père, une excitation psychique s'étant subitement produite, il fut de nouveau interné dans l'asile. Il présentait un mélange de délire initial, de délire de persécution (diable, antéchrist, se croit persécuté, monomanie de l'empoisonnement, voix qui le persécutent) et de monomanie des grandeurs (se croit le Christ, le Rédempteur de l'univers). En même temps ses actes étaient impulsifs et incohérents. Au bout de cinq mois, cette maladie mentale intercurrente disparaissait, et le malade revenait à son état d'incohérence intellectuelle primitive et de défectuosité morale.
OBSERVATION 9.--E..., trente ans, ouvrier peintre sans place, a été pris en flagrant délit: il voulait couper le scrotum d'un garçon qu'il avait attiré dans un bois. Il donna comme motif qu'il voulait détruire cette partie du corps, pour que le monde ne se peuple pas davantage. Dans son enfance, disait-il, il s'était, pour la même raison, fait des coupures aux parties génitales. Son arbre généalogique ne peut pas être établi. Dès son enfance, E... était un anormal au point de vue intellectuel; il rêvassait, n'était jamais gai; facile à exciter, emporté, il allait toujours méditant; c'était un faible d'esprit. Il détestait les femmes, aimait la solitude, et lisait beaucoup. Quelquefois il riait en lui-même et faisait des bêtises. Dans ces dernières années, sa haine des femmes s'est accentuée; il en veut surtout aux femmes enceintes par qui, dit-il, la misère s'augmente dans le monde. Il déteste aussi les enfants, maudit celui qui lui a donné la vie; il a des idées communistes, s'emporte contre les riches et les prêtres, contre Dieu qui l'a fait naître si pauvre. Il déclare qu'il vaudrait mieux châtrer les enfants que d'en faire de nouveaux qui seront condamnés à la pauvreté et à la misère. Ce fut toujours son idée, et, à l'âge de quinze ans déjà, il avait essayé de s'émasculer pour ne pas contribuer au malheur et à l'augmentation du nombre des hommes. Il méprise le sexe féminin qui contribue à augmenter la population. Deux fois seulement, dans sa vie, il s'est fait manustuprer par des femmes; sauf cet incident il n'a jamais eu affaire avec elles. Il a, de temps en temps, des désirs sexuels, c'est vrai, mais jamais le désir de leur donner une satisfaction naturelle.
E... est un homme vigoureux et bien musclé. La constitution de ses parties génitales n'accuse rien d'anormal. Sur le scrotum et sur le pénis on trouve de nombreuses cicatrices de coupures, traces d'anciennes tentatives d'émasculation. Il prétend que la douleur l'a empêché d'exécuter complètement son projet. À la jointure du genou droit il existe un genu valgum. On n'a pu noter aucun symptôme d'onanisme. Il est d'un caractère sombre, entêté et emporté. Les sentiments sociaux lui sont absolument étrangers. En dehors de l'insomnie et de maux de tête fréquents, il n'y a pas chez lui de troubles fonctionnels.
Il faut distinguer ces cas cérébraux de ceux où l'absence ou bien l'atrophie des organes de la génération constituent la cause de l'impotence fonctionnelle, ainsi que cela se voit chez les hermaphrodites, les idiots et les crétins.
Un cas de ce genre se trouve mentionné dans le livre de Maschka.
OBSERVATION 10.--La plaignante demande le divorce à cause de l'impuissance de son mari qui n'a encore jamais accompli avec elle l'acte sexuel. Elle a trente et un ans et elle est vierge. L'homme est un peu faible d'esprit; au physique il est fort; les parties génitales extérieures sont bien constituées. Il prétend n'avoir jamais eu d'érection complète ni d'éjaculation, et il dit que les rapports avec les femmes le laissent absolument indifférent.
L'aspermie seule ne peut pas être une cause d'anesthésie sexuelle; car, d'après les expériences d'Ullzmann[25], même dans le cas d'aspermie congénitale, la vita sexualis et la puissance génésique peuvent se produire d'une façon tout à fait satisfaisante. C'est une nouvelle preuve que l'absence du libido ab origine ne doit pas être attribuée qu'à des causes cérébrales.
[Note 25: Ueber männliche Sterilität (Wiener med. Presse, 1875, nº 1); Ueber potentia coeundi et generandi (Wiener Klinik, 1885, Heft 1, S. 5).]
Les naturæ frigidæ de Zacchias représentent une forme atténuée de l'anesthésie. On les rencontre plus souvent chez les femmes que chez les hommes. Peu de penchant pour les rapports sexuels et même aversion manifeste, bien entendu sans avoir un autre équivalent sexuel, absence de toute émotion psychique ou voluptueuse pendant le coït qu'on accorde simplement par devoir, voilà les symptômes de cette anomalie de laquelle j'ai souvent entendu des maris se plaindre devant moi. Dans de pareils cas, il s'agissait toujours de femmes névropathiques ab origine. Certaines d'entre elles étaient en même temps hystériques.
2º Anesthésie acquise.--La diminution acquise du penchant sexuel ainsi que l'extinction de ce sentiment, peut être attribuée à diverses causes.
Celles-ci peuvent être organiques ou fonctionnelles, psychiques ou somatiques, centrales ou périphériques.
À mesure qu'on avance en âge, il se produit physiologiquement une diminution du libido; de même, immédiatement après l'acte sexuel, il y a disparition temporaire du libido.
Les différences en ce qui concerne la durée de la conservation du penchant sexuel sont très grandes et variables selon la nature de chaque individu. L'éducation et le genre de vie ont une grande influence sur l'intensité de la vita sexualis.
Les occupations qui fatiguent l'esprit (études approfondies), le surmenage physique, l'abstinence, les chagrins, la continence sexuelle sont sûrement nuisibles à l'entretien du penchant sexuel.
L'abstinence agit d'abord comme stimulant. Tôt ou tard, selon la constitution physique, l'activité des organes génitaux se relâche et en même temps le libido s'affaiblit.
En tout cas, il y a chez l'individu sexuellement mûr, une corrélation intime entre le fonctionnement de ses glandes génésiques et le degré de son libido. Mais le premier n'est pas toujours décisif, ainsi que nous le démontre ce fait que des femmes sensuelles, même après la ménopause, continuent leurs rapports sexuels et peuvent présenter des phases d'excitation sexuelle, mais d'origine cérébrale.
On peut aussi, chez les eunuques, voir le libido subsister longtemps encore après que la production du sperme a cessé.
D'autre part, l'expérience nous apprend que le libido a pour condition essentielle la fonction des glandes génésiques, et que les faits que nous venons de citer ne constituent que des phénomènes exceptionnels. Comme causes périphériques de la diminution du libido ou de sa disparition, on peut admettre la castration, la dégénérescence des glandes génésiques, le marasme, les excès sexuels sous forme de coït et de masturbation, l'alcoolisme. De même, on peut expliquer la disparition du libido dans le cas de troubles généraux de la nutrition (diabète, morphinisme etc.)
Enfin nous devons encore faire mention de l'atrophie des testicules qu'on a quelquefois constatée à la suite des maladies des centres cérébraux (cervelet).
Une diminution de la vita sexualis due à la dégénérescence des nerfs et du centre génito-spinal, se produit dans les cas de maladies du cerveau et de la moelle épinière. Une lésion d'origine centrale atteignant l'instinct sexuel peut être produite organiquement par une maladie de l'écorce cérébrale (dementia paralytica à l'état avancé), fonctionnellement par l'hystérie (anesthésie centrale), et par la mélancolie ou l'hypocondrie.
C.--HYPERESTHÉSIE (EXALTATION MORBIDE DE L'INSTINCT SEXUEL)
La pathologie se trouve en présence d'une grande difficulté quand elle doit, même dans un cas isolé, dire si le désir de la satisfaction sexuelle a atteint un degré pathologique. Emminghaus (Psychopathologie, p. 225) considère comme évidemment morbide le retour du désir immédiatement après la satisfaction sexuelle, surtout si ce désir captive toute l'attention de l'individu; il porte le même jugement quand le libido se réveille à l'aspect de personnes et d'objets qui en eux-mêmes n'offrent aucun intérêt sexuel. En général, l'instinct sexuel et le besoin correspondant sont proportionnés à la force physique et à l'âge.
À partir de l'époque de la puberté, l'instinct sexuel monte rapidement à une intensité considérable; il est très puissant entre 20 et 40 ans, il diminue ensuite lentement. La vie conjugale paraît conserver et régler l'instinct.
Les changements répétés d'objet dans la satisfaction sexuelle augmentent les désirs. Comme la femme a moins de besoins sexuels que l'homme, une augmentation de ces besoins chez elle doit toujours faire supposer un cas pathologique, surtout quand ils se manifestent par l'amour de la toilette, par la coquetterie ou même par l'andromanie, et font dépasser les limites tracées par les convenances et les bonnes moeurs.
Dans les deux sexes, la constitution physique joue un rôle important. Souvent une constitution névropathique s'accompagne d'une augmentation morbide du besoin sexuel; des individus atteints de cette défectuosité souffrent pendant une grande partie de leur existence et portent péniblement le poids de cette anomalie constitutionnelle de leur instinct. Par moments la puissance de l'instinct sexuel peut acquérir chez eux l'importance d'une mise en demeure organique et compromettre sérieusement leur libre arbitre. La non-satisfaction du penchant peut alors amener un véritable rut ou un état psychique plein d'angoisse, état dans lequel l'individu succombe à son instinct: alors sa responsabilité devient douteuse.
Si l'individu ne succombe pas à la violence de son penchant, il court risque d'amener, par une abstinence forcée, son système nerveux à la neurasthénie ou d'augmenter gravement une neurasthénie déjà existante.
Même chez les individus d'une organisation normale, l'instinct sexuel n'est pas une quantité constante. À part l'indifférence temporaire qui suit la satisfaction, l'apaisement de l'instinct par une abstinence prolongée qui a pu surmonter heureusement certaines phases de réaction du désir sexuel, exerce une grande influence sur la vita sexualis; il en est de même du genre de vie.
Les habitants des grandes villes qui sont sans cesse ramenés aux choses sexuelles et excités aux jouissances ont assurément de plus grands besoins génésiques que les campagnards. Une vie sédentaire, luxueuse, pleine d'excès, une nourriture animale, la consommation de l'alcool, des épices, etc., ont un effet stimulant sur la vie sexuelle.
Chez la femme, le désir augmente après la menstruation. Chez les femmes névropathiques l'excitation, à cette période, peut atteindre à un degré pathologique.
Un fait très remarquable, c'est le grand libido des phtisiques. Hoffmann rapporte le cas d'un paysan phtisique qui, la veille de sa mort, avait encore satisfait sa femme.
Les actes sexuels sont: le coït (éventuellement le viol), faute de mieux, la masturbation, et, lorsqu'il y a défectuosité du sens moral, la pédérastie et la bestialité. Si, à côté d'un instinct sexuel démesuré, la puissance a baissé ou même s'est éteinte, alors toutes sortes d'actes de perversité sexuelle sont possibles.
Le libido excessif peut être provoqué par une cause périphérique ou centrale. Il peut avoir pour cause le prurit des parties génitales, l'eczéma, ainsi que l'action de certaines drogues qui stimulent le désir sexuel, comme par exemple les cantharides.
Chez les femmes, il y a souvent, au moment de la ménopause, une excitation sexuelle occasionnée par le prurit; mais souvent ce fait se produit lorsqu'elles sont tarées au point de vue nerveux. Magnan (Annales médico-psychol., 1885) rapporte le cas d'une dame qui avait les matins de terribles accès d'erethismus genitalis, et celui d'un homme de cinquante-cinq ans qui, pendant la nuit, était torturé par un priapisme insupportable. Dans les deux cas il y avait nervosisme.
Une excitation sexuelle d'origine centrale se produit souvent chez des individus tarés, comme les hystériques, et dans les états d'exaltation psychique[26].
[Note 26: Pour les individus chez lesquels l'hyperesthésie sexuelle très avancée va de pair avec la faiblesse sensitive et acquise de l'appareil sexuel, il peut même arriver qu'au seul aspect de femmes désirables, le mécanisme non seulement de l'érection, mais même celui de l'éjaculation soit mis en action sans qu'il y ait une excitation périphérique des parties génitales. Le mouvement part alors du centre psychosexuel. Il suffit à ces individus de se trouver en face d'une femme, soit dans un wagon de chemin de fer, soit dans un salon ou ailleurs: ils se mettent psychiquement en relation sexuelle et arrivent à l'orgasme et à l'éjaculation.
Hammond (op. cit., p. 40) décrit une série de malades semblables qu'il a traités pour de l'impuissance acquise. Il rapporte que ces individus, pour désigner leur procédé, se servent de l'expression de «coït idéal». A. Moll, de Berlin, m'a communiqué un cas tout à fait analogue. À Berlin aussi on se servait de la même expression.]
Quand l'écorce cérébrale et le centre psychosexuel se trouvent dans un état d'hyperesthésie (sensibilité anormale de l'imagination, facilité des associations d'idées), non seulement les sensations visuelles et tactiles, mais encore les sensations auditives et olfactives peuvent suffire pour évoquer des idées lascives.
Magnan (op. cit.) rapporte le cas d'une demoiselle qui, dès sa nubilité, eut des désirs sexuels toujours croissants et qui, pour les satisfaire, se livrait à la masturbation. Par la suite, cette dame éprouvait, à l'aspect de n'importe quel homme, une violente émotion sexuelle, et, comme alors elle ne pouvait pas répondre d'elle, elle se renfermait dans sa chambre où elle restait jusqu'à ce que l'orage fût passé. Finalement elle se livrait à tout venant pour calmer les désirs violents qui la faisaient souffrir. Mais ni le coït, ni l'onanisme ne lui procuraient le soulagement désiré, et elle fut internée dans un asile d'aliénés.
On peut citer encore le cas d'une mère de cinq enfants qui, se sentant malheureuse à cause de la violence de ses désirs sexuels, fit plusieurs tentatives de suicide et demanda plus tard à être admise dans une maison de santé. Là son état s'améliora, mais elle n'osait plus quitter l'asile.
On trouve plusieurs cas bien caractéristiques concernant des individus des deux sexes, dans l'ouvrage de l'auteur de Ueber gewisse Anomalien des Geschlechtstriebs, Observations 6 et 7 (Archiv für Psychiatrie, VII, 2.)
En voici deux.
OBSERVATION 11.--Le 7 juillet 1874, dans l'après-midi, l'ingénieur Clemens qui se rendait pour affaires de Trieste à Vienne, quitta le train à la station de Bruck, et, traversant la ville, vint dans la commune de Saint-Ruprecht, située près de Bruck, où il fit une tentative de viol sur une femme de soixante-dix ans restée seule à la maison. Il fut pris par les habitants du village et arrêté par les autorités locales. Interrogé, il prétendit qu'il avait voulu chercher l'établissement de voirie pour assouvir sur une chienne son instinct sexuel surexcité. Il souffre souvent de pareils accès de surexcitation. Il ne nie pas son acte, mais il l'excuse par sa maladie. La chaleur, le cahot du wagon, le souci de sa famille qu'il voulait rejoindre, lui ont complètement troublé les sens et l'ont rendu malade. Il ne manifeste ni honte, ni repentir. Son attitude était franche; il avait l'air calme; les yeux étaient rouges, brillants; la tête chaude, la langue blanche, le pouls plein, mou, battant plus de 100 pulsations, les doigts un peu tremblants.
Les déclarations de l'accusé sont précises, mais précipitées; son regard est fuyant, avec l'expression manifeste de la lubricité. Le médecin légiste, qui avait été appelé, a été frappé de son état pathologique, comme si l'accusé eût été au début du délire alcoolique.
Clemens a quarante-cinq ans, est marié, père d'un enfant. Les conditions de santé de ses parents et des autres membres de sa famille lui sont inconnues. Dans son enfance, il était faible, névropathe. À l'âge de cinq ans il a eu une lésion à la tête à la suite d'un coup de houe. Il porte encore sur l'os de l'occiput droit et sur l'os frontal droit une cicatrice longue d'un pouce et large d'un demi-pouce. L'os est un peu enfoncé. La peau qui le recouvre est adhérente à l'os.
La pression sur cet endroit lui cause une douleur qui s'irradie dans la branche inférieure du trijumeau. Souvent même il s'y produit spontanément des douleurs. Dans sa jeunesse, il avait souvent des syncopes. Avant l'âge de puberté, pneumonie rhumatismale et inflammation d'intestins. Dès l'âge de sept ans, il éprouvait une sympathie étrange pour les hommes, notamment pour un colonel. À l'aspect de cet homme, il sentait comme un coup de poignard dans son coeur; il embrassait le sol où le colonel avait mis le pied. À l'âge de dix ans, il tomba amoureux d'un député du Reichstag. Plus tard encore, il s'enflammait pour des hommes, mais cet enthousiasme était purement platonique. À partir de quatorze ans, il se masturbait. À l'âge de dix-sept ans, il avait ses premiers rapports avec des femmes. Avec l'habitude du coït normal disparurent les anciens phénomènes d'inversion sexuelle. Dans sa jeunesse il se trouvait dans un état particulier de psychopathie aiguë qu'il désigne lui-même comme une «sorte de clairvoyance». À partir de l'âge de quinze ans, il souffrit d'hémorroïdes avec symptômes de plethora abdominalis. Après l'abondante hémorragie hémorroïdale qu'il avait régulièrement toutes les trois ou quatre semaines, il se sentait mieux. En outre il était toujours en proie à une pénible excitation sexuelle qu'il soulageait tantôt par l'onanisme, tantôt par le coït. Toute femme qu'il rencontrait l'excitait. Même quand il se trouvait au milieu de femmes de sa famille, il se sentait poussé à leur faire des propositions immorales. Parfois il réussissait à dompter ses instincts; d'autres fois il était irrésistiblement entraîné à des actes immoraux. Quand, dans de pareils cas, on le mettait à part, il en était content; car, disait-il, j'ai besoin d'une pareille correction et de ce soutien contre ces désirs trop puissants qui me gênent moi-même. On n'a pu reconnaître aucune périodicité dans ses excitations sexuelles.
Jusqu'en 1861, il fit des excès in Venere et récolta plusieurs blennorrhagies et chancres.
En 1861, il se maria. Il se sentait satisfait sexuellement, mais devenait importun à sa femme par ses besoins excessifs. En 1864, il eut, à l'hôpital, un accès de monomanie; il retomba malade la même année et fut transporté dans l'asile d'Y... où il resta interné jusqu'en 1867.
Dans la maison de santé il souffrit de récidives de son état maniaque, avec grandes excitations sexuelles. Il désigne comme cause de sa maladie, à cette époque, un catarrhe intestinal et beaucoup de contrariétés.
Plus tard, il se rétablit. Il était bien portant, mais souffrait beaucoup de l'excès de ses besoins sexuels. Aussitôt qu'il était éloigné de sa femme, son désir devenait si violent qu'il lui était égal de le satisfaire avec des êtres humains ou avec des animaux. Pendant la saison d'été surtout ces poussées devenaient excessives; en même temps il se produisait un afflux de sang aux intestins. Clemens qui a des réminiscences de lectures médicales, est d'avis que, chez lui, le système ganglionnaire domine le système cérébral.
Au mois d'octobre 1873, ses occupations l'obligèrent à vivre loin de sa femme. Jusqu'au jour de Pâques, il n'avait eu aucun rapport sexuel, sauf qu'il s'était masturbé par-ci par-là. À partir de cette époque, il se servait de femmes et de chiennes. Du 15 juin jusqu'au 7 juillet, il n'avait eu aucune occasion de satisfaire son besoin sexuel. Il éprouvait une agitation nerveuse, se sentait fatigué, il lui semblait qu'il allait devenir fou. Le désir violent de revoir sa femme, qui vivait à Vienne, l'éloignait de son service. Il prit un congé. La chaleur de la route, la trépidation du chemin de fer, l'avaient complètement troublé; il ne pouvait plus supporter son état de surexcitation génitale, compliqué d'un fort afflux de sang aux intestins. Il avait le vertige. Alors, arrivé à Bruck, il quitta le wagon. Il était, dit-il, tout troublé, ne savait pas où il allait, et à un moment l'idée lui vint de se jeter à l'eau; il y avait comme un brouillard devant ses yeux.
Mulierem tunc adspexit, penem nudavit, feminamque amplecti conatus est. La femme cependant cria au secours, et c'est ainsi qu'il fut arrêté.
Après l'attentat, la conscience claire de son acte lui vint subitement. Il l'avoua franchement, se souvint de tous les détails, mais il soutint que son action avait quelque chose de morbide. C'était plus fort que lui.
Clemens souffrait encore quelquefois de maux de tête, de congestions; il était, par moments, très agité, inquiet, et dormait mal. Ses fonctions intellectuelles ne sont pas troublées, mais c'est naturellement un homme bizarre, d'un caractère mou et sans énergie. L'expression de la figure a quelque chose de fauve et porte un cachet de lubricité et de bizarrerie. Il souffre d'hémorroïdes. Les parties génitales ne présentent rien d'anormal. Le crâne est, dans sa partie frontale, étroit et un peu fuyant. Le corps est grand et bien fait. Sauf une diarrhée, on n'a remarqué chez lui aucun trouble des fonctions végétatives.
OBSERVATION 12.--Mme E..., quarante-sept ans. Un oncle maternel fut atteint d'aliénation mentale; le père était un homme exalté qui faisait des excès in Venere. Le frère de la malade est mort d'une affection aiguë du cerveau. Dès son enfance, la malade était nerveuse, excentrique, romanesque, et manifestait, à peine sortie de l'enfance, un penchant sexuel excessif. Elle s'adonna, dès l'âge de dix ans, aux jouissances sexuelles. Elle se maria à l'âge de dix-neuf ans. Elle faisait assez bon ménage avec son mari. L'époux, bien que suffisamment doué, ne lui suffisait pas; elle eut, jusqu'à ces dernières années, toujours quelques amis en dehors de son mari. Elle avait pleine conscience de la honte de ce genre de vie, mais elle sentait sa volonté défaillir en présence du penchant insatiable qu'elle cherchait du moins à dissimuler. Elle disait plus tard que c'était de l'andromanie qu'elle avait souffert.
La malade a accouché six fois. Il y a six ans, elle est tombée de voiture et a subi un ébranlement cérébral considérable. À la suite de cet accident, il se produisit chez elle une mélancolie compliquée du délire de la persécution. Cette maladie l'amena à l'asile d'aliénés. La malade approche de la ménopause; elle a eu, ces temps derniers, des menstrues fréquentes et très abondantes. La violence de son ancien penchant s'est atténué, ce qu'elle constate avec plaisir. Son attitude actuelle est décente. Faible degré de descensus uteri et prolapsus ani.
L'hyperesthésie sexuelle peut être continue avec des exacerbations, ou bien intermittente, ou même périodique. Dans le dernier cas, c'est une névrose cérébrale particulière (voir la Pathologie spéciale), ou une manifestation d'un état d'excitation psychique général (Manie épisodique dans la dementia paralytica senilis, etc.).
Un cas remarquable de satyriasis intermittent a été publié par Lentz dans le Bulletin de la Société de méd. légale de Belgique, nº 21.
OBSERVATION 13.--Depuis trois ans, le cultivateur D..., âgé de trente-cinq ans, marié et jouissant de l'estime générale, avait des accès d'excitation sexuelle, qui devenaient de plus en plus fréquents et plus violents. Depuis un an, ces accès se sont aggravés et sont devenus des crises de satyriasis. On n'a rien pu constater au point de vue héréditaire, pas plus qu'au point de vue organique.
D... tempore, quum libidinibus valde afficeretur, decim vel quindecim cohabitationes per 24 horas exegit, neque tamen cupiditates suas satiavit.
Peu à peu se développait en lui un état d'éréthisme généralisé, avec une irascibilité allant jusqu'à des accès de colère pathologiques; en même temps, il se manifestait un penchant à abuser des boissons alcooliques, et bientôt se montrèrent des symptômes d'alcoolisme. Ses accès de satyriasis étaient tellement violents que le malade n'avait plus d'idées nettes et que, poussé par son instinct aveugle, il se laissait aller à des actes lascifs. Qua de causa factum est ut uxorem suam alienis viris immovere animalibus ad coeundum tradi, cum ipso filiabus præsentibus concubitum exsequi jusserit, propterea quod hæc facta majorem ipsi voluptatem afferent. Il ne se souvient pas du tout des faits qui se passent au moment de ces crises, et son excitation extrême peut l'amener jusqu'à la rage. D... avoue qu'il a eu des moments où il n'était plus maître de lui-même; s'il était resté sans satisfaction, il eût été contraint de s'attaquer à la première femme venue. Cet état d'excitation sexuelle disparaît tout d'un coup après chaque émotion morale violente.
Les deux observations suivantes nous montrent quel état violent, dangereux et pénible constitue l'hyperesthésie sexuelle pour ceux qui sont atteints de cette anomalie.
OBSERVATION 14 (Hyperæsthesia sexualis. Delirium acutum ex abstinentia).--Le 29 mai 1882, F..., vingt-trois ans, cordonnier, célibataire, a été reçu à la clinique. Il est né d'un père coléreux, très violent et d'une mère névropathique, dont le frère était aliéné.
Le sujet n'a jamais été gravement malade ni ne s'est adonné à la boisson, mais, de tout temps, il a eu de grands besoins sexuels. Il y a cinq jours, il a été atteint d'une affection psychique aiguë. Il a fait, en plein jour et devant deux témoins, une tentative de viol, a eu du délire obscène, s'est masturbé avec excès; il y a trois jours, il a eu un accès de folie furieuse, et, lors de son arrivée à la clinique, il était en état de delirium acutum très grave, avec de la fièvre et des phénomènes d'excitation motrice très violents. Par un traitement à l'ergotine, on amena la guérison.
Le 5 janvier 1888, le même individu fut reçu une seconde fois, présentant des symptômes de folie furieuse. D'abord, il était morose, irascible, disposé à pleurer et atteint d'insomnie. Ensuite, après avoir attaqué sans succès des femmes, il se mit dans une rage de plus en plus violente.
Le 6 janvier, son état s'est aggravé; il a du delirium acutum très grave (jactation, grincement de dents, grimaces, etc., symptômes d'incitations motrices; température allant jusqu'à 40°,7). Il se masturbait tout à fait instinctivement. Il a été guéri par un traitement énergique à l'ergotine, qui a duré jusqu'au 11 janvier. Après sa guérison, le malade a donné des explications très intéressantes sur la cause de sa maladie.
De tout temps, il eut de grands besoins sexuels. Son premier coït eut lieu à l'âge de seize ans. La continence lui a causé des maux de tête, une grande irascibilité psychique, de l'abattement, un manque de goût pour le travail, de l'insomnie. Comme il vivait à la campagne, il n'avait que rarement l'occasion de satisfaire ses besoins; il y suppléait par la masturbation. Il lui fallait se masturber une ou deux fois par jour.
Depuis deux mois, il n'avait pas coïté. Son excitation sexuelle s'est de plus en plus exaltée; il ne pensait qu'au moyen de satisfaire son instinct. La masturbation ne suffisait plus pour faire cesser les tourments de plus en plus pénibles dus à la continence. Ces jours derniers, il eut un désir violent de coïter; insomnie de plus en plus aiguë et irritabilité. Il ne se souvient que sommairement de la période de sa maladie. Le malade était guéri au mois de décembre. C'est un homme très convenable. Il considère son instinct irrésistible comme un cas pathologique et redoute l'avenir.
OBSERVATION 15.--Le 11 juillet 1884, R..., trente-trois ans, employé, atteint de paranoia persecutoria et neurasthenia sexualis, a été reçu à la clinique. Sa mère était névropathe. Son père est mort d'une maladie de la moelle épinière. Dès son enfance, il eut un instinct sexuel très puissant dont il prit pleine conscience à l'âge de six ans. Depuis cette époque, masturbation; à partir de quinze ans, pédérastie, faute de mieux; quelquefois tendances à la sodomie. Plus tard, abus du coït dans le mariage, cum uxore. De temps à autre même des impulsions perverses, idée de faire le cunnilingus, de donner des cantharides à sa femme, dont le libido ne correspond pas au sien. Peu de temps après le mariage, la femme mourut. La situation économique du malade devient de plus en plus mauvaise; il n'a plus les moyens de se procurer des femmes. Il revient à l'habitude de la masturbation, se sert de lingua canis pour provoquer l'éjaculation. De temps en temps accès de priapisme et état frisant le satyriasis. Il était alors forcé de se masturber pour éviter le stuprum. À mesure que la neurasthénie sexuelle a augmenté, s'accompagnant de velléités de mélancolie, il y a diminution du libido nimia, ce qu'il a considéré comme un soulagement salutaire.
Un exemple classique d'hyperesthésie sexuelle pure est le cas suivant que j'emprunte à la Folie lucide de Trélat et qui est très précieux pour l'étude de certaines Messalines, devenues célèbres dans l'histoire.
OBSERVATION 16.--Mme V... souffre depuis sa première jeunesse d'andromanie. De bonne famille, d'un esprit cultivé, bonne de caractère, d'une décence allant jusqu'à la faculté de rougir, elle était, encore jeune fille, la terreur de sa famille. Quandoquidem sola erat cum homine sexus alterius, negligens, utrum infans sit an vir, an senex, utrum pulcher an teter, statim corpus nudavit et vehementer libidines suas satiari rogavit vel vim et manus ei injecit. On essaya de la guérir par le mariage. Maritum quam maxime amavit neque tamen sibi temperare potuit quin a quolibet viro, si solum apprehenderat, seu servo, seu mercenario, seu discipulo coitum exposceret.
Rien ne put la guérir de ce penchant. Même lorsqu'elle fut devenue grand'mère, elle resta Messaline. Puerum quondam duodecim annos natum in cubiculum allectum stuprare voluit. Le garçon se défendit et se sauva. Elle reçut une verte correction de son frère. C'était peine perdue. On l'interna dans un couvent. Là, elle fut un modèle de bonne tenue et n'encourut aucun reproche. Aussitôt revenue du couvent, les scandales recommencèrent dans la ville. La famille la chassa et lui servit une petite rente. Elle se mit à travailler et gagnait le nécessaire, ut amantes sibi emere posset.
Quiconque aurait vu cette dame, mise proprement, de manières distinguées et agréables, n'aurait pu se douter quels immenses besoins sexuels elle avait encore à l'âge de soixante-cinq ans. Le 17 janvier 1854, sa famille, désespérée par de nouveaux scandales, la fit interner dans une maison de santé. Elle y vécut jusqu'au mois de mai 1858 et y succomba à une apoplexia cerebri à l'âge de soixante-treize ans. Sa conduite, avec la surveillance de l'établissement, était irréprochable. Mais aussitôt qu'on l'abandonnait à elle-même et qu'une occasion favorable se présentait, ses penchants sexuels se faisaient jour, même peu de temps avant sa mort. À l'exception de son anomalie sexuelle, les aliénistes n'ont rien constaté chez elle pendant les quatre années qu'ils la soignèrent.
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